Un condensé d’informations par Pierre Jasmin, vice-président APLP

  1. Turquie-Kurdistan mission internationale de paix
  2. Syrie (Genève) négociations de l’ONU en péril
  3. Rojava les Kurdes peu appuyés sur le terrain
  4. Irak autre victoire à la Pyrrhus
  5. Credo pacifiste de sociologues parisiens

 

1L’ancien vice-président des Artistes pour la Paix Dimitri Roussopoulos et Nathan McDonnell (tous deux de Black Rose books à Montréal) projettent courageusement de visiter le leader kurde Abdullah Öcalan [1] dans sa prison.

Abdullah Öcalan

Abdullah Öcalan

En effet, composée de personnalités internationales dirigées par l’avocat Essa Moosa (mouvement Initiative Internationale de Paix et de Réconciliation) qui avait travaillé aux côtés de Nelson Mandela, une mission souhaite d’abord rencontrer le 14 février le ministre turc de la Justice Bekir Bozdağ et le président Recep Tayyip Erdoğan, puis le 16 février le leader kurde emprisonné dans l’île d’Imrali en isolement. Les délégués ont la ferme conviction que ce dernier pourrait jouer le même rôle de réconciliation entre Kurdes et Turcs que Mandela avait joué en Afrique du Sud en 1989. Les Artistes pour la Paix joignent leurs vœux de succès à ceux de Noam Chomsky.

[1] L’originalité d’Öcalan, leader des Kurdes, consiste à répondre intelligemment aux différentes théories avancées afin de résoudre la question kurde et celle du Moyen-Orient. Aux néocolonialistes, le révolutionnaire réplique qu’ils sont précisément les responsables du fatras actuel. Aux intégristes religieux, il rétorque qu’ils aggravent les problèmes et que Dieu n’a pas sa place dans la sphère politique. Aux nationalistes et aux indépendantistes il répond que multiplier les frontières ne fait que diviser encore plus les peuples. Aux anarchistes, avec lesquels il partage nombre de points en commun, Öcalan soutient que l’«État ne sera vaincu que lorsque le confédéralisme démocratique aura prouvé sa capacité à résoudre les questions sociales».

 

2Entretemps, rien ne va plus à Genève dans les négociations inter-syriennes qui viennent d’être levées encore une fois. Il y a deux ans, on voulait exclure les autorités syriennes proches de Bachar al-Assad des discussions de paix, malgré leurs bonnes volontés démontrées dans l’annihilation des bombes chimiques syriennes. Ce mois-ci, à la demande de la Turquie et des monarchies du Golfe, on commet l’infamie d’exclure le Conseil démocratique syrien (CDS), où se retrouvent les Kurdes et l’opposition exclusivement laïque de Syrie.

Staffan de Mistura

Staffan de Mistura

Mais l’émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, constatant la situation sur le terrain où une intervention armée russe vient d’écraser certaines positions rebelles à Alep, annonce maintenant une pause (et une tentative de reprise des discussions au 25 février) : espérons que ce laps de temps permettra de corriger l’erreur fondamentale.

La suspension de la conférence de paix de Genève « montre à quel point les divisions sont profondes », a regretté le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. « Les jours qui viennent doivent être utilisés pour revenir à la table des négociations, et non pour sécuriser davantage de gains sur le champ de bataille ».

Entretemps, à Londres, se tient la « réunion des pays donateurs », censée lever 9 milliards de dollars en faveur des 18 millions de Syriens victimes de la guerre, avec l’ambition d’endiguer la crise des réfugiés qui, du Moyen-Orient à l’Europe, pèse sur les pays d’accueil. Lors de la précédente conférence, en 2015, seuls 3,3 milliards avaient été récoltés sur les 8,4 milliards réclamés et rien ne permet de croire à davantage de succès cette fois-ci.

Pourquoi de telles impasses humanitaires et pacificatrices? Soutenue par Washington, la Grande-Bretagne, Paris, … et l’Arabie saoudite, l’opposition syrienne est dominée par des islamistes d’obédience salafiste, wahhabite (Daech, Front al-Nosra, Djaïch al-Islam, Ahrar al-Sham…) qui rêvent d’installer un califat ou émirat pour « les peuples musulmans », effaçant d’un trait la mosaïque ethnique de la Syrie, en particulier la résistance Rojava.

