Catherine Dorion était la porte-parole artiste de Québec-Solidaire (par Pierre Jasmin)

Par les Artistes pour la Paix 

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Les médias sensationnalistes ont pour but politique de saboter toutes réflexions collectives pour les ramener à de vulgaires expressions jugées égocentriques et cela vaut surtout pour les artistes dont la vocation tient à une profonde exploration personnelle, même et surtout quand elle débouche sur une prise de conscience ennemie du capitalisme. D’où la censure quasi-totale des médias appliquée aux Artistes pour la Paix.

On comprend les Cowboys Fringants d’avoir toujours refusé les invitations médiatiques, jugeant leurs propres messages chantés par Karl Tremblay, écrits par Jean-François Pauzé, réfléchis par Jérôme Dupras et irlandisés/québécisés par les danses, violon et accordéon de Marie-Annick Lépine suffisamment explicites, sans besoin d’aller faire les beaux à la TV et d’altérer ainsi la pureté de leur art sans compromis.

Les médias prennent plaisir à déceler, dans le nouvel ouvrage de Catherine Dorion, un sabotage de l’autorité du co-chef de Québec Solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois (qui a humblement accepté les rares reproches de l’ex-députée), mais ne transmettent pas l’admiration aimante due à Manon Massé dont on ne dira jamais assez combien sa vision collective a changé la politique. En appui à Catherine, on lira une opinion dans Le Devoiri ainsi que dans Presse gauche le sincère et vrai témoignage d’André Frappierii. On admire le courage de la députée de Sherbrooke, Christine Labrie, qui devant le tollé unanime des journaleux contre sa consoeur, a fait une conférence de presse pour la défendre.

Une femme peut-elle se permettre de faire aujourd’hui ce qu’un artiste-homme faisait il y a quarante-six ans, tel que rapporté par Josée Blanchette dans le DEVOIR du 24 novembre :

Depuis sa sortie, le mois dernier, je feuillette la biographie sur Gérald Godin, écrite de façon fouillée et passionnante par le prof d’histoire littéraire Jonathan Livernois. Élu en 1976 et remportant le comté de Mercier contre Robert Bourassa qui l’avait envoyé en prison six ans plus tôt durant la crise d’Octobre, on peut dire que ce politicien/poète/journaliste ne pratiquait pas la langue de bois. Il est mort en poste, à 55 ans. Je me délecte de certaines anecdotes, comme celle où Godin sort 3000 $ de sa petite caisse de comté en 1977 pour aider Paule Baillargeon venue le voir pour faire son film La cuisine rouge. Paule n’en était pas revenue. On n’aidait pas juste les joueurs de hockey dans ce temps-là. Mais la plus suave, c’est lorsque Gérald va porter une télé (la sienne) à un vieux monsieur de son comté pour qu’il puisse regarder la Sainte Flanelle. « Gérald branche le téléviseur et dit au vieux monsieur : “Vous allez avoir le hockey”. […] La réaction de Pauline Julien [sa conjointe] en rentrant chez elle : “Tabarnak Godin, qu’est-ce que t’as fait avec notre TV ?” » J’ai essayé de m’imaginer Pierre Fitzgibbon faisant la même chose aujourd’hui. Godin est un livre tricoté serré avec de multiples références journalistiques, artistiques et politiques. Bref, un must sous le sapin…

Et ce n’est pas seulement une question féministe, dont Québec-Solidaire s’acquittera après-demain de façon irréprochable peu importe qui sera élue, vu la formidable qualité intrinsèque des trois candidates Ghazal, Labrie ou Lessard-Therrien. La question pourrait être à savoir si unE artiste peut exprimer le fond de sa pensée politique aujourd’hui sans être ramenéE à un cadre politique ennuyeux, qu’il soit gouvernemental ou contestataire? A-t-on le droit (et le Devoir répond par la négative en n’acceptant aucun de nos articles depuis trois ans) d’exprimer une pensée qui s’insurge contre le militarisme assassin ambiant, comme le faisait Godin selon www.pierdelune.com :

« Dans un texte écrit pour Le Devoir en avril 1980, Gérald Godin fait le lien entre la poésie et la politique: « La question n’est pas de savoir ce que les poètes font en politique, mais bien plutôt ce que la politique fait aux poètes. Quant à moi, au cœur d’une mêlée dont je n’imaginais pas la millième partie, je n’ai plus le choix. Je suis dans la politique comme d’autres sont dans la finance. Je ne me possède plus. »

Il décrit son appartenance au langage en ces termes: » Les mots sont citoyens de la poésie. Innombrables, imprévisibles, vivants, dynamiques, changeants, intraitables et qui, au fond, dominent absolument ceux qui croient s’en servir. « 

Il chérit particulièrement le mot « liberté ». Poète, il lie sa parole à celle de son peuple [et de son épouse Pauline Julien – prix posthume APLP2019, accepté par sa fille Pascale Galipeau -, à qui un spectacle collectif intitulé la Renarde a rendu un hommage artistique mérité]. Gérald G. concluait: « En poésie, il faut oser être simple, modeste, familier. Je ne suis pas un poète de laboratoire. Je suis dans la ruelle derrière. Je fais une poésie de piétons. »

Catherine Dorion ne mérite-t-elle pas la même liberté, revendiquée aussi par notre APLP de l’Année 2001, Marcelle Ferron, co-signataire du Refus Global:

« L’artiste, disait-elle, est toujours rebelle, hostile à toutes les formes de dictature. C’est pour ça qu’il est toujours le premier à être mis en prison [la pacifiste Alexandra Skotchilenko condamnée à 7 ans de prison pour des étiquettes sur des légumes]. Il représente la liberté et la gratuité, et même si on lui coupait la tête, on ne pourrait jamais lui enlever ses rêves, comme le dit une légende chinoise ».

Catherine Dorion choque par deux éléments qui devraient pourtant lui assurer une certaine immunité : sa jeunesse traduite dans de pauvres habillements et son discours libre artistique reflété dans son film, tourné avec les derniers sous accordés à sa fonction de députée, marquant sa solidarité avec Sol Zanetti et Émilise Therrien-Lessardiii.

Son éditeur résume ainsi sa dernière oeuvre Les têtes brûlées : carnets d’espoir PUNK en débutant par une citation jouissive (sensation connue par les APLP !) de l’autrice :

« Il y a quelque chose de sensuel à ne pas céder aux exigences d’une élite au pouvoir, quelque chose d’excitant dans le début d’incertitude qui naît dans les yeux de l’élite lorsqu’elle se rend compte qu’elle a devant elle une femme ou un homme qui n’a pas peur. » Un jour d’automne 2018, une tête brûlée, portée par d’autres têtes brûlées, se fait élire au cœur d’une ville que le reste du Québec avait abandonnée à la droite populiste. Refusant de se couler dans le moule de la députée en série, elle s’apprête à frapper fort – mais aussi à recevoir la pire volée de sa vie.