michaelle_jean

Racisme et sexisme nauséabonds

D’Alexandre Sirois de La Presse, des chroniqueurs populistes du Journal de Montréal y compris Mario Dumont, des anciens ministres péquistes Joseph Facal et Louise Beaudoin reportant leur hargne autrefois affichée envers l’ex-gouverneure générale donc «l’ennemie fédéraliste», tous dénoncent ses dépenses dites somptuaires. Lesquelles ? Celles pour un appartement de fonction à Paris (propriété du gouvernement canadien où l’administrateur Clément Duhaime l’avait installée en ordonnant des travaux urgents de rénovation, avec l’assentiment des autorités canadiennes) et pour un programme symbolique à bord de la frégate Hermione, emblématique du combat historique de La Fayette pour les libertés y compris l’abolition de l’esclavage, une croisière qui forme trois cent cinquante jeunes en provenance de toute la Francophonie aux valeurs notamment de citoyenneté et contre les tentations de radicalisation violente.

On assiste au Québec à une attaque concertée, acharnée et avilissante qui crie haro sur celle qui, de son passé de réfugiée haïtienne, a « osé » occuper de hautes fonctions qui l’ont amenée à représenter partout le Canada, en visites d’État à travers le monde et à défendre des positions courageuses. Certains journalistes seraient-ils envieux de son audace, de cette voix forte qui a su se faire entendre, de sa visibilité et de son pouvoir indéniable d’influence ? Et que dire de la Fondation à son nom qui soutient des initiatives innovantes de jeunes trop souvent marginalisés ?

Son mandat à l’Organisation internationale de la Francophonie

Ceux qui accusent Michaëlle Jean de s’être « autopeluredebananisée » – infamie gratuite qui rappelle les honteuses pratiques de certains clubs de soccer racistes en Italie – en négligeant son mandat au service de l’Afrique francophone, ont-ils eux-mêmes écrit une seule ligne pour venir en aide à ce continent martyrisé ? Ont-ils eu le courage de dénoncer l’expédition meurtrière de l’OTAN pilotée en 2011 par un général canadien en Libye, un scandale incontournable aux ramifications militaristes [1] que seule Joanne Liu des Médecins sans Frontières ose dénoncer ? Ont-ils dénoncé en Somalie et au Soudan les attaques de l’alliée du Canada, l’Arabie saoudite ? Et avaient-ils relayé, à l’époque, les discours de la Gouverneure générale qui ne craignait pas d’appuyer, devant des autorités africaines embarrassées car complices, la lutte des femmes maliennes contre les mutilations génitales [2], celle des associations sénégalaises contre l’exploitation des enfants soumis à des imams sans scrupules et sa dénonciation des viols de fillettes et de femmes au Sud-Kivu en République Démocratique du Congo ? Avaient-ils alors loué son implication « dans les bidonvilles, où même les ONG craignent d’aller, à la rencontre des admirables mères haïtiennes », racontait le maire de Port-au-Prince à Tout le monde en parle, pendant qu’au Canada, elle inaugurait, des années avant la politique de Trudeau, celle d’aller à la rencontre des populations des Premières Nations, Inuit et Métis les plus démunis et de les accueillir aussi à Rideau Hall pour que leurs voix soient entendues ? Ont-ils appuyé la porte-parole du combat des femmes, en particulier de nos réfugiées de l’intérieur, femmes immigrées musulmanes opprimées et celles autochtones agressées, en lançant avec cœur à leurs côtés la Commission Vérité et réconciliation, et celle qui a réussi par son modèle à implanter une perspective féministe dans la politique étrangère de notre pays [3] ?

Ils préfèrent dénoncer la paille dans l’œil de Michaëlle Jean pour qu’on ignore la poutre qui obstrue le leur, dans leur rôle non assumé de défendre la justice internationale et leur paresse à relater avec quelle énergie elle porte les objectifs très ambitieux de la feuille de route que les chefs d’État et de gouvernement membres de l’OIF lui ont confiée : pour l’instauration et le développement de la démocratie; la prévention, la gestion et le règlement des conflits; le soutien à l’État de droit; la défense des droits et des libertés; l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations; l’éducation, la formation professionnelle, le soutien à l’innovation, l’entrepreneuriat et l’insertion professionnelle des jeunes et des femmes; l’égalité entre les femmes et les hommes; la lutte contre les effets dévastateurs du réchauffement climatique; le respect des droits des migrants et l’action sur les causes de ces exodes massifs; la mobilisation contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation.

Ont-ils seulement couvert ou simplement relayé le succès éclatant du dernier sommet de la francophonie d’Antananarivo à Madagascar piloté par la Secrétaire générale Michaëlle Jean en novembre 2016 (voir photo ci-dessous) ?

sommet_oif

Un mandat saboté par la politique libérale ?

