Raôul Duguay

Sur l’engagement

Inestimable don du ciel, l’eau est l’essence de la vie, le principe vital qui rend possible la vie sur Terre. Et ce, à un point tel, que si l’homme veut conquérir l’univers, émigrer en d’autres lieux habitables dans la Voie lactée, il devra y trouver de l’eau. Car aucun organisme vivant ne peut se passer d’eau sous l’une ou l’autre de ses formes. Les organismes vivants sont composés d’eau puisqu’il y a de l’eau à l’intérieur et à l’extérieur des cellules. Privé d’eau pendant 10 jours, l’être humain meurt.

C’est en cherchant les causes premières ou les essences de tout ce qui est que Thalès de Milet qu’on dit le père de la philosophie, trouva que l’essence du monde matériel, c’est l’eau. C’est donc en 624 av. J. C. qu’un être humain déclara que l’eau est essentielle à la vie. Bien sûr, tout le monde le savait déjà. Mais ce que l’histoire a retenu c’est que c’était la première fois que quelqu’un philosophait sur l’eau. Chose curieuse, Thalès de Milet découvrit que si l’eau est l’essence de la vie matérielle, la pensée est l’essence de la vie spirituelle. La pensée définit l’être humain et rend possible la culture et l’histoire.

Malraux disait : « Le XXIième siècle sera spirituel ou bien il ne sera pas. » Mais les premières années du troisième millénaire sont visiblement matérialistes. Les transnationales de l’eau carburent au profit au détriment des plus petits. Cette course effrénée vers l’uniformisation, la conquête et l’avoir au détriment de l’être, de la liberté et de la différence est ce qu’on a appelé le « choc des civilisations ». Ce choc se répercute jusque dans les conceptions fondamentales de la nature et de la culture.

Devenue la plus inestimable de nos richesses naturelles, l’eau douce est aussi un bien culturel dont la gestion responsable concerne la co-évolution des formes vivantes et des habitats, voire la survie de l’humanité. Comme les rapports de l’homme avec la nature ont des implications sociopolitiques et économiques, la durabilité de notre environnement commence par une écologie de l’esprit. Et comme les scientifiques nous prédisent que le premier siècle du troisième millénaire devra être définitivement écologique, sans quoi, il n’y aura plus d’humanité, il nous faut, en tant que citoyen, repenser notre rapport à l’eau, repenser les rapports que notre culture et notre économie entretiennent avec la nature.

À travers l’histoire des cultures, trois conceptions majeures de la nature s’affrontent. D’une part, le tenant d’un libéralisme économique à outrance considère la nature comme une ressource, et la ressource comme une marchandise. C’est pourquoi ils veulent à tout prix la dominer, l’exploiter, la transformer en autant de produits possibles. L’exploiteur industriel qui regarde une splendide chute d’eau, un banc de poissons ou une forêt, pense combien il faudra dépenser pour en faire un produit de consommation rentable. Il ne regardera pas à la dépense s’il peut s’enrichir à partir de ces ressources naturelles, de ces richesses naturelles. Donc le conquérant se sent séparé de la nature. C’est ce qui explique son comportement avide.

Mais, ne faut-il pas faire émerger de l’économie un nouvel humanisme qui donnera un sens à la vie. Car c’est à cause d’eux, les conquistadors de l’or bleu et de l’or vert, que l’espèce la plus menacée sur Terre, c’est l’espèce humaine.

D’autre part, le citoyen sensible a le net sentiment qu’il fait partie de la nature, que la Terre ne lui appartient pas, mais qu’il appartient à la Terre. C’est pourquoi il respecte la nature et s’efforce d’être en harmonie avec tout ce qui vit sur Terre. C’est le coeur palpitant qu’il s’approche d’une fleur, d’un arbre, d’un oiseau. Lorsqu’il arrive près de la chute, il se tait pour écouter la plénitude de sa voix. Il se tait pour boire en son âme la force vitale de sa beauté ineffable. Le simple fait d’être en présence de cette force de la nature le remplit de joie et de paix. Jouir de la beauté de la nature contribue à la santé physique, mentale et culturelle d’un peuple. La dimension symbolique et esthétique de l’eau devrait être considérée comme un palliatif majeur au stress qui dévore les sociétés.

