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René Derouin, au milieu de ses Rapaces (photo Frédérique Ménard-Aubin)

L’artiste multi-disciplinaire René Derouin a reçu le titre d’Artiste pour la Paix de l’année 2016 lors de la cérémonie annuelle de la remise des Prix des APLP.

Le prix APLP de l’année lui est décerné pour l’année formidable que René Derouin nous a fait vivre avec ses expositions Rapaces et Les derniers territoires, de même qu’avec ses projets d’art offerts aux collectivités : MU l’univers des oiseaux au Mont-Tremblant, 50e anniversaire de la verrière faite en collaboration avec Frédéric Back au métro Place des Arts et sa participation à l’ouverture du Pavillon Lassonde au Musée de Québec avec ses Migrants, prophétique compassion envers les réfugiés de guerres. En appui à l’engagement écologique des APLP, il a illustré la page-couverture de notre document-témoignage au Bureau d’Audiences Publiques en Environnement (avril 2016) destiné à empêcher le pipeline de pétrole de sables bitumineux Enbridge de réchauffer le climat mondial et de menacer le fleuve Saint-Laurent.

Quelques images de la carrière de René Derouin

 

Camille Pelletier Antaya, membre du CA des APLP, fit lecture d’un témoignage sur René Derouin écrit par Réjean Gaudreau.

Quand en 1955, à l’âge de 18 ans, René Derouin monte à bord de l’autobus qui le conduira à Mexico pour y étudier l’art des muralistes mexicains, il n’y va pas pour faire la guerre.

Le rêve qui l’habitait était porté par des valeurs d’ouverture, de fraternité et de concorde. René Derouin désirait certes s’approcher de cet art éminemment social et politique des muralistes mais sa ferveur le poussait à vouloir saisir à bras le corps l’ensemble de la culture mexicaine et de son histoire millénaire. Ceci à une époque où les esprits étaient bien davantage tournés vers l’Europe.

Ses nombreux aller-retours par terre et par air entre Montréal et le Mexique devaient faire émerger en son être deux impressions d’une fécondité telle qu’elles ont donné forme à deux des socles de son œuvre admirable : l’américanité et la migration.

Pensée véritablement révolutionnaire : par la géographie, nous partageons un destin commun non seulement avec les mexicains mais aussi avec les cultures des trois Amériques.

Et nous sommes organiquement liés par la migration; mouvement qui naît d’une quête d’enracinement et d’appropriation du territoire mais qui fixe aussi l’obligation absolue d’échange et de partage.

Cette vision, prophétique dirais-je, éclaire l’œuvre de René Derouin depuis plus de soixante ans.

De là ont germé des ramifications vers le Japon, l’Islande, la France et de nombreux autres lieux. Les impressions, images, idées, intuitions qu’il en rapporte, il les fond, brasse et moule chez lui à Val-David, dans le silence laurentien, auprès de sa bien-aimée, Jeanne Molleur.

Ce que je veux plus particulièrement partager avec vous aujourd’hui, c’est le versant local – dans le sens de proximité – de son œuvre. Une œuvre qui ne peut être pleinement comprise sans les Jardins du précambrien.

Pendant 20 ans, de 1995 à 2015, René et Jeanne ont consacré une part importante de leur vie – et de leurs fonds – à la démocratisation de l’art. Deux ans après l’inquiétante suspension des activités des Jardins, nous réalisons chaque jour davantage toute la valeur de ce remarquable projet.

Ainsi, la paix, commence-t-elle par donner un lieu d’expression à l’Autre, à la différence, qu’il soit de Montréal, Vancouver ou de la Havane, de Mexico ou de Lima; c’est tout mettre en œuvre pour que ces artistes des Amériques se rencontrent et collaborent dans un idéal d’échange fraternel.

Aux Jardins du précambrien, l’Artiste a vocation visuelle mais il est également poète. Tout comme elle est compositrice.

La paix, c’est associer concrètement la communauté de Val-David et des environs à la réalisation des symposiums; c’est apporter chaque été du travail à des dizaines de personnes et leur faire confiance. C’est mobiliser autant de bénévoles et leur permettre de contribuer au projet avec ce qu’ils ont de meilleur.