Jocelyn Coulon voit la cause du remplacement éventuel de Michaëlle Jean à la tête de l’OIF dans le désintérêt manifeste du ministère canadien des Affaires étrangères envers l’Afrique. L’aide canadienne internationale favorisée jadis par Jean Chrétien, en particulier en Afrique [4] à laquelle Harper a carrément tourné le dos, est tombée à un plancher inouï de 0.27% du Revenu national brut sous Justin Trudeau en 2017 (loin des standards à 0.7% recommandés par l’ONU). Champion de ce continent [5] dans son propre travail au ministère (2015-2017), Coulon estime que son prosélytisme africain fut l’une des principales causes de son éviction personnelle du ministère et en partie celle du remplacement de son mentor Stéphane Dion par la ministre Chrystia Freeland. Et toujours selon lui, la négligence du Canada envers l’Afrique défavorisée expliquerait la défaveur de notre pays dans les élections menant à la non-nomination au Conseil de Sécurité de l’ONU, auquel il ne voit pas quand le Canada pourra accéder.

Enfin, la ministre libérale du Développement international et de la Francophonie Marie-Claude Bibeau, présente en Afrique tout en souffrant d’importantes coupures effectuées à son ministère, appuie, sans l’hypocrisie des appuis de Trudeau & Freeland, le renouvellement de la candidature de madame Jean : elle doit donc savoir des choses positives que les journalistes davantage dédiés à une campagne de diffamation aux accents racistes choisissent d’ignorer. Mais son appui ne convaincra pas ceux qui détestent madame Jean par sexisme ou misogynie, comme ceux qui attaquent par exemple la pérennité d’Angela Merkel à la tête de l’Allemagne, l’intransigeance de Martine Ouellet ou le mandat à peine entamé de la mairesse Valérie Plante…

Une leçon de journalisme

Pour un regard impartial sur la situation, on se tournera vers un article de Michel Gourd dans l’Aut’Journal : « Si on en croit plusieurs médias africains, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, songe sérieusement à être candidate à la tête de l’OIF. Après plusieurs mois de négociations, elle serait le choix porté par tous les pays africains. Même la France verrait favorablement sa candidature selon ces médias africains. Emmanuel Macron aurait d’ailleurs récemment fait la remarque que le centre de gravité de la Francophonie se situait en Afrique du côté du bassin du Congo. Rappelons que selon l’OIF, en 2050, parmi les 700 millions de locuteurs du français qu’il devrait y avoir, plus de 85 % de ceux-ci vivraient en Afrique. Originaire de Kigali, Louise Mushikiwabo est revenue dans son pays natal en 2008 après vingt-deux années passées aux États-Unis et s’occupe depuis neuf ans des relations extérieures du Rwanda. Elle est actuellement considérée comme la cinquième personne la plus influente d’Afrique. Son élection à la tête de l’OIF aurait l’avantage de rappeler au président du Rwanda, Paul Kagamé, l’esprit francophone et les bénéfices de la francophonie. [6]»

On ne discerne là aucune trace de défaveur ni d’humiliation (dont ricanent à l’avance les détracteurs de madame Jean) si la Rwandaise amie du douteux Kagamé, adoubée par le président Macron, était nommée, en octobre à Erevan en Arménie, prochaine Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Aujourd’hui, madame Jean mérite notre entière admiration et nos plus vifs remerciements pour avoir fait progresser la cause de la démocratie en Afrique francophone lors de son premier mandat, sans perdre de temps à répondre aux attaques offensantes et contreproductives : elle garde le cap en conduisant la Francophonie là où elle mérite d’aller et nous sommes fiers de voir une Canadienne, Québécoise d’origine haïtienne, agir avec autant de vaillance et de détermination. Elle mérite certes un second mandat et s’il devait en être autrement, ce ne sera pas parce qu’elle aura échoué, mais parce qu’une certaine real politik l’aura emporté.


[1] Ce scandale a rebondi avec l’attentat de Manchester il y a un an, selon le journaliste émérite australien John Pilger : http://www.artistespourlapaix.org/?p=13405

[2] « Imaginons qu’au lieu des 70 milliards de $ destructifs accordés annuellement à l’OTAN, on dépenserait mille fois moins, 70 millions de $ pour des campagnes artistiques par UNESCO et UNICEF en vue d’éradiquer l’excision : pfft, anéantis les terroristes djihadistes et les militaristes!» ai-je déclaré devant elle au Musée des Beaux-Arts de Montréal le 16 février dernier. C’était lors du forum intitulé Le pouvoir des arts, armes de paix, organisé par son mari Jean-Daniel Lafond. M. Lafond, qui dirige inlassablement la Fondation Michaëlle Jean, est aussi la cible des calomnies qui accablent son épouse. Pour une relation des trois jours de ce forum, on lira : http://lautjournal.info/20180223/le-pouvoir-des-arts-trois-jours-memorables

[3] http://lautjournal.info/20180426/journee-de-dialogue-ledifice-lester-b-pearson

[4] http://www.artistespourlapaix.org/?p=12679

[5] http://lautjournal.info/20180523/un-selfie-avec-justin-trudeau-un-regard-critique-de-jocelyn-coulon

[6] http://lautjournal.info/20180514/lafrique-recuperera-t-elle-la-tete-de-loif