« Notre monde est abîmé par la guerre, frappé par le chaos climatique, meurtri par la haine, couvert de honte par la pauvreté et les inégalités » Antonio Guterres, 2022, Assemblée annuelle des Nations Unies

On ne peut pas avoir la paix, ni la réclamer, ni la donner, ni la promettre, ni l’imposer, ni en faire un traité signé, ce n’est pas un droit ni un pouvoir d’État. Elle ne peut descendre d’un pouvoir, elle n’est dans le pouvoir de personne, elle est le fruit d’un travail extrême contre nos tendances à la soumission et pour s’approcher de soi et des autres, un travail personnel et collectif. Jean Bédard

Introduction

Un problème inquiète : un fusil tue en une seconde un artiste, un saint, un sage, un pacifiste, un acteur de changement qui a travaillé sa vie entière à la paix. Quelques colonisateurs détruisent en quelques années une culture pacifique multimillénaire. L’économie sauvage peut jeter dans l’extrême pauvreté des peuples entiers. Les algorithmes de manipulation par médias sociaux peuvent ruiner en une année un travail d’éducation de longue date. On pourrait réussir à implanter dans le web un métavers capable de séquestrer le tiers de l’humanité hors de la réalité. Bref, la violence, le marché débridé, la manipulation des consciences l’emportent toujours sur l’effort de paix et de fraternité. Où est l’espoir ?

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La noosphère est, pour Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski, la sphère de la conscience qui se surajoute à la biosphère serait l’espoir. En effet, on pourrait imaginer l’ensemble humain comme un tout en voie d’humanisation. Mais pas trop vite. Il s’agit plutôt, dans un premier temps, de consciences personnelles se libérant des conditionnements sociaux.Sans la réalisation de cette étape de naissance à soi par actes de conscience, nous pourrions croire être humanisés par l’évolution sociale. C’est loin de ce que l’on constate. La soumission politique ou, si vous voulez, la passivité politico-sociale nous emporte vers la violence, la destruction de la nature, le malheur.

À l’inverse de la soumission, si on voit la liberté comme une conquête de la conscience personnelle seule capable de s’opposer à la « loi du plus fort » (qui n’est que le résultat de la démission politique), alors oui! chaque libération participe au développement d’une culture politique susceptible d’aboutir à une fraternité. Seules des personnes peuvent être sœurs ou frères. La solidarité n’est pas la démission de la conscience ni devant la majorité, ni devant la minorité, ni devant la force, ni devant l’argent, ni devant la publicité, ni devant la manipulation.

Bref, soit que nous continuions à nous laisser diriger par une supposée évolution sociale et alors, pourquoi la trajectoire changerait; soit que nous nous prenions chacun en main, devenions des personnes, et apprenions à vivre en paix avec nous-mêmes, avec les autres et avec l’écosphère. La noosphère est sphère des consciences personnelles devenues fraternelles.

La grande difficulté, c’est la conviction répandue qu’être libre, c’est être décidé par d’autres : parce qu’ils ont des armes, parce qu’ils font de beaux discours, parce qu’ils nous donnent de bons salaires, parce qu’ils nous attirent avec leurs marchandises luxuriantes, leurs services flatteurs, leurs jeux envoûtants, et que si nous nous abandonnons à eux, la vie sera plus facile. L’idée d’être libre comme la feuille morte manipulée par le vent, c’est-à-dire la facilité, cette idée de la liberté qui est en fait la parfaite représentation de la soumission, cette idée fait de nous une masse dirigée par effet de masse. Une masse aveugle. Or, on ne peut pas sortir en masse de la masse. Et on ne peut pas imaginer que la masse fasse autre chose que de rouler en bas de la montagne par simple inertie, par simple entropie. Il faut donc supposer que le changement se fera personne par personne.

Cette philosophie de la liberté et de la fraternité est née avec le christianisme et le néoplatonisme du troisième siècle, a été consolidée par Marguerite Porète, Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Comenius, puis analysée et soutenue en profondeur par Louis Lavelle dans son œuvre magistrale. Il y manquait cependant la pensée écologique de Vernadski. C’est pourquoi j’ai cru bon d’écrire ce petit traité de la conscience libre.

L’espoir ? Pas un salut commun. Je voudrais dire autre chose, mais mon impression est que l’humanité va se casser en deux. L’épreuve nous rend seuls, nous accule au choix, nous pouvons prendre acte et nous donner à nous-mêmes. Cependant, une fois jetées dans l’eau, beaucoup plus de personnes que l’on croit apprendront à nager dans l’abîme créateur de leur être propre. C’est ce que je vais tenter de défendre.