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Les Artistes pour la Paix avaient d’immenses expectatives

Affiche_3_JeVousSalueSalopeNous nourrissions de grandes expectatives pour ce film de notre ex-présidente Guylaine Maroist, auquel nous nous pressâmes, Sylva Balassanian, Izabella Marengo et moi (photo) à la première du 7 septembre au Théâtre Outremont. Étrange que dix ans plus tôt, jour pour jour, on se pressait à la première de Gentilly or not to be dans une semblable effervescence politique qui allait radicalement changer notre Québec !

Au rendez-vous d’hier, il manquait hélas la co-présidente Louise Marie Beauchamp, retenue par un tournage qui se prolongea indûment et le v-p Normand Raymond au calendrier chargé de rendez-vous artistiques autochtones sur la Côte-Nord dont aucun média ne parle, préférant focaliser l’attention des Canadiens sur le tueur au couteau de la réserve de la nation crie James Smith en Saskatchewan: heureusement, l’émission de Patrick Masbourian à Radio-Canada invitait, avec ses informations autres que le nombre  de chars ou d’hélicoptères employés par la GRC, Isabelle Picard, ethnologue chargée de cours à l’UQAM, intelligemment documentée sur les terribles souffrances aggravées par la négligence du fédéral de cette communauté éprouvée à qui nous offrons nos condoléances.

D’autre part, on craignait que la première du film n’attire ni les foules ni les journalistes (il y eut le photographe du Journal de Montréal – voir édition du 8 septembre), vu que

■ au même soir, Radio-Canada avait une énième ouverture officielle de sa nouvelle Maison, sans nous inviter, ni Guy Fournier qui s’en plaint dans un article de la même édition du 8;

■ dès le 9, le film sera présenté toute la semaine au Cinéma Beaubien, à la Cinémathèque Québécoise et dans seize autres cinémas du Québec, jusqu’à quatre fois par jour;

■ et surtout avait lieu, le même soir, la première d’un autre grand projet féministe sous forme d’opéra présenté au Théâtre du Rideau-Vert, une réussite lancée par TVA, pilotée par une de nos musiciennes préférées Catherine Major, à partir du texte fabuleux d’Albertine en cinq temps de notre Michel Tremblay national et international.

Sans don d’ubiquité, les féministes ne furent pas les seules à se presser à la première de l’Outremont, car à l’effervescence de la foule, se mêlaient des candidatEs de tous les partis en campagne électorale, y compris Vincent Marrissal et Ruba Ghazal de Québec Solidaire, puis Haroun Bouazzi  de QS, l’adversaire très articulé d’Audrey Murray, une avocate qui se présente pour la CAQ dans la circonscription Maurice-Richard où travaille, à l’école Joseph-François-Perrault, le chef innu du Choeur UQAM, Pascal Côté. Audrey est l’épouse du grand comédien de théâtre présent à ses côtés, Jean-François Casabonne, dont la sœur et son parti brillaient par leur absence (c’est d’ailleurs leur meilleure ou même leur seule façon de briller !).

Dans la foule, j’ai reconnu l’humoriste et auteur prolifique de chansons Pierre Huet, l’incomparable Janette Bertrand, l’étincelant comédien David La Haye (Arlette et Confessions de Luc Picard), les Hénaut de l’ONF : Dorothy est membre active des APLP et Suzanne a joué un très grand rôle pour l’obtention du financement nécessaire à la réalisation du film, sans que j’aie compris s’il s’agissait du Fonds TELUS, de Radio-Canada ou de Téléfilm Canada.