La paix, c’est aussi placer | replacer l’intellectuel au cœur de la communauté.

Aussi la paix apparaît-elle quand on rassemble dans une dynamique d’ouverture et de compréhension mutuelle l’artiste, le poète, l’intellectuel et la communauté.

La paix – et ceci plus que jamais en 2017 – c’est voir les membres de la communauté repartir avec une perception différente de l’artiste, du poète et de l’intellectuel.

La paix advient souvent sans qu’on la nomme.

La grande crainte de René Derouin en 1999 quand on lui a remis le Prix Paul-Émile Borduas était qu’on le conjugue au passé. Avec l’année 2016 qu’il a connue – année de ses 80 ans – et avec tout ce qu’il prépare pour les prochaines années, force est d’admettre qu’il n’en est rien.

En conclusion, Goethe, Hugo ou Spinoza qui ont tous longuement médité sur la paix pourraient me venir en aide. J’irai plutôt avec Robert Charbonneau, journaliste et écrivain de la première moitié du XXe siècle qui, comme René Derouin, est né à Montréal et a pris la route du Nord. Une toute petite phrase qui traduit également ma plus amicale admiration pour l’immense artiste à qui nous rendons hommage aujourd’hui : « Seule l’action peut donner la paix. »

Toute ma gratitude et mes meilleurs vœux de succès aux Artistes pour la Paix.

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Photo : Communications Narimane

René Derouin eut ces mots en recevant le Prix :

Merci pour votre reconnaissance, c’est un geste qui me touche et que je reçois avec humilité.

Être membre des Artistes pour la Paix est pour moi dans l’ordre des choses quand on est un artiste. C’est pour moi un honneur d’être membre de ce regroupement dont l’existence est d’autant plus cruciale en ces temps difficiles et inquiétants.

Comme la majorité des artistes, je recherche la paix et la trouve souvent dans les solitudes de l’atelier. Cela ne se veut pas une attitude égoïste de ma part. Cette solitude aide à créer une œuvre destinée à être appréciée du public et qui appartient aussi au public. Je suis un artiste engagé qui n’a cependant pas l’habitude de monter souvent aux barricades. Je crois que mon engagement réside plutôt dans mon œuvre et la réflexion qui s’y rattache. Nous avons le privilège de vivre dans une société qui nous permet de poursuivre notre quête en tant qu’artistes, mais nous avons en retour une obligation envers cette société, envers l’avenir de nos enfants et celui des générations futures.

Lorsque j’ai écrit que nous vivons dans une société de RAPACES, cette constatation faisait suite à quatre ans de réflexion sur les oiseaux de proies. Durant cette période où je les ai observés, une évidence m‘a sauté aux yeux. Une fois qu’il a satisfait à sa survie, l’oiseau de proie ne cherche pas, comme sa contrepartie humaine, à accumuler un butin additionnel dans les paradis fiscaux.

Les RAPACES financiers, pour leur part, contribuent actuellement à accentuer le déséquilibre social. Par leur action intéressée et indigne, ils en sont à préparer le terrain pour la guerre. C’est la raison pour laquelle nous devons tous nous mobiliser, car nous sommes à un tournant de l’histoire.

Quand le président des États-Unis a évoqué son intention de séparer l’Amérique en deux en érigeant un mur à la frontière du Mexique, il s’est basé sur une idée qui va à l’encontre de tout ce qui constitue notre rapport à une Amérique ouverte du Nord au Sud. C’est alors que j’ai décidé de prendre position et de réaliser le MUR DES RAPACES. J’ai compris que je devais sortir de mon atelier pour rendre publique ma réflexion sur la vision guerrière, digne du moyen-âge, associée à l’éventuelle construction de ce mur. En 2017, les artistes doivent prendre position pour dénoncer cette aberration . Vous pouvez assurément compter sur moi pour continuer de prendre position en dénonçant les murs, les paradis fiscaux et les rapaces de la finance qui créent l’austérité et l’imposent aux citoyen. Il faut rester vigilants. Merci.

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René Derouin, Denis Coderre et domlebo. Photo : Ville de Montréal