1Le 15 mars, à l’intime Maison de la Culture Notre-Dame de Grâce rue Botrel, la dernière venue au conseil d’administration des Artistes pour la paix, l’autrice-interprète-compositrice Paule Tremblay, donnait dans le cadre d’une petite salle intime qui lui convenait parfaitement, son spectacle accueilli par de fervents et nourris applaudissements. Soulignons d’abord la force de cette artiste dont toutes les chansons en français sur des poèmes et musiques originales de sa propre main étaient en partie issues de son nouveau DC À l’encre rouge, le sixième d’une carrière hélas trop discrète.

paule_tremblay_showPaule est originaire des Éboulements, à peu de kilomètres de la maison où le compositeur Gilles Tremblay (APLP 1992) vécut les derniers étés de sa vie et qui abrita auparavant l’écrivain Félix-Antoine Savard (il m’envoya des poèmes tout au long de mes études à Vienne de 1974 à 1978); plus intéressant, il est le fondateur de la Papeterie Saint-Gilles, le tout premier économusée du Québec.

La très grande majorité des membres du C.A. des APLP est présente, « ma nouvelle famille », déclare Paule, émue, après son spectacle de sensibilités vulnérables et d’images poétiques fulgurantes où nous avons tous vibré. Mais jamais n’a-t-elle baptisé son œuvre de l’étiquette artiste pour la paix : on ne peut donc pas reprocher à l’artiste idéaliste d’exploiter quelque filon que ce soit pour aider (ou nuire à !) sa carrière.

2Roméo et Juliette, un chef d’œuvre de Shakespeare, voit l’amour triompher de guerres intestines, mais au prix de la vie des jeunes amants Capulet et Montaigu : drame à méditer pour épargner à l’Ukraine et à la Russie le même sort funeste. C’est aussi le chef d’œuvre de Sergueï Prokofiev, dont une chorégraphie d’Ivan Cavallari sera présentée par les Grands Ballets Canadiens à la Salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts du 23 au 27 mars. Elle fut écrite pour les Ballets du Bolshoï, au moment où le compositeur revient s’installer à Moscou dans les années trente avec sa femme Lina et ses deux enfants, après un long exil post-Première guerre mondiale.

( Permettez une parenthèse sur une autre œuvre. En 1939, Prokofiev produit avec son ami Vsevolod Meyerhold Semyon Kotko, un opéra qui représente les Allemands comme des barbares occupant l’Ukraine [1]: bad timing vu que Staline signe un pacte soudain de non-agression avec le régime nazi qui le rompra en 1941 pour envahir l’URSS qui souffrira plus de 20 millions de morts, une explication très forte au sentiment d’oppression de Poutine à l’avancée militariste de l’OTAN à ses frontières, sans toutefois justifier la brutale guerre qu’il a lancée).

mira_mendehlsonLe compositeur tombe amoureux de la poète Mira Mendelssohn (photo ci-contre), loin de sa femme, l’impétueuse espagnole Lina rescapée de la guerre civile contre Franco (que mon ami pianiste Ivo Pogorelich et sa femme Alissa Kezeradze ont bien connue à Londres), exilée dans la République des Komis dans le Grand Nord, par ordre de Staline dont la mort la délivrera. Incidemment, Staline a la malencontreuse idée de mourir le même jour que Prokofiev, ce qui a pour effet de retarder l’annonce de la mort du compositeur d’une semaine dans les médias russes occupés (dans le sens d’occupation militaire) par les articles dithyrambiques sur le petit père des peuples. Se souvenir de son imposition de la collectivisation des terres qui envenima la famine en Ukraine, au prix de millions de morts. À la vue du film l’ombre de Staline d’Agniezka Holland sur l’Homolodor, et sa découverte macabre par le journaliste gallois Gareth Jones qui la paiera de sa vie, on estime tout à fait propagandistes les comparaisons outrées entre Staline et Poutine.