Qu’est-ce qui est le plus logique : un citoyen qui ingère des tranquillisants pour gérer son stress bien assis devant le petit écran et regardant un film sur la nature sauvage, ou bien un citoyen qui respire l’air pur en marchant quelques kilomètres pour aller la contempler. Faut-il attendre qu’il ne reste plus une seule chute vierge, une seule forêt vierge au Québec, pour comprendre enfin qu’elles n’ont pas de prix? La sauvegarde d’une chute, d’une forêt, ne vaut-elle pas le sacrifice de quelques emplois? Ne faut-il pas économiser le futur de la nature? Il n’est pas nécessaire d’être un artiste pour jouir des beautés de la nature, en reconnaître et en défendre la valeur. Il suffit d’être un citoyen sensible à son environnement.

La durabilité de notre environnement commence par une écologie de l’esprit. N’oublions pas que les termes écologie et économie ont la même étymologie : le terme eikos qui signifie habitat, maison. L’écologie, c’est le discours et la science qui président à la gouvernance de son habitat. Comme l’écologie consiste dans l’intégration de plusieurs sciences qui étudient les interactions des êtres vivants et de leur environnement, protéger une rivière, une forêt, un oiseau, un poisson, une berge, c’est protéger un écosystème, c’est protéger la vie.

Et comme le disait le philosophe Jacques Dufresne, porteur d’eau à EAU SECOURS! et qui parle beaucoup d’écologie sur son site l’Agora : L’éthique est l’esthétique de l’âme, tandis que l’esthétique est l’éthique de l’environnement.

Il existe encore un troisième type de rencontre avec la nature. C’est celle du parfait romantique qui la considère comme une force extérieure, une force sacrée qu’il faut vénérer, voire adorer. Ce troisième type, prétextant que seul est naturel ce qui n’est pas encore dénaturé par l’homme, peut facilement tomber dans l’écoterrorisme et vouloir faire sauter tous les méchants profiteurs qui profanent la nature nourricière.

Ces trois différentes perceptions des rapports entre la nature et la culture concernent directement l’éthique sociale, la dignité humaine et la démocratie. L’eau transcende les affaires et la politique. L’enjeu du Sommet de Johannesburg était de taille :

« Mettre le secteur privé au service de la protection de l’environnement. »
(Louis-Gilles Francoeur, L’actualité, sept. 2002).

Ce ne sont pas les gouvernements qui auront le dernier mot, c’est la nature. Il appartient aux citoyens de dire à leurs élus ce qu’ils pensent de cet enjeu vital. Selon l’éminent écologiste Pierre Dansereau, l’un des porteurs d’eau à EAU SECOURS, la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau qui rejoint déjà plus de 1,2 million de personnes : « La privatisation va à l’encontre de la pensée écologique laquelle exige connaissance, planification et partage, les trois défis qu’il assigne aux sociétés et gouvernements du troisième millénaire. »

Les grands dossiers de l’eau concernent directement chaque citoyenne et chaque citoyen et leurs enjeux mettent en péril la démocratie. Voici quelques thèmes majeurs qui doivent activer notre vigilance : l’embouteillage, l’exploitation commerciale et l’exportation en vrac de l’eau; la privatisation du service de l’eau; la tarification des infrastructures de l’eau; l’installation de compteurs d’eau dans les résidences privées, les institutions, les commerces et les industries; la contamination des eaux souterraines; la pollution agroalimentaire, la pollution industrielle, la pollution des herbiers marins, des lacs, des rivières, du fleuve et des côtes; les programmes d’économie d’eau; la qualité des eaux potables; la propriété de l’eau et la marchandisation de l’eau; les traités commerciaux internationaux traitant de l’eau; l’eau et santé publique; le gaspillage de l’eau.

