Il y a dans chaque être une certaine potentialité accumulée qui ne s’épuise jamais. Elle n’est rien pourtant tant qu’elle ne s’actualise pas ; mais pour cela il faut d’abord qu’elle se découpe en puissances différentes, car il faut bien coordonner nos puissances pour aboutir à une œuvre cohérente. C’est l’œuvre propre de notre liberté lorsqu’elle s’attaque à notre vie entière pour en faire une œuvre. Car les puissances sont des possibilités non seulement pensées par nous (la nature et notre éducation nous en donnent la disposition), mais aussi agissent par nous (coordonner pour agir de façon congruente sur l’ensemble de notre vie). Or, la liberté serait incapable d’agir si elle ne portait pas en elle la valeur d’unité de vied’identité d’auteur et de créateur.

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Dessin de Pierre Lussier

Si la valeur est la raison d’être de l’être, elle ne peut jamais devenir une chose, car elle réside dans la source de la création. Qu’elle se manifeste en nous ou dans la nature, elle est inhérente à l’acte créateur, à l’art de mettre en œuvre sa vie. Toute valeur est suspendue à la liberté de conscience, si bien qu’elle disparaît si elle est imposée. Quand nous mettons la valeur au-dessus des personnes, c’est que nous nions aux personnes leur valeur. Et c’est ce qui arrive lorsqu’on tue ou torture une personne au nom d’une valeur. Quand nous mettons la valeur au-dessus de la nature, c’est que nous nions sa valeur pour en faire un monceau de possédables.

Le réel serait dépourvu pour nous d’intelligibilité et de signification si son existence n’était pas sur le chemin des valeurs. On abolirait cette intelligibilité et cette signification si l’on voulait qu’il y eût d’emblée identité entre l’existence et la valeur. Le monde n’a de sens que s’il est un acte de valeur et non un tas de valeurs.

La valeur jaillit toujours d’une rencontre.