Nous signâmes l’immense affiche du film dans l’entrée du cinéma et LA PÉTITION ESSENTIELLE qui accompagne sa promotion, une « initiative financée par le Secrétariat à la condition féminine du Québec, produite et réalisée par Juripop et La Ruelle Films. #StopLesCyberviolences vise à conscientiser les Québécois.es à la problématique grandissante de la cyberviolence contre les femmes. Cette campagne comporte deux volets et des ressources d’aides aux victimes. »

Enfin, j’avoue que mes appréhensions étaient nourries par l’expérience décevante de la première montréalaise, avec solide présence solidaire de la communauté gaie au Centre Pierre-Péladeau sold out, un mois plus tôt, d’un opéra dont le compositeur Éric Champagne ainsi que les librettistes, la poète Hélène Dorion et feue Marie-Claire Blais, fidèle APLP quand tous nous désertaient, furent malgré leur immense talent carrément décevants, même sous une interprétation des Violons du Roy et mise en scène et scénographie d’Angela Konrad et d’Anick La Bissonnière parfaitement réussies. Je vivais par conséquent la même appréhension de voir un autre magnifique sujet, après la majestueuse personne de Marguerite Yourcenar, s’éparpiller en radotages mesquins gâchant l’ensemble.

Ceci entretient-il suffisamment le suspens avant de vous livrer le fond de ma pensée…?

Le salut féministe de l’âme, attaqué de toutes parts

C’est une préoccupation majeure des Artistes pour la Paix, dont la traduction du texte controversé de notre amie autrice de La servante écarlate [1], Margaret Atwood, a été applaudie par l’autrice elle-même il y a un mois, sans qu’il soit repris par aucun média francophone. Mais aujourd’hui, même le grand journaliste Michel Désautels succombe à une logorrhée cherchant à faire de la Reine Élizabeth II un parangon de vertu politique, derrière la vacuité des discours pompiers vantant le Commonwealth (appellation si mercantile) qu’on chante ad nauseam autant sur LCN qu’à Radio-Canada (et je n’ose imaginer la diarrhée de commentaires dans les postes anglophones), car c’est la journée de la mort de la souveraine impériale sous les accents de Make Great-Britain Great Again, sans vouloir manquer de respect à sa personne, seulement à sa job idiote de parasite, si je paraphrase mon ami Amir Khadir.

Salut, par définition du dictionnaire, est « le fait d’échapper à un grave danger qui pourrait remettre en cause son existence » et je parle du féminisme, non de la Reine. Avec quel respect incontournable DOIT-ON saluer (salva !) les femmes de ce film à qui Léa Clermont-Dion, Guylaine Maroist et son compagnon de vie et d’art, Éric Ruel, rendent un solide hommage, derrière le titre irrévérencieux.

Je rappelle en deux mots l’histoire éminemment respectable des Films de la Ruelle avec deux films très courageux qui avaient investigué les coulisses sombres de l’argent qui offre à notre société nord-américaine un paravent hypocrite abritant de toute critique les centrales nucléaires utilisées par les puissants à des fins inavouables à l’aide, sans vergogne, de nos impôts, ainsi que les bombes atomiques de l’OTAN et du Royaume-Uni.

La petite histoire derrière l’Histoire est la devise d’Éric et Guylaine, lorsqu’ils grattent les historiettes croustillantes derrière Jukebox, God save (!) Justin Trudeau et les États-Désunis du Canada. Mais leurs réussites les plus flamboyantes surviennent quand, derrière un sujet maintes fois commenté au point d’être émietté dans une vision individualisée de stories, ils réussissent à révéler l’Histoire (avec sa grande hache !) :

  • Gentilly or not to be, devenu John Charest no more to be (on verra samedi), lorsqu’il s’obstina à restaurer une centrale nucléaire vieillissante en terrain instable;
  • EXPO67, mission impossible où le mot mission réhabilite le sens de nos missionnaires partis évangéliser avec une bible les petits Chinois ou les pensionnats d’indiens, en illustrant plutôt combien les pays de l’étranger nous ont illuminés de leur art, y compris culinaire, sur deux îles que des visionnaires ont fait émerger du Saint-Laurent;
  • Je vous salue salopes – où des exemples tonitruants et troublants de misogynie au temps du numérique quittent, par leur accumulation, le domaine de l’anecdote pour poser une question historique déterminante : l’humanité arrivera-t-elle à se libérer de la mainmise des hommes sur les armées, les affaires et la religion ?