Parlant de démocratie, n’est-il pas outrageant de constater que sur cette planète, ce sont les pays analphabètes, les pays les plus pauvres, qui sont le plus souvent en manque d’eau potable? Comme l’or bleu est appelé à devenir la source de l’économie mondiale, les tenants de la privatisation, dont l’alphabet n’est fait que de chiffres, veulent en profiter en faisant fi de la démocratie. Si l’eau est l’alphabet de la vie matérielle, l’alphabétisation est la source vive de la vie intellectuelle et spirituelle.

Et comme on peut déjà le constater dans les rapports internationaux entre plusieurs pays, l’eau est un enjeu d’une telle importance qu’elle peut être la source de guerres.

« L’eau ne devrait pas couler trop longtemps sous les ponts avant de se retrouver au coeur de conflits armés un peu partout sur la planète, estime aujourd’hui l’ONU. »

L’appropriation de l’eau par des intérêts privés menace la paix dans le monde et fragilise le développement des pays économiquement faibles. L’organisation mondiale de la santé estime que « toutes les 8 secondes, un enfant meurt d’une maladie liée à la pénurie d’eau potable et de services sanitaires ».

Mais à qui appartient l’eau ?

Sur le plan philosophique, l’eau est un bien collectif. Sur le plan politique, l’eau appartient à la Couronne (aux terres gérées par les gouvernements national, provincial et municipal). Sur le plan pratique, c’est-à-dire économique, l’eau appartient à ceux qui ont les moyens de la produire et la considèrent comme une marchandise : les grandes compagnies privées, les transnationales qui veulent la privatiser.

C’est pourquoi la Coalition Eau Secours demande aux gouvernements du Canada et du Québec, qu’ils se retirent des traités commerciaux (Article 11 de l’ALENA-ZLEA)

Car, demander à qui appartient l’eau, c’est demander aussi à qui appartiennent les étoiles, le ciel, la lumière, l’air et la terre. L’eau, l’air, la terre ne nous appartiennent pas. Nous appartenons à l’eau, à l’air, à la terre, au Soleil, car sans ces éléments, aucune vie ne peut exister.

L’eau appartient à l’eau, à la source, au ruisseau, à la rivière, au lac, au fleuve, à la mer à l’océan et finalement, au ciel. Si l’eau appartient à quelqu’un, c’est à l’humanité toute entière.

Mais elle n’appartient pas seulement au règne humain. Les règnes minéral, végétal et animal en sont aussi d’essentiels héritiers sans qui le règne humain ne pourrait subsister. La conquête de l’eau est devenue l’enjeu le plus important de la planète Terre.

En conclusion, si nous voulons la paix sur Terre, il faut donner à tous ses habitants sans exception, de qualité potable en quantité suffisante. Sinon, c’est toute une civilisation qui finira par devenir un désert.

 

Les conquistadors

L’esprit yankee plane sur Mars et ses eaux
Son Spirit rouge est un savant robot
Et la NASA gaspille des milliards
Pour qu’il y trouve le trésor de l’or bleu

Pendant que sur Terre c’est la ruée vers l’or noir
Qui donne aux Bush leur sale soif du pouvoir (oui mais)
Pour des milliards d’humains l’eau douce est rare
La guerre de l’eau c’est la faute aux conquistadors

C’est par la soif que les conquistadors
Donneront la mort aux petits aux moins forts
Qui possède l’eau possède toute la Terre
Qui possède l’eau possédera l’Univers
Et la vie

L’esprit de l’homme est encore dans la Lune
Il rêve en rose de conquérir les cieux
Pour le même prix et il ferait la une
Pourquoi ne pas donner à tous l’or bleu

Le plus grand rêve pour toute l’humanité
C’est d’en finir avec la pauvreté (oui car)
Quand tous les pauvres pourront boire de l’eau pure
L’humanité aura la paix et un futur

L’esprit de l’eau pure plane au-dessus de nos consciences.
L’esprit de l’eau pure crie EAU SECOURS!

Raôul Duguay, poète et philosophe,
Représentant des Porteuses et Porteurs d’eau à EAU SECOURS!