Originalement publié le 20 mars 2020,
augmenté d’un commentaire le 29 octobre 2021.

Une cause, une seule victime, plusieurs responsables

gabriel

Jérémy Gabriel, dont je préfère utiliser la photo plutôt que celle de son tourmenteur, a le droit de vivre, contrairement à ce que suggérait l’escalade d’expressions abusives utilisées par Mike Ward dans ses numéros sur le « pas tuable » jeune homme il y a huit ans.

Karine Tremblay écrit dans La Tribune du 9 mars : la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a intenté une poursuite au nom de la famille Gabriel, après que celle-ci eut déposé une plainte en 2012. En 2016, le Tribunal des droits de la personne du Québec a statué que les propos de Mike Ward pendant ses spectacles avaient été discriminatoires à l’endroit de Jérémy, atteint du syndrome de Treacher Collins. L’humoriste ayant porté sa cause en appel, la Cour d’appel a, l’automne dernier, rejeté une part de sa demande, le sommant de payer 35 000 $ en dommages moraux et punitifs.

Quand l’humour se trompe de cible

Ward a récolté trois trophées au dernier Gala des Olivier où la foule s’est levée pour applaudir celui qu’elle a érigé en martyre de la libre expression, appuyé par Me Julius Grey qui défend son client jusqu’à porter sa cause devant la Cour suprême. L’humoriste Ward ne devrait-il pas plutôt jeter l’éponge, assumer le ton violent de ses débordements antérieurs – notons que son discours au gala sur la liberté d’expression était irréprochable, parce qu’il évitait la spécificité de son propre cas litigieux – et payer les 35 000$ dus à la personne blessée par ses injures antérieures ? En 2012, vu l’âge du jeune « handicapé » (car ses blagues ont réduit Jérémy à cette condition), n’aurait-il pas été plus avisé de sa part de se moquer des parents de Jérémy (la mère a d’ailleurs perdu sa cause réclamant 7000$) ? Car ils ont instrumentalisé le handicap de leur fils, en le filmant en train de chanter devant le pape Benoît XVI, un pianiste raffiné qui ne méritait pas une telle agression artistique. Le jeune homme a mûri et semble avoir plus d’avenir dans la musique punk, quoique sa pathétique volonté de se présenter dans n’importe quel parti politique à l’automne dernier montrait plutôt que le fils persiste à faire ce que ses parents lui ont inculqué, tenter à tout prix de profiter de la gloire ($$) des feux de la télévision…

L’École nationale de l’humour

Directrice de l’École nationale de l’humour, Louise Richer appuie Mike Ward, car elle craint le précédent d’une poursuite victorieuse contre les humoristes, vu l’autocensure que les gens du métier pourraient s’infliger à la suite d’un tel jugement. Mais son appui ne fait-il pas durer le suspense d’une cause dont l’acharnement provoque déjà des échecs juridiques successifs qui desservent la liberté d’expression, à cause de la frontière non respectée par Ward entre la liberté de se moquer d’une œuvre – le chant devant le pape – et ridiculiser son auteur (on revient toujours à cette distinction, comme pour J’accuse de Polanski) ? Encore une fois, ne serait-il pas plus sage de tirer la plogue et ainsi d’éviter d’entraîner le précieux droit à l’expression libre dans une série d’échecs dommageables ? En assumant l’agressivité débordante de ses propos contre Jérémy Gabriel, comme a fini par le faire l’animateur Normand Brathwaite à Piment fort face aux pertinentes accusations d’homophobie par le digne Daniel Pinard (qui n’a pas eu besoin des tribunaux), Mike Ward offrirait en outre un effet bénéfique calmant, utile aux agressifs réseaux sociaux : on peut consulter des exemples de propos « lénifiants » adressés à M. Gabriel sur sa page facebook, tels que « pitche-toi en bas d’un pont ! »

Deux humoristes artistes pour la paix

L’ex-trésorier des Artistes pour la paix Luc Boily enseigne à l’École nationale de l’humour un cours d’écriture humoristique et partage, avec Christian Vanasse, le cours Humour et société : ils y véhiculent des réflexions nécessaires sur la responsabilité venant avec la prise de parole. Rendons-leur grâce, ainsi qu’à la sagesse de Louise Richer, d’avoir évité des cas semblables dans les dernières huit années, ce qui vu la prolifération sur nos ondes radiophoniques et télévisuelles d’humoristes, représente un sacré tour de force.

Enfin, on revient toujours à lui, Yvon Deschamps n’a jamais craint de s’attaquer à l’establishment très riche et à sa bien-pensance vaguement raciste, sexiste, militariste et anti-classe ouvrière et anti-syndicaliste. Si on m’objecte que l’époque actuelle est trop politically correct pour allouer une telle licence, voici un débat intéressant à entreprendre, à la condition de ne pas être mené dans nos médias par les adeptes de RadioX qui évoquent le principe de la liberté d’expression à tort et à travers, alors que les pacifistes sont censurés.


Commentaire du 29 octobre 2021

Comme Artistes pour la Paix, nous voilà ambivalents face à ce cas résolu par la Cour Suprême qui s’est elle-même divisée 5 à 4 aujourd’hui.

Notre côté « artiste » se réjouit de la victoire de la liberté d’expression défendue par Julius Grey qui comme le Premier ministre Legault l’affirme, va permettre aux caricaturistes de dormir, « malgré leurs attaques parfois très dures » à la Mike Ward.

Notre côté « pour la paix » va continuer à s’engager du côté des plus faibles contre les puissances militaires et autres. Faible n’est pas un mot qui s’applique à M. Gabriel qui a affirmé en conférence de presse que ce combat pour sa dignité ainsi que les épreuves subies l’ont rendu plus fort, même si ce débat judiciaire l’a un peu amoché, a-t-il avoué.

En conséquence, ne faut-il pas défendre la liberté des nations opprimées par les puissances occidentales, contre les croisades humanitaires de type Right to Protect qui prétendent dicter les droits humains en faisant la guerre ? D’où notre ambivalence face aux dénonciations du genre « génocide ouïghour »: elles ne règlent rien aux possibles infractions et surtout elles reportent sur L’ENNEMI les actions de plus grande justice que nous pourrions entreprendre envers les autochtones des Premières Nations, en reconnaissant les infanticides de nos vieux pensionnats et les trop nombreuses disparitions de jeunes filles autochtones mal enquêtées par nos polices actuelles, GRC et SQ.

Désolé de déborder du sujet : nous sommes ouverts bien sûr à d’autres opinions.