Comment écrire sur la guerre et la paix en moins de 1000 mots? En simplifiant, forcément. Mais en allant à l’essentiel, ce que nos politiciens n’osent pas faire: opinion publique et sondages obligent!

Le gouvernement Trudeau tient sa promesse électorale de retirer les avions de chasse canadiens d’Irak et de Syrie: bravo. Mais son «plan» de remplacement n’ose pas dire «les vraies affaires»: que la guerre n’a rien réglé, ni en Irak (c’est même elle qui a créé le bourbier actuel), ni en Syrie (où la situation n’a jamais été pire depuis 5 ans), ni en Afghanistan, ni en Lybie, ni contre le groupe armé État islamique.

Mais en matière de guerre, l’opinion publique est totalement irrationnelle: quand on tue les nôtres (les six coopérants québécois tués au Burkina Faso) ou qu’on sent le danger se rapprocher (les attentats de Paris), on crie «aux armes» et on veut que les gouvernements envoient les militaires pour «les exterminer tous»; puis quand nos militaires sont tués au combat, on fait pression sur nos gouvernements pour qu’ils rapatrient nos soldats!

Mais nos gouvernements ne sont pas plus courageux pour oser dire la vérité qui dérange: que les seuls vrais gagnants de toutes ces guerres sont les «marchands de canons»: les nôtres (voyez le juteux contrat de General Dynamics avec l’Arabie Saoudite, dont l’idéologie politico-religieuse est à la source même de l’État islamique) et ceux de tous les grands pays producteurs d’armes (États-Unis, Russie et Union européenne).

Quelles qu’en soient les motivations (nobles principes ou intérêts sordides), les guerres sont toujours inefficaces à permettre la justice et à créer la paix. Et qui paie le prix de ce gâchis récurrent: quelques centaines ou milliers de militaires (de préférence, ceux des «autres»), mais surtout des millions de civils innocents, femmes et enfants en majorité, dont les plus chanceux meurent sur le coup (dans les bombardements qu’on prétend «chirurgicaux» mais qui sont bien plus souvent plus ou moins «aveugles»), mais dont la plupart vivront toute leur vie avec les cicatrices des deuils, des handicaps, des maisons détruites ou abandonnées, des déplacements internes ou de l’exil à l’étranger.

Oui, ce qui se passe en Syrie et en Irak est abominable. Oui, le comportement de nombreux djihadistes de l’État islamique est criminel. Oui, les besoins humanitaires des populations civiles souvent assiégées sont criants et urgents. Mais les bombardements de la Coalition (avec ou sans la participation du Canada) ne réglera rien, absolument rien, sinon d’augmenter encore les drames sur le terrain et les profits des actionnaires de l’industrie militaire.

Si le nouveau gouvernement canadien a compris cela (mais je n’en suis pas sûr, sa position sur le retrait des avions de chasse pouvant fort bien être uniquement une manière de se démarquer de la position ouvertement militariste de son prédécesseur conservateur), en tous cas il s’est bien gardé de le dire. Jamais le gouvernement Trudeau n’a osé dire clairement à la population canadienne (et encore moins depuis qu’il est élu) que les conflits en Syrie et Irak ne pourront jamais se régler par la guerre, quel que soit le nombre des bombardiers ou des soldats qu’on enverra là-bas.

Mais cela n’est pas un discours populaire, ni auprès de nos «alliés», ni auprès d’une grande partie de l’opinion publique. Pire, ce n’est même pas un discours «audible», c’est-à-dire qui puisse être simplement entendu, parce que nous vivons dans un monde qui préconise depuis toujours le recours à la force ou à la violence chaque fois qu’on doit résoudre un conflit. Et même si l’échec de la guerre se répète, conflit après conflit, l’opinion publique préfère croire les généralités mensongères que lancent ses leaders politiques (comme la rhétorique des autorités françaises après les attentats de novembre à Paris) pour la rassurer, plutôt que d’examiner avec lucidité et courage les leçons claires de l’Histoire.

Alors, si la guerre est toujours un échec, que peut-on faire? S’asseoir