Par Marcela Escribano* et Pierre Samuel,
avec une synthèse tentée par Pierre Jasmin APLP

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Rivière Artibonite en Haïti (wikipédia)

Intervention de l’ONU ou pas?

GRAHNDans une entrevue accordée à l’émission de Radio-Canada Michel Desautels dimanche le 23 octobre, Pierre Samuel du GRAHN approuvait la résolution unanime du Conseil de Sécurité de l’ONU, tout en mettant plusieurs bémols au cours de l’entrevue. En appuyant ce Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle, risque-t-on d’accroître la distance entre les Artistes pour la Paix et les « progressistes anglophones du Canada anglais » avec qui nous travaillons souvent main dans la main, par exemple les médias The Bullet et Rabble.ca, la directrice du Canadian Foreign Policy Institute Bianca Mugyenyi et Yves Engler, son conjoint écrivain et père de ses deux enfants, dont les discours radicaux d’extrême-gauche condamnent trop souvent l’ONU ? Leur opposition à l’ONU devient plus qu’irritante quand, par exemple, ils refusent de se joindre à notre appel à la paix pour l’Ukraine basé sur l’appel à la négociation lancé par le Secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres : « négocier est possible et surtout nécessaire ».

Il est vrai que les faits imputent à la MINUSTAH la responsabilité de l’introduction du choléra en Haïti, alors qu’en 2010 des soldats népalais installés par l’ONU à une centaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince ont bâti des installations sanitaires déficientes laissant leurs déjections contaminer les affluents du fleuve Artibonite qui approvisionne en eau la majorité des Haïtiens. Si les Artistes pour la Paix endossent cette historique (au contraire des objections techniques de l’ONU), la faute en incombe, selon nous, à l’obstination du militariste Stephen Harper à vouloir éliminer les Casques Bleus canadiens appuyés par notre ami l’officier Walter Dorn, et au refus du Premier ministre canadien d’aider l’ONU qui devant la situation instable causée par le tremblement de terre en Haïti, dut improviser les secours à sa population avec des soldats Népalais sous-équipés, mal formés et indisciplinés. Certains ont même été accusés de viols et pour éviter toute accusation de racisme, rappelons que des policiers canadiens membres de la MINUSTAH l’ont aussi été. Le choléra fait d’ailleurs un retour inquiétant dans une population privée d’eau potable, qui pourrait lui provenir en partie de la désalinisation (ou dessalement), un procédé qui réclame de l’électricité ou de l’essence. Nous reviendrons sur ce problème.

Concertation pour Haït

Un autre groupe se fait entendre dans Pressenza.com, il s’agit de Concertation pour Haïti qui établit les priorités suivantes pour le Canada :

  • Mettre fin au soutien au gouvernement d’Ariel Henry, dont la légitimité est largement contestée depuis son ascension au pouvoir et soutenir l’Accord de Montana;
  • Frapper un coup contre l’impunité en soutenant une commission internationale chargée d’enquêter sur l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021 et d’en punir les auteurs, et en appuyant la justice haïtienne dans des affaires emblématiques comme l’assassinat du juge Monferrier Dorval en 2020;
  • Offrir une assistance technique à Haïti dans le dossier de corruption Petro Caribe dont le dossier a été complété par la Cour supérieure des comptes et qui pourrait permettre à l’État de récupérer au moins une partie des sommes détournées; dans une note, ce groupe déclare qu’à l’origine des troubles actuels, il y a un mouvement de la société civile légitime et à large assise qui a commencé à faire campagne en 2018 pour que le gouvernement enquête sur les fonds prêtés par le Venezuela, connus sous le nom de fonds Petro Caribe. Ce mouvement a été saboté par une élite économique bien établie, liée au parti PHTK au pouvoir, qui s’oppose à tout changement du statu quo et qui a financé une campagne de violence des gangs dans les quartiers populaires de Port-au-Prince où le mouvement Petro-Caribe était fort. Depuis le massacre de La Saline en 2018, au cours duquel plus de 70 civils ont été tués et violés par des bandes armées, la violence s’est intensifiée et les gangs contrôlent désormais l’entrée de Port-au-Prince, tuant et violant en toute impunité.

 

Position du GRAHN

Le GRAHN soutient tous ces points mais sa priorité est de soutenir l’action des Casques bleus de l’ONU pour une opération humanitaire afin de libérer l’accès au pétrole bloqué par le gang mené par l’ancien policier Barbecue : la population est présentement empêchée d’utiliser ce pétrole pour les soins chirurgicaux à l’hôpital (les hôpitaux non privés n’acceptent que des patients équipés de bidons d’essence pour actionner l’électricité des appareils nécessaires !) et pour la circulation des autobus scolaires empêchés présentement de conduire les enfants à l’école, ce qui est en train d’entraver l’éducation de toute une génération sacrifiée. Et pour ce faire, l’ONU doit s’attaquer aux gangs armés qui contrôlent l’île en les privant des armes qui proviennent à 90% des États-Unis, en empêchant leur importation si nocive pour les Haïtiens mais lucrative pour les USA jamais très chauds à l’idée de limiter le commerce des armes, même chez eux, à l’intérieur de leurs propres écoles.

Solution commune à envisager

Peu de choses séparent les points de vue des deux groupes. Une déclaration de Concertation Haïti s’adresse au Canada: « Le moment est venu pour le Canada de tenir compte des propositions haïtiennes de la société civile et de réfléchir à son rôle dans les missions de maintien de la paix passées et de l’évaluer. Cette fois, il ne doit pas limiter ces discussions à la classe politique, mais inclure tous les secteurs, y compris la société civile. Les leçons apprises devraient permettre de formuler des propositions pour un rôle plus constructif à moyen et long terme, qui sera plus inclusif de tous les Haïtiens et qui contribuera à des solutions réelles et plus durables en Haïti ». Le groupe demande aussi « que le Canada impose des sanctions, notamment l’annulation des visas et le gel des avoirs de ceux qui financent et contrôlent les gangs » (difficulté de juger d’anciens sénateurs).

La stratégie canadienne est pour l’instant de renforcer les capacités de la police nationale haïtienne. Ottawa a fourni un financement d’environ 30 millions de dollars en 2022, en plus d’avoir récemment donné le feu vert à la vente de véhicules blindés canadiens pour ses policiers, mais son action doit aller plus loin notamment en reconnaissant la légitimité des solutions mises de l’avant et provenant de la société civile haïtienne.

Le Canada devrait également utiliser son rôle et son influence au sein du Core Group pour que ses autres membres soutiennent ces pistes d’action en Haïti et non un statu quo dénoncé à juste titre par l’Institut canadien de politique étrangère. A-t-on une solution commune ?


*Marcela Escribano, responsable du programme Amérique latine et Caraïbes chez Alternatives Canada, a écrit en partie les textes ci-dessus avec Marc Édouard Joubert.