 

La qualité de montage des films de La Ruelle est légendaire : comment ne pas admirer aujourd’hui un film présent dans cinq pays différents, avec un discours cohérent pour nous du Québec ? Car au départ, il décrit sans complaisance la situation de nos jeunes encore à l’école, assaillies sur facebook par des commentaires du genre « sale chienne », « t’es laide », « m’a t’violer avec ma gang ». Et le film s’attache à Laurence Gratton dont on voit l’évolution dramatique dans son corps, d’abord de belle grande fille au regard allumé d’intelligence, puis de victime éteinte et désemparée par cinq années de harcèlement d’un camarade de classe jaloux, que la police se déclare impuissante à accuser derrière le statut LIBÂRTÉ d’expression de Facebook, dont Éric Duhaime est le seul des chefs de partis à ne pas vouloir éliminer les membres anonymes. À la fin du film, on découvre celle qui est passée à travers et enseigne maintenant à des jeunes filles aussi brillantes qu’elle. Laurence fut applaudie sur la scène du cinéma Outremont, avec l’ex-politicienne afro-américaine Kiah Morris, l’héroïne du film qui a fait le voyage du Vermont avec son touchant mari, qui ont dû déménager et sortir de la politique vénéneuse de Donald « grab them by the pussy! » Trump. Peut-on seulement imaginer une seconde ce que ses consoeurs démocrates vivent dans les États racistes du Sud, avec les nouvelles lois anti-avortement et la Cour Suprême aux mains des suprémacistes blancs anti-GIEC ?

Des « pacifistes » au discours à l’eau de rose seront choqués par les nombreux exemples de discours haineux de misogynie du film, au lieu de s’insurger contre leur violence et leurs conséquences tragiques sur les femmes qui en sont victimes : le moment le plus déchirant étant le discours du père de Rehtaeh Parsons, dont je ne vous dis rien pour ne pas divulgâcher ce rare moment d’un discours masculin respectueux. Les réalisatrices ont justement plaidé : « On veut que les gens comprennent, mais surtout qu’ils ressentent ce que ces femmes vivent, qu’ils se mettent dans leur peau, qu’ils vivent leur cauchemar ».

La féministe française Marion Seclin a reçu plus de 40 000 messages sexistes et menaces de viol et de mort après avoir lancé une vidéo youtube sur le harcèlement de rue (minimisé par l’intellectuelle française Catherine Millet).

L’ex-présidente du Parlement italien, la démocrate ancienne porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Laura Boldrini, est menacée de mort et de viol par un maire de droite qu’elle poursuit et le lendemain de sa victoire en cour qu’elle publicise en souriant au pays entier, elle reçoit par la poste une balle de pistolet et son effigie est brûlée en pleine rue !

L’autrice et spécialiste de la misogynie en ligne Donna Zuckerberg, la sœur de Mark, fondateur de Facebook, critique l’inaction coupable des plateformes numériques, y compris celle de son frère, en matière de cyberharcèlement et de messages haineux.

« Pour que les choses changent, il faut sensibiliser les gens à ce phénomène grave. On souhaite que notre film soit utilisé comme un outil de prévention, d’éducation pour contrer la banalisation de la misogynie en ligne », espère Léa Clermont-Dion, dont le doctorat portait justement sur les discours antiféministes en ligne.

Les réalisatrices ont essuyé de nombreux refus et désistements à la toute dernière minute de certaines femmes craignant pour leur sécurité. Elles-mêmes ont subi des appels anonymes, lors des annonces de leur projet, mais estiment ne plus pouvoir se défiler, après avoir partagé ces histoires cauchemardesques souvent banalisées par les autorités policières et autres, qui ne savent comment contrer le harcèlement sexuel, particulièrement développé chez les militaires américains, comme on le découvre dans la partie consacrée à la courageuse Kiah Morris (aux États-Unis, il y a eu pendant la COVID 30% d’augmentation des viols et autres agressions dans l’armée).

Les Artistes pour la Paix espèrent de tout cœur que l’impact du film soit tel qu’il forcera la population et nos instances gouvernementales à réagir.

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Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist.
Photo : Marie-France Coallier / Le Devoir


[1] Le livre vient d’être banni des bibliothèques des états républicains sexistes du Sud.