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Statue d’Egerton Ryerson déboulonnée par les étudiants autochtones de l’université éponyme.

Fanatismes missionnaires au grand cœur et petite tête

Au lendemain de mon article dans l’Aut’Journal [1], Émilie Nicolas écrivait dans le Devoir les précisions historiques suivantes: « Les porte-parole de la Nation Tk’emlúps te Secwépemc s’appellent notamment Baptiste, Jules, Casimir, Michel, Gosselin, Antoine, Lampreau. Pourquoi ? (…) C’est que les Sœurs de Sainte-Anne, originaires de Lanaudière, avaient pris la charge de l’école de Kamloops. (…) Le chanoine Lionel Groulx vantait le rôle des Oblates de Marie-Immaculée qui ont géré 57 des 139 pensionnats » canadiens et se sont livrés aux missions catholiques indiennes, avec la même fougue évangélique et le même racisme condescendant que les évangélistes d’aujourd’hui; avec leur gras financement par les Billy Graham américains, ces derniers ont assuré la désorganisation politique de tant de pays africains aux gauches socialisantes démonisées par eux, ainsi que l’élection de Bolsonaro au Brésil, dont le fanatisme antiscientifique à la Donald Trump, son héros, se solde aujourd’hui par des centaines de milliers de morts évitables.

Le fanatisme religieux attaché sans nuances aux textes fondamentaux n’est pas exclusif aux islamistes, alors qu’on lit dans Le Canada français missionnaire (1962) du chanoine (défendu par Mathieu Bock-Côté) : « Le Sauvage reste encore sauvage, ou peu s’en faut : homme-enfant, léger, fantasque, incapable d’efforts soutenus, mal débarrassé de son vieux paganisme (…). Comme aux temps anciens, l’alcool le fascine; le concubinage sévit, (…) mais infanticides et cannibalisme souvent provoqués par la misère, disparaissent. »

La saga historique Une colonne de feu du Britannique Ken Follett consiste en 923 pages de guerres de religions du 16e siècle, persécutions et chasses aux sorcières (voilées) entre protestants et catholiques. Contre les religions misogynes et doctrinaires (le sont-elles toutes ?), le credo pacifiste indique une marche à suivre : les dénoncer par écrit, mais les laisser vivre sans les victimiser puisque leurs croyances le font déjà. Débarrassons-nous du racisme patriotique qui idolâtrait Dollard pour avoir tué des sauvages et qui incitait le gouvernement canadien à proposer au Vatican d’honorer l’évêque Vital Grondin (1829-1902), effectivement qualifié de vénérable par le Saint-Siège infaillible, pour avoir encouragé la politique raciste coloniale anti-autochtones par les mots suivants:

« Nous leur inculquons un dégoût prononcé pour la vie autochtone afin qu’ils soient humiliés quand on leur rappellera leur origine. À l’obtention de leurs diplômes de nos institutions [pensionnats résidentiels], les enfants auront perdu toute caractéristique autochtone, sauf leur sang ».

Ryerson, le pape et les méthodistes racistes

Le racisme d’Egerton Ryerson (1803-1882) et de John A. MacDonald (1815-1891) est à condamner, au-delà de toute nuance de relativisme historique : du second, on connaît la perversité; quant au premier, dont une célèbre université torontoise porte le nom [2], ce protestant méthodiste a non seulement institué le système des pensionnats autochtones, mais s’est aussi opposé à l’éducation des femmes au-delà du cours élémentaire, croyant que leur rôle consistait à être épouses, mères ou bonnes sœurs. On doit hélas constater que ce racisme, sexiste de surcroît, est présent chez les Catholiques, qui ont refusé le chemin de réconciliation parcouru par l’Église anglicane, la United Church et la Presbyterian Church qui ont offert des réparations rassemblées par les fidèles selon un protocole accepté par les autochtones [3] : l’Église anglicane avait effectué les premiers pas vers la réconciliation dès 1993 lorsque son primat, Michael Peers, avait livré « ses profondes excuses pour la cruauté et les abus infligés aux enfants autochtones résultant de l’idéologie blasphématoire de supériorité blanche ». Où en est l’église catholique, 28 ans plus tard ?

Carey Price vs le racisme de l’Ouest

Nous devons lutter de toutes nos forces particulièrement aux côtés de nos frères et sœurs autochtones contre les ravages causés par les réactionnaires, encore aujourd’hui. D’autant plus que le racisme anti-métis au Manitoba sévit encore, ce qui augmente notre admiration pour les créateurs Gabrielle Roy et Daniel Lavoie, notre tout premier artiste pour la paix de l’année 1988. Le référendum sur la péréquation de Jason Kenney ravive la haine anti-Trudeau de 1982 et celle anti-Québec, province qu’il prétend favorisée. Et que dire de la une haineuse du Winnipeg Sun qui, à la veille du 3e match entre les Habs et les Jets, visait le Canadien français Pierre-Luc Dubois (hélas couvreur attitré de Toffoli lors du but vainqueur de la série dans le 4e match): Dubois DU or DIE, avait écrit le quotidien en grosses lettres.

Avant le 2e match vendredi à Winnipeg, Carey Price s’était arrêté au kiosque des femmes autochtones habillées en orange, en solidarité avec les 215 victimes de la mission St Joseph. En centrant mon article[1] sur lui principalement, – et sur Philipp Danault payé à moins du tiers du salaire des deux grandes vedettes de Toronto qu’il avait limitées à un seul but par un jeu défensif toujours trop peu glorifié, – je désirais avant tout offrir aux lecteurs un extraordinaire exemple de noblesse autochtone (pensons à Lynda Price), ce qui me semble un moyen pour contrer le racisme plus efficace que les dénonciations antiracistes, qui risquent toujours de déraper en règlements de comptes.

Parlant de dérapage, on pourra l’éviter en ne démonisant pas les bonnes sœurs qui agissaient par compassion et sans les moyens financiers réels que les évêques réservaient à leur faste personnel ou à des architectures ostentatoires : combien d’enfants morts de faim et de tuberculose à Kamloops l’auraient été aussi s’ils étaient restés dans leurs familles ? Au moins, auraient-ils souffert, bercés par les soins attentifs de leurs pères et mères…


[1] https://lautjournal.info/20210602/carey-price-porte-le-numero-215 Rappelons qu’à titre d’Artistes pour la Paix, nous avons récompensé à travers les années les métis Chloé Sainte-Marie, Marie-Claire et Richard Séguin, les autochtones Florent et Stanley Vollant, ainsi que Samian, de même que les honorables Alanis Obomsawin et Myra Cree.

[2] On n’imputera pas à l’Université Ryerson les défauts d’Egerton du même nom, puisqu’elle a accordé le mois dernier deux doctorats honorifiques, le premier à la journaliste Anishinaabe Tanya Talaga, le second à Malala Yousufzai que nous avions glorifiée dès 2013 – lire http://www.artistespourlapaix.org/?p=3673.

[3] Merci à ma collègue de Pugwash Phyllis Creighton pour ces informations.