Moscou et Damas ont su utiliser à leur profit ce délire religieux doublé de vide politique de même que les erreurs grossières de la stratégie occidentale arrimée à celle des monarchies du Golfe et de la Turquie.

 

3D’autre part, la résistance du Rojava [1] tente de développer une société antiétatique et anticapitaliste, par un mode de vie qui valorise le féminisme, la démocratie directe, l’économie sociale, la protection de l’environnement ainsi que le pluralisme ethnique, linguistique et religieux.

À Montréal, un groupe de solidarité s’est créé pour réclamer d’Ottawa :

  • le retrait des organisations Kurdes pour l’indépendance de la liste des organisations terroristes
  • et la reconnaissance par l’État canadien de l’autodétermination des différents peuples du Kurdistan à disposer de leurs terres.

Voir leur communiqué en cliquant ici.
Facebook : «Rojava Solidarity Montreal // Solidarité avec Rojava à Montréal»
Site : rojava-montreal.blogspot.ca
Contact : rojavasolidaritymontreal@riseup.net

Voici maintenant des informations colligées cette semaine du début février à partir d’articles de Pierre Barbancey, du journal français l’Humanité, entre autres une entrevue réalisée avec la Commandante en chef des unités de protection des femmes (YPJ), les combattantes du Kurdistan de Syrie (Rojava), Nasrin Abdallah.

Un an après la libération de Kobané, où en est la situation militaire au Rojava ?

Nasrin Abdallah, commandante en chef des unités de protection des femmes (YPJ), combattantes du Kurdistan de Syrie (Rojava) : photo Frédéric Lafargue

Nasrin Abdallah, commandante en chef des unités de protection des femmes (YPJ), combattantes du Kurdistan de Syrie (Rojava) : photo Frédéric Lafargue

Nasrin Abdallah Nous avons effectivement libéré Kobané, mais le risque d’attaques est permanent (…) Il a fallu élargir les lignes de défense pour protéger la ville. De plus, à l’intérieur même de la ville, de nombreux problèmes demeurent. L’infrastructure a été mise en place mais nous rencontrons beaucoup de difficultés pour la reconstruction de la ville et pour la mise en place des services de base nécessaires à la population, notamment en ce qui concerne la santé. Un des problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons est l’attitude de la Turquie. Il faut savoir que celle-ci empêche l’accès du matériel de reconstruction. Par contre, dans le canton et la ville éponyme d’Afrin (ouest du Rojava), la situation est beaucoup plus difficile et instable. Comme à Kobané, l’an dernier, nous sommes attaqués sur quatre fronts, par tous les groupes terroristes : le Front al-Nosra, Jaich al-islam, Ahrar al-Sham… et d’autres groupes armés. Nous sommes constamment sous la menace de leurs assauts contre la ville, qu’ils tentent de prendre. C’est donc beaucoup plus compliqué. Mais nous avons mis en place notre défense et nous nous défendons par tous les moyens. Afrin est soumise à un embargo très strict en ce qui concerne la nourriture et les besoins de base. L’ennemi n’est qu’à 13 kilomètres de nos portes. Des villageois arabes, qui avaient dû fuir la barbarie, sont venus se réfugier à Afrin. Il y a donc eu un accroissement de la population, ce qui rajoute aux difficultés des autorités locales pour aider toutes les populations, qu’elles soient kurdes, arabes, arméniennes ou assyriennes. Car nous ne faisons évidemment pas la différence. Afrin est donc le canton le plus en difficulté aujourd’hui.

Justement, les unités combattantes kurdes, YPG et YPJ, tentent, à partir de Kobané, de progresser vers l’ouest, vers Afrin. Or, la Turquie menace de frapper vos troupes si elles franchissent l’Euphrate. Où en êtes-vous de cette tentative pour desserrer l’étau qui asphyxie Afrin ? Quelle est l’attitude de la Turquie ?