3Le directeur scientifique du CÉRIUM [2] a livré une passionnante entrevue à Radio-Canada auprès de Michel Lacombe, pour laquelle je l’ai félicité en lui envoyant de courtes notes biographiques faisant ressortir une amusante ressemblance dans nos trajets d’étudiants culminant à Moscou et en Californie, ainsi que nos derniers articles Artistes pour la Paix, en les qualifiant de « très optimistes, mais n’est-ce pas le propre de l’idéalisme ? »

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Frédéric Mérand

Voici sa réponse généreuse : Cher monsieur Jasmin, je vous remercie de vos bons mots et vous prie d’excuser cette réponse tardive. Vous avez raison, il faut dans le tumulte se donner un horizon de paix. Frédéric Mérand.

Nous sommes heureux d’opposer cette réponse à la censure totale des Artistes pour la Paix dans les médias; elle ne constitue évidemment en rien un endossement de nos opinions pacifistes s’indignant de la partialité radio-canadienne qui débrouille pour une durée illimitée ICI RDI : on y trouve aujourd’hui le chroniqueur économique Gérald Fillion qui s’est fourvoyé dans cette galère avec l’opinion militariste suivante : « Les 800 millions de $ en équipement militaire américain [armes antiaériennes et antichars] promises aujourd’hui par les USA VONT AIDER, ÉVIDEMMENT » et il suggère de « permettre aux avions de chasse polonais de transiter vers l’Ukraine (…) dont le président veut une nouvelle alliance militaire contre la guerre [et l’OTAN ???]. Il émet enfin l’hypothèse que la Chine et même l’Iran pourraient s’impliquer en aidant la Russie [une 3e guerre mondiale avec cela, M. Fillion ?].

Rafaël Jacob et Valérie Beaudoin de la Chaire Raoul-Dandurand, embarrassés, remettent à demain leurs réponses à cette entrevue dirigée, tout en doutant que les sanctions économiques naïves contre les membres de la Douma d’État russe donnent quelque résultat que ce soit, comme Christian Morin et Olga Chyzh l’ont écrit sur notre site.

Enfin, on peut trouver sur RDI l’entrevue ÉCRITE peu diffusée d’Azeb Wolde-Giorghis (dont les APLP ont écrit le plus grand bien, comme de Tamara Alteresco et Marie-Ève Bédard) affirmant que « la neutralité et la démilitarisation de l’Ukraine sont la seule avenue viable, selon l’Américain Ted G. Carpenter de l’Institut Cato [3] (ne pas confondre avec l’assistant de l’inspecteur Clouzeau). Elle transmet aussi les conseils à Zelensky , publiés au journal The Hindu de l’ancien président de l’Afghanistan Hamid Karzaï: « ne laissez pas les grandes puissances faire leur guerre par procuration sur votre territoire comme ils l’ont fait chez nous », alors que les USA de Biden et de Trump et le Canada de Trudeau ont provoqué et continuent de provoquer la Russie via l’OTAN.


[1] Il sera dirigé par le grand chef soviétique aimé par Christophe Huss (pas par moi) Gennady Rozhdestvensky et plus récemment par Valéry Gerghiev en son théâtre Marinsky.

[2] Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal
Frédéric Mérand
(PhD, Berkeley) est directeur scientifique du CÉRIUM et professeur de science politique à l’Université de Montréal. Membre du Collège des nouveaux chercheurs de la Société royale du Canada et professeur invité à l’Université McGill, à l’Université de Toronto, à la LUISS et à Sciences Po Paris, il est un spécialiste de la sociologie des relations internationales, de la sécurité mondiale et de l’économie politique européenne. Ses travaux ont été publiés dans le Journal of Common Market Studies, le Journal of European Public PolicyInternational Studies QuarterlySecurity Studies, Gouvernement et action publiquePolitique européenneComparative European Politics, Cooperation and Conflict et la Revue canadienne de science politique. Il a récemment fait paraître Coping with Geopolitical Decline (McGill-Queen’s University Press, 2020), L’analyse du risque politique (avec Adib Bencherif, Presses de l’Université de Montréal, 2021) et Un sociologue à la Commission européenne (Presses de Sciences Po, 2021).

[3] Think tank libertarien américain basé à Washington, peu suspect de complicité russe.