Discours prononcés lors de la cérémonie annuelle des Prix APLP le 14 février 2011
par Pierre Jasmin, président

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Dany Laferrière et Pascale Montpetit lors de la remise du prix APLP2010. Photo Jacques Nadeau, Le Devoir

Le choix de notre conseil d’administration pour le 23e prix « Artiste pour la Paix » qui atteint encore une fois la parité hommes-femmes, sans la rechercher par quelque discrimination positive que ce soit, récompense la comédienne et activiste pour la paix Pascale Montpetit.

Qui a oublié sa participation le 16 janvier 2010 à l’éloge funèbre de notre secrétaire Bruno Roy en l’Église Saint-Pierre Clavet ? Puis, ici même en la Chapelle Historique du Bon-Pasteur, sa magnifique interprétation de la poésie de Louise Warren le 14 février 2010, en hommage à Chloé Sainte-Marie APLP2009 ?

La première rencontre de travail de Louise et Pascale a eu lieu lors d’une soirée poétique pour venir en aide à Haïti, une semaine plus tard. Et Pascale redonnait dans son entièreté Nous, paroles inquiètes de Louise Warren lors d’une soirée des Trois Arts pour la paix, en mai à la Place des Arts avec la musique des frères Tabassian. Écoutons le témoignage de la poète dans Objets du monde / Archives du vivant (VLB éditeur).

Lorsque j’ai entendu la comédienne Pascale Montpetit lire un extrait de La lumière, l’arbre, le trait, j’avais l’impression qu’elle fabriquait une véritable doublure de lumière pour chaque mot. C’était très charnel. Plus près de l’alchimie que du jeu dramatique. Accomplissement d’une véritable transformation (…) il m’a semblé écouter une vérité vocale d’une grande justesse.

Comédienne au théâtre, au cinéma et pour la télévision, Pascale a gagné des prix prestigieux tels les Jutra, Génie, Gémeaux et Métrostar, mais nul doute qu’elle garde dans son cœur une place spéciale au prix Gascon-Roux pour son rôle de Toinette dans Le malade imaginaire au TNM. Elle a remporté toutes ces récompenses avec sa modestie et sa dose d’autodérision légendaire. Au printemps dernier, qui n’a pas croulé de rire à sa caricature vivante de général débile esquissée dans Et Vian dans la gueule, encore au TNM ? Endossant les tailleurs BCBG de ses personnages de Destinées à TVA et surtout de Trauma de Fabienne Larouche à Radio-Canada et à TV5, elle nous y montre, encore une fois en 2010, la polyvalence et la virtuosité de son talent.

L’engagement antimilitariste de Pascale l’a menée à manifester dans la rue contre l’invasion américaine en Irak et à être solidaire d’Échec à la guerre. Sa colonne hebdomadaire dans The Gazette en 2003 expliquait la culture québécoise, vilipendait Bush et ses politiques guerrières, dénonçait le traitement infligé au Canada à Adil Charkaoui, parlait d’une famille colombienne obligée de se réfugier dans une église contre la folie destructrice de son pays déchiré entre les narcotrafiquants et les milices d’extrême-droite, proches des militaires.

Porte-parole pour la campagne « Abolissons la pauvreté » de Développement et Paix et de l’organisme canadien de coopération internationale OXFAM dont elle a occasionnellement assuré les fonctions d’ambassadrice depuis 1994, la voilà mère depuis un an et demi d’une petite vietnamienne, Clara, qui fait son bonheur. Elle s’est engagée à soutenir les droits de la personne, en particulier ceux des femmes auprès d’Amnistie internationale. Elle s’est rendue au Mali, en Haïti, au Sri Lanka, au Liban, en Syrie, en Birmanie : dans ce dernier pays, elle a rencontré le frère d’un comédien emprisonné dans des conditions innommables pour une plaisanterie de trop envers le régime militaire. Ce régime, rappelons-le, a gardé le prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi enfermée pendant vingt ans; elle n’est en liberté surveillée que depuis deux mois. En Chine, elle a reçu le témoignage d’une femme que son docteur avait avortée sans l’en informer, par peur du régime prohibant la naissance d’un deuxième enfant : elle tenait à ce que Pascale parle de sa souffrance en revenant au pays.

Nous remercions pour avoir porté ces faits à notre attention Louise Warren et Martin Duckworth, APLP 2002, qui atterrissait à Dorval il y a une demi-heure et sera en retard pour notre cérémonie.

Pascale a aussi milité pour les droits des Palestinien-ne-s. Quoi ? Une actrice célèbre a osé faire ceci en Amérique du Nord ? On sait à quel point les médias et la classe politique se sont déchaînés contre Amir Khadir pour sa seule participation à une action de boycott contre des souliers israéliens. À titre de président des Artistes pour la Paix, j’ai rédigé un appel le 3 juin dernier, immédiatement endossé par l’écrivaine Margaret Atwood. Couronnée par un prix prestigieux israélien, elle avait osé intervenir dans un journal israélien de gauche en défense des Palestiniens. Pascale Montpetit a osé signer cette lettre que personne n’a publiée, même si elle ne faisait que reprendre le vœu exprimé par 189 pays signataires le 29 mai dernier de la déclaration finale de la révision quinquennale du Traité de Non-Prolifération Nucléaire de débarrasser le Moyen-Orient de ses armes de destruction massive.

Notre société québécoise a censuré la remise d’une œuvre par Frédéric Back à un collègue de Pugwash qui a rassemblé 537 [1000 en 2017 !] signatures de membres de l’Ordre du Canada contre la bombe nucléaire, appel à l’ampleur sans précédent PASSÉ SOUS SILENCE PAR NOS MÉDIAS. Un peu comme la société égyptienne censurait Mohamed El Baradeï, ancien directeur de l’Agence internationale d’Énergie atomique et gagnant du prix Nobel pour la Paix 2005 pour avoir résisté aux mensonges des Blair et Bush…

Cela n’a heureusement pas arrêté la société civile égyptienne [ceci écrit avant le retour, hélas, de la dictature militaire], ni Pascale, cette femme engagée dans l’intensité et dans ses convictions profondes. Vous réentendrez maintenant Nancy Lange, cette fois dans un extrait de son poème Margaritas (elle offre à Pascale l’édition limitée de ce poème), auquel je joins, en clin d’œil à une réalisation de Mathieu, conjoint de Pascale, une interprétation de la pièce Le poète parle tirée des Scènes d’enfant de Robert Schumann. (…)

En témoignage de la gratitude des Artistes pour la Paix envers Pascale, l’artiste visuelle Claire Aubin a assuré la partie imagée de cette cérémonie.

Rien n’arrête Pascale, cette femme que je disais engagée dans l’intensité, dans ses convictions profondes, dans l’imaginaire et dans le réel, passionnée de littérature au point de se rendre en Haïti incognito retrouver les traces de l’univers de Dany Laferrière, dont la maison de sa grand-mère Da. Et on retrouve Pascale, qui ne connaissait pas personnellement cet ami, désormais inséparable, dans le documentaire La dérive douce d’un enfant de Petit-Goâve, ainsi que dans le chef d’œuvre littéraire L’énigme du retour. J’aimerais inviter Dany à nous dire quelques mots. (…)

Nous te remercions vivement, Pascale, pour tous tes dons. Mesdames, messieurs, Pascale Montpetit « Artiste pour la Paix 2010 »! Une ovation debout s’ensuit…

Pascale, tu es sans voix ? Cela m’étonnerait fort…

 

 Pascale nous a envoyé copie de son discours de remerciement.

À la Chapelle historique du Bon-Pasteur, le 14 février 2011

Je remercie les Artistes pour la Paix. Je me les représente comme la flamme du pilote dans un poêle, qui reste toujours allumée quoi qu’il arrive. Quand tout va bien, on ne pense pas à la paix, mais quand on traverse une période difficile et que les choses n’ont plus de sens, on se retourne vers cette flamme-témoin entretenue par des gens comme vous, pendant qu’on avait le dos tourné et qu’on était occupé à autre chose, dans l’agitation du monde. Dans les théâtres, on allume une lampe sur pied après la représentation le soir. La lumière reste allumée toute la nuit jusqu’au lendemain pour veiller sur les lieux, on l’appelle la sentinelle.

Je voudrais remercier Madeleine Caron, ma mère, qui est ici et que j’ai entendue toute ma vie s’indigner des injustices sociales. Elle a travaillé une grande partie de sa vie à la Commission des droits de la personne et a donné de son temps à Amnistie internationale et à ATD quart-monde. C’est elle qui m’a appris à ressentir ces choses-là et à avoir un point de vue sur l‘injustice.

 C’est plus facile de définir l’état de guerre que l’état de paix. On pourrait dire que la paix est un art en elle-même. Elle n’est possible que si on est capable de se mettre à la place de l’autre. C’est le cœur de l’affaire … se mettre à la place de l’autre. Vaste programme. Le coefficient de difficulté augmente, plus l’autre est différent de nous ou pense autrement. Faites l’exercice, sachant qu’être en paix, ne serait-ce qu’avec soi-même, peut parfois sembler un défi. Alors avec l’autre, c’est dire le doigté, la tolérance et la vigilance que cela suppose…

Il y en a pour dire qu’un artiste ne devrait pas se mêler de défendre ses idées sur la place publique. J’aime beaucoup la réponse de Paul Newman à qui on a reproché d’annoncer sa sympathie pour le parti démocrate : « en devenant acteur, je n’ai pas perdu ma citoyenneté, que je sache… »

En fait, comme on dit une seule terre pour tous les hommes, qu’on le veuille ou non, on est tous logés à la même enseigne.

Il y a une petite histoire que j’aime beaucoup. John Lennon raconte qu’il était dans un état de délabrement psychologique avancé. En marchant dans la rue, il avise une petite galerie d’art contemporain et y entre. Une des œuvres-installations est un escabeau qu’on invite les visiteurs à monter. En haut, collé au plafond, un papier, trop petit pour le voir du sol, sur lequel est écrit « oui ». Il raconte que cette rencontre inespérée avec cette œuvre a changé le cours de sa vie. Il a demandé à rencontrer l’artiste, il se trouve que c’était Yoko Ono. Ce petit mot-là lui a donné l’énergie.

En quoi est-ce qu’un artiste peut contribuer à la paix ? Peut-être que c’est en donnant de l’énergie.. L’art peut donner de l’énergie. Je ne pense pas qu’il ait l’ambition, ni le pouvoir de donner du sens à la vie – qui n’en a peut-être pas. Seulement un peu d’énergie, pour tenter le coup de l’aventure humaine.

Ça se passe entre un visiteur et une toile, un lecteur et un livre. La beauté de la chose, c’est que ça ne peut se passer qu’entre deux personnes, à petite échelle, à la mitaine; avec de la chance, le hasard s’en mêlera. Mais ça peut être long, c’est toujours à recommencer et ce n’est jamais fini. C’est pour ça qu’Aragon dit « le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard ».

Ou « Quand les hommes vivront d’amour. Il n’y aura plus de misère » [chanson de Raymond Lévesque, hommage APLP 2010]. La chanson finit mal avec ce « oui mais nous serons morts mes frères ». Qu’est-ce qu’on peut répondre à tant de terrible lucidité? Même si la chanson est terrible, elle donne de l’énergie, ne serait-ce que l’énergie de la faire mentir. Quand les hommes vivront d’amour… il paraît que tout ce qui est pensable sera possible. Hubert Reeves dit que devant l’état des choses, il est « volontairement optimiste ». Quand on lui a demandé ce qu’il entendait par là, il a dit qu’il n’y avait aucune raison d’être optimiste, mais que c’est la seule attitude qui est vivable…

Je finis avec Tolstoï (au diable, la dépense!) : « sans hâte et sans repos ». J’aime tellement cette phrase : « la paix : sans hâte et sans repos… »

PS Oui bien sûr vous pouvez mettre mes mots sur le site ! Je suis encore remuée de cette rencontre d’hier. Je voudrais ici remercier les membres du conseil d’administration des Artistes pour la Paix, que j’ai cavalièrement oublié de nommer hier. En fait, cela allait tellement sans dire pour moi, que j’ai oublié le plus important…

J’y vais d’une considération bassement matérielle, ici, qui est peut-être une faute de goût mais je la dis quand même. De savoir que vous, membres du C.A., donnez de votre temps gratuitement – beaucoup de votre temps – pour promouvoir la paix qui est quelque chose tellement difficile à définir d’une certaine manière, me fait chaud au cœur, m’impressionne. C’est tout un mouvement de résistance, invisible souvent, souterrain, qui n’a rien à vendre et qui ne coûte rien. Voilà une des plus belles provocations qu’on puisse faire de nos jours : faire les choses gratuitement.

Amitiés,
Pascale

PS le renouvellement de ma carte de membre est envoyé !

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Pascale Montpetit entre Dany Laferrière et Nancy Lange, 14 février 2011