Nasrin Abdallah Nous avons 600 kilomètres de frontière avec la Turquie et celle-ci est une menace très importante pour nous. Nous avons réussi à prendre le contrôle de 510 kilomètres de frontière et il ne nous en reste plus que 90, dans la région d’Azaz et Jalabus. La Turquie a fermé toute cette frontière, l’occupe des deux côtés pour nous empêcher d’en prendre le contrôle. Si nous réussissons à reprendre ces 90 kilomètres, Daech sera complètement étouffé, il ne pourra plus respirer. Car c’est le seul endroit où il arrive à bouger, à passer en Turquie ou à faire venir des troupes et du matériel.

Récemment, ont été créées les Forces démocratiques syriennes (FDS), comprenant les forces kurdes et des unités arabes. Qu’en est-il exactement ?

Nasrin Abdallah Nous sommes obligés de défendre notre peuple. Si les forces extérieures n’empêchent pas ces attaques, nous allons utiliser tous les moyens à notre disposition pour la survie de notre peuple et renforcer notre système. Notre peuple a été trop souvent l’objet de massacres, voire de génocides. C’est actuellement le cas de la part de l’État turc. Malheureusement, aucun État n’a pris une position claire et ne dénonce ce qui est en train de se passer contre les Kurdes. Il y a 270 villages kurdes sur ces 90 kilomètres de frontière, victimes pratiquement chaque jour des attaques de Daech et de ses bandes barbares. Nous ne pouvons pas être soumis au bon vouloir de pays étrangers. Il nous appartient de défendre nos populations.

Pour l’instant, nous n’avons pas de plan spécial pour toute la Syrie, mais dans tous les cas, le moment venu, quels que soient notre rôle et notre responsabilité, nous les assumerons, pour débarrasser l’ensemble du territoire syrien de ces barbares. Nous sommes donc dans cette nouvelle formation. Nous respecterons les décisions qui seront prises. Les forces unies au sein des FDS représentent la véritable armée libre syrienne, parce que tous les peuples de Syrie y sont représentés. Je rappelle que (…) si nous avions reçu une aide concrète, nous aurions récupéré cette bande de territoire de 90km et Daech ne pourrait plus avancer. Si nous n’avions pas combattu et stoppé Daech, pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé ? Où seraient aujourd’hui ses forces djihadistes ? Dites-vous qu’ils ont des centaines de cellules dormantes dans les villes d’Europe qu’ils auraient réveillées à partir du moment où ils auraient atteint leur but au Kurdistan, et auraient très certainement massacré des dizaines de milliers de personnes. Nous avons brisé leurs plans. Nous sommes une force qui a combattu, nous avons perdu beaucoup de nos enfants dans ces batailles. Et nous continuons à le faire. Sur le plan strictement politique, notre système montre toute sa valeur démocratique, de respect des communautés, des confessions et des genres. Pourtant, alors que se tiennent des négociations intersyriennes à Genève, on nous exclut. On ne veut pas de nous. Que voulez-vous que nous pensions ? On nous empêche de nous exprimer sur un avenir qui nous concerne et alors que nous contrôlons un territoire grand comme trois fois le Liban. Nous ne demandons pas de l’aide. Nous réclamons notre droit. Si vous parlez des droits humains, des droits des peuples, alors je rappelle que nous sommes des humains, que nous sommes un peuple. C’est le droit de vivre librement sur nos terres que nous sommes en train de défendre. Il faudrait qu’on nous aide, pas seulement dans le domaine militaire. Nous ne sommes pas des robots militaires. Si on nous apporte de l’aide, il faut aussi prendre en considération notre construction politique. Nous ne sommes pas voués à simplement servir de chair à canon pour combattre Daech. Notre but ultime est le renforcement de notre système démocratique. Cela fait un certain temps que je prends ma place dans le domaine diplomatique au nom des forces militaires. J’ai rencontré beaucoup de personnalités et de nombreuses forces de divers pays. On n’arrête pas de me dire que nous sommes très forts, que nous sommes d’excellents combattants, que nous combattons le terrorisme, que nous n’avons pas peur. Mais par la suite, quand on demande justement de l’aide, on nous répond que nous ne sommes pas une force légale, reconnue, et qu’on ne peut pas nous aider !

[1] Il n’y a pas d’état central autoritaire qui s’impose sur la population, mais plutôt un développement de différentes formes et organisations démocratiques. Les femmes ont un rôle primordial dans chaque sphère de la société, garanti par des conseils comprenant Kurdes, Arabes, Assyrien.ne.s, Arménien.ne.s et Turc.que.s qui vivent en harmonie, de même que les Musulman.e.s avec les Chrétien.e.s, les Zoroastrien.ne.s, les Yézidi.e.s et les Athées.

 

4En Irak voisin, la libération de la ville de Ramadi est saluée comme « une grande victoire qui marque la première étape de l’élimination de l’État Islamiste » par le premier ministre irakien, Haider al-Abadi. Mais loin de la jubilation d’al-Abadi, CEASEFIRE.CA organisme allié des APLP, par l’intermédiaire du journaliste de la BBC, Thomas Fessy, décrit « une ville fantôme », autrefois peuplée par 400 000 habitants, détruite aux 4/5e par plus de six cents « bombardements de précision » (!)

ramadi

La reconstruction de cette ville sacrifiée et ravagée coûterait 12 milliards de $, alors que les États-Unis et leurs alliés promettent 50 millions de $ au fonds des Nations-Unies pour la reconstruction de l’Irak entière. Voici donc des lieux dont la population est devenue réfugiée, morte ou terroriste : et ce ne serait que la première étape de la paix des bombes ! http://www.ceasefire.ca/?p=23105#sthash.Vs8EZ09Z.dpuf

Rappelons que les APLP s’étaient objectés aux frappes aériennes alliées (y compris les bombardements canadiens votés au Parlement canadien en début octobre 2014 qui n’ont hélas toujours pas cessé depuis) y préférant un soutien aux Kurdes sur le terrain : voir http://www.artistespourlapaix.org/?p=5906 .

 

5Saluons un collectif de sociologues qui a rejoint à Paris notre camp pacifiste.

Ni guerre ni état d’urgence

La guerre exige d’abonder toujours davantage les budgets militaires (soutien des opérations, solde des soldats et des policiers, etc.). Elle conduit conjointement chaque État à faire au moins autant, si ce n’est plus, que les concurrents. La guerre cause et appelle la guerre. Elle avive la surenchère des États qui soutiennent leurs multinationales de l’énergie et de l’armement pour maintenir, réaffirmer, élargir leur domination matérielle (sur les espaces et les ressources) ainsi qu’idéologique et même culturelle (sur des sociétés voulues vassales). La guerre, en France, ne peut se faire qu’au détriment des politiques sociales. La guerre, là-bas, assassine, détruit, ruine et engendre la misère et la haine. Peut-on croire que la détestation d’une France qui bombarde n’aura à terme aucune conséquence en France ? Les performances des Rafales dans les cieux syriens font figure de « Salon du Bourget » grandeur nature. Les ventes d’armes françaises en seront boostées. Et d’ailleurs, la guerre constitue toujours une magnifique opportunité pour vendre, via des circuits opaques, des armes à tous les belligérants. Mais elle facilite en même temps une dissémination des armes (pillages de dépôts, reventes…) qui, par la suite, servent encore, n’importe qui et n’importe quel motif : du terrorisme au grand banditisme…                                                                    

La guerre provoque et provoquera davantage de migrations douloureuses. Lesquelles sont utilisées pour justifier aussi bien la généralisation des équipements de surveillance que toutes les formes de racisme qui, à leur tour, minent les relations sociales. Il faut donc être cohérent: dire non à l’état d’urgence, c’est dire non à la guerre. Car la guerre extérieure entraîne quasi automatiquement le renforcement des contrôles à l’intérieur du pays. Et presque toujours, la guerre produit un rassemblement nationaliste autour d’une supposée identité menacée, ce qui légitime toutes les restrictions de liberté. Elle engendre un état d’urgence permanent qui finit par servir de prétexte pour criminaliser toutes les résistances au néolibéralisme, qui, lui-même, se nourrit de la guerre.

*Signataires : Christine Delphy, sociologue, Francis Feeley, américaniste, Sabina Issehnane, économiste, Rose-Marie Lagrave, sociologue, Daniel Mermet, journaliste, Marwan Mohammed, sociologue, Christian de Montlibert, sociologue, Ugo Palheta, sociologue, Willy Pelletier, sociologue, Sylvie Tissot, sociologue.

Il est sans doute abusif de notre part de leur associer Carol Mann, chercheure en sociologie et directrice de l’association ‘Women in War’ à Paris.