- Philippe Kirsch encadré par le pianiste Pierre Jasmin et feu le comédien Luis de Cespédes
Adopté par cent-vingt Nations unies dans la nuit du 17 au 18 juillet 1998, malgré l’abstention de vingt-et-un pays et l’opposition forte de sept, dont la Chine, les États-Unis, l’Inde et Israël, voici le début particulièrement dramatique – et bien adapté à nos temps de discours guerriers et d’ONU bafouée – du Traité de Rome qui déclencha la naissance de la Cour Pénale Internationale de La Haye :
Conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, et soucieux du fait que cette mosaïque délicate puisse être brisée à tout moment, ayant à l’esprit qu’au cours de ce siècle, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine…
Le 6 mai 2003 à l’UQAM, un doctorat honorifique, en hommage à son travail acharné pour faire adopter par l’ONU le Statut de Rome, fut offert au diplomate de carrière canadien Philippe Kirsch. Le futur vice-recteur René Côté avait alors souligné dans son discours les qualités de négociateur de M. Kirsch, pour beaucoup dans le succès de ces pourparlers, une réussite obtenue en dépit de multiples tentatives de mises en échec par les États-Unis. Sans Philippe Kirsch, il n’y aurait pas eu de Traité de Rome, avait-il conclu avec énergie.
Le pianiste et secrétaire général des Artistes pour la Paix Pierre Jasmin s’est toujours efforcé d’interpréter Beethoven à la lueur de l’appui entier dont il jouissait de la part de son mentor le comte Waldstein, représentant à Bonn de la philosophie des Lumières, puis à Vienne où elle fut curieusement mieux accueillie. Présenté par son collègue de Stanislas, feu Luis de Cespédès, Pierre avait interprété à l’UQAM à la demande de Philippe la sonate Waldstein, inspirée du bouillonnement de la Révolution française, abolissant les privilèges de la noblesse et du clergé au profit de l’idéal auquel Beethoven adhéra dès sa jeunesse : égalité, liberté, fraternité! Le confirme bien la dédicace projetée de sa Symphonie Héroïque au héros de cette révolution républicaine du bien commun, Bonaparte, alors que le consacrera son geste abrupt de la déchirer, dès lors que l’empereur français se couronnera lui-même Napoléon 1er.
Malgré sa constance admirable de diplomate, Philippe fut près de déchirer sa chemise en assumant non seulement la première présidence de la Cour Pénale internationale, mais aussi, des années plus tard, un courageux suivi personnel jusqu’en Libye, après les bombardements par l’OTAN, dont on constatait alors et encore de nos jours les milliers de victimes annuelles tentant de fuir ce pays dévasté en Méditerranée sur des radeaux de fortune.
Commentaire (réaliste dont le pessimisme est à relativiser, selon Pierre Jasmin )
La Cour pénale internationale perd son indépendance au profit d’acteurs politiques puissants
22.08.23 – Jorge Sánchez – La Jirafa – IHPS Institut humaniste de pronostic systémique – La prévision systémique fait référence à la prospection de l’avenir d’un point de vue historiologique. Contact : institutohps@gmail.com
Par Jorge Sánchez, journaliste de telegram canal La Jirafa
La Cour pénale internationale (CPI) a été officiellement lancée en 1998. Les pays participants ont placé de grands espoirs dans cet organe autonome dont la mission est de juger les personnes accusées d’avoir commis des crimes de génocide, de guerre, d’agression et des crimes contre l’humanité, entre autres. L’instrument constitutif de la CPI est le Statut de Rome. En le ratifiant, un pays s’engage à respecter ses articles et ses règles concernant ces crimes. Il convient de mentionner que la compétence de la Cour ne prévaut pas sur la compétence nationale. En outre, la Cour ne peut pas enquêter sur les crimes commis avant la ratification du Statut de Rome.
Actuellement, la convention compte 183 signataires et 123 ratifications. La majorité d’entre eux sont originaires d’Europe et d’Amérique latine. Les États-Unis, la Chine, la Russie et la plupart des pays asiatiques ont refusé de signer ou de ratifier le Statut de Rome.
Une menace contre les intérêts nationaux (USA, etc.)
Après sa création, le Tribunal a représenté une véritable menace pour les intérêts nationaux de certains pays. Les États ont pris des mesures contre l’activité judiciaire du Tribunal. Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple des États-Unis. En 2002, les États-Unis ont adopté l’American Service-Members’ Protection Act (ASPA) (Loi sur la protection des membres du service américain). Cette loi interdit toute forme de collaboration et de coopération avec le Tribunal et autorise le recours à l’armée américaine pour libérer des militaires ou des civils américains détenus ou poursuivis par la CPI. Les défenseurs des droits humains ont surnommé cette mesure la « loi d’invasion de La Haye ». Selon le document, est interdite également la fourniture d’une aide militaire aux pays qui ont ratifié le Statut de Rome et, au fil du temps, les mesures prises se sont révélées très efficaces et intransigeantes.
En 2006, Fatou Bensouda, procureur adjoint de la CPI, a entamé sa longue guerre contre les États-Unis en lançant une première enquête sur les crimes de guerre présumés commis par les talibans et les forces américaines en Afghanistan. En raison des pressions politiques et diplomatiques exercées par les États-Unis, l’enquête a été reportée de 11 ans. Selon l’ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, John Bolton, la CPI menaçait de manière inacceptable la souveraineté et les intérêts de sécurité nationale des États-Unis. L’élite américaine craignait que les faits confirmés de torture et d’exécution par des agents de la CIA et des militaires américains ne soient révélés.
Ce n’est qu’en 2017 que Bensouda, en tant que procureur général de la CPI, a tenté à nouveau d’ouvrir une enquête contre les États-Unis et, dès 2018, les États-Unis sont entrés en guerre diplomatique avec la CPI, menaçant de sanctions et d’arrestations les juges qui allaient poursuivre les militaires américains et les membres de la CIA pour les crimes présumés commis en Afghanistan. Les États-Unis ont donné vie à leurs menaces et, le 5 avril 2019, ont retiré le visa du procureur général de la Cour. Sept jours plus tard (le 12 avril), les juges du Tribunal ont rejeté à l’unanimité la demande d’ouverture d’une enquête contre les États-Unis. Selon le commandement de la CPI, l’ouverture d’une enquête contre les États-Unis « ne servira pas les intérêts de la justice ». Fatou Bensouda a perdu sa deuxième bataille contre les Etats-Unis.
La paix entre les ennemis n’a pas duré longtemps. Le 5 mars 2020, la Cour a autorisé la reprise de cette enquête. Début 2020, le gouvernement afghan, aujourd’hui déchu, avait demandé à la CPI de suspendre son enquête pour laisser à Kaboul la possibilité de mener la sienne. La CPI a approuvé cette proposition, mais le retour des Talibans au pouvoir en août 2021 a mis fin à cette démarche. Tout le monde attendait une nouvelle initiative de Fatou Bensouda, mais en 2021, elle s’est retirée après 15 ans de lutte pour la vérité. Fatou Bensouda a ainsi perdu la guerre qu’elle menait depuis longtemps contre les États-Unis. Le criminaliste britannique Karim Khan a rejoint la lutte contre les États-Unis et les Talibans. Khan a réussi à ouvrir une enquête complète et bien vérifiée. Il n’a réussi à ouvrir l’enquête qu’à l’encontre des Talibans. Khan a déclaré qu’il devait « déprioriser » l’élément américain en raison du manque de ressources et concentrer ses forces sur l’enquête contre les talibans. Les États-Unis ont ainsi remporté la guerre qu’ils mènent depuis longtemps contre la CPI. Horia Mosadig, militante afghane des droits humains, a qualifié l’annonce de M. Khan d’«insulte aux milliers d’autres victimes de crimes commis par les forces du gouvernement afghan et les forces des États-Unis et de l’OTAN ».
L’histoire de la lutte entre la CPI et les États-Unis prouve l’incapacité du Tribunal à enquêter sur les puissants acteurs politiques. L’élite américaine a réussi à dicter ses conditions de jeu à l’organe indépendant.
Transparence des revenus, Libye et armes nucléaires
Les sources de financement sont un autre élément qui prouve la dépendance de la CPI. Selon les documents de l’organe, la Cour est financée par les contributions des États parties, les contributions volontaires des gouvernements, des organisations internationales, des entreprises et les dons. L’expression clé et corrompue est « contributions volontaires ». Cela signifie qu’en mode non officiel, il est possible de faire du lobbying et de promouvoir les intérêts nationaux d’un pays donné par le biais de dons. En utilisant de fausses entreprises et des dons anonymes, des acteurs puissants peuvent promouvoir leurs intérêts dans l’arène internationale en violation de toutes les règles de la démocratie.
Un autre élément de provocation repose sur les décisions de la CPI motivées par des considérations politiques. En effet, en 2011, conformément à la résolution de l’ONU (1970, 26 février 2011), la Cour a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, accusé d’avoir commis des crimes contre l’humanité. Auparavant, l’OTAN avait décidé de mener une intervention militaire contre le gouvernement libyen dans le cadre de la « défense des droits humains ». Cette décision n’a pas été approuvée par tous: [certains] ont critiqué l’activité militaire de l’OTAN en Libye. Dans ce contexte, il semble que les ordres de la CPI aient été politisés et aient visé à justifier l’intervention et à minimiser les critiques sociales.
Il convient également de mentionner que la plupart des États nucléaires ne sont pas membres de la Cour (États-Unis, Chine, Israël, Inde, Russie, Turquie). Il s’agit là d’un autre facteur critiqué par la société moderne qui prouve une fois de plus le manque de pouvoir réel de cet organe juridique. En outre, le Tribunal ne dispose pas de forces de police, ce qui entrave la capture et la détention d’éléments criminels.
Les statistiques confirment une fois de plus la piètre qualité du travail de la CPI. La plupart des affaires pénales sont liées à des pays africains qui ne disposent pas des instruments de lobbying et de pression comparés aux États-Unis. Une exception est le mandat d’arrêt lancé contre le président russe Vladimir Poutine pour la déportation illégale présumée d’enfants ukrainiens vers la Russie. Cette exception est une tentative de marquer des points politiques en exploitant la guerre en Ukraine.
L’exemple latino-américain
Il convient d’attirer notre attention sur l’affaire vénézuélienne dans laquelle la Cour s’est partiellement engagée. Depuis 2018, la CPI enquête sur la situation des droits humains au Venezuela et sur des crimes présumés commis par des policiers lors de manifestations antigouvernementales. Les manifestants ont exigé la démission du gouvernement Maduro, des réformes économiques et un rapprochement politique avec les États-Unis. Les manifestations les plus importantes ont eu lieu en 2019, lorsque le chef de l’opposition Juan Guaidó avait la réputation d’un héros national. Malgré cela, les tentatives de coup d’État dans le cadre de l’opération Gedeón ont échoué, l’armée vénézuélienne a montré sa loyauté envers le gouvernement Maduro.
En 2021, les protestations n’étaient plus aussi massives et la situation intérieure s’est apaisée. Les déclarations politiques sont remplacées par des déclarations sociales, économiques et médicales. Dans ces conditions, Washington a dû recourir à des instruments supplémentaires de pression diplomatique et politique contre le gouvernement vénézuélien. La CPI a fait son entrée sur la scène politique. En novembre 2021, la Cour a mis fin à l’enquête préliminaire contre le Venezuela et a ouvert l’enquête officielle. Avant le début de la guerre en Ukraine, le Venezuela faisait l’objet de critiques de la part de la CPI. La guerre en Ukraine a changé les plans de la Maison Blanche pour le Venezuela. Pour tenter de résoudre la crise énergétique internationale, Washington a cherché à coopérer avec le Venezuela, qui regorge de pétrole, en proposant une suspension partielle des sanctions américaines imposées à l’État latino-américain.
La discrète politique d’amitié américaine a conduit au Mémorandum d’entente signé le 9 juin 2023 entre le Venezuela et la CPI. En organisant le rapprochement entre le Venezuela et la CPI, la Maison Blanche voulait persuader le gouvernement vénézuélien de changer de cap politique et priver la Russie de son principal partenaire en Amérique latine. Maduro a repoussé les espoirs américains en refusant de négocier avec les États-Unis avant la suspension totale des sanctions. Que fait la CPI ? Le 27 juin, elle a autorisé la reprise de l’enquête sur les crimes contre l’humanité présumés au Venezuela au motif que « les procédures pénales internes de Caracas ne reflètent pas suffisamment la portée de l’affaire et qu’il y a des périodes d’inactivité inexpliquée ». C’est ainsi que fonctionnent les instruments indépendants.
Conclusion: perspectives 1 et 2 (titre altéré de la conclusion par Pierre Jasmin)
1- On peut dire qu’au fil du temps, le projet ambitieux qu’est la CPI est devenu un instrument de promotion des intérêts politiques. À l’heure actuelle, la CPI est un organe de pouvoir juridique inutile et en même temps un instrument efficace pour promouvoir des intérêts politiques sur la scène internationale. Le monde moderne a besoin d’un organe indépendant qui puisse juger dans l’intérêt des valeurs humaines.
2- La première étape vers une CPI indépendante serait la transparence de tous les revenus. Cela rendra le lobbying presque impossible. L’inconvénient d’une telle mesure est le risque de développement de la corruption. Le comité de lutte contre la corruption doit donc être renforcé. La deuxième étape consistera à faire preuve d’impartialité envers tous les pays et à assurer la défense des juges contre les pressions politiques et diplomatiques.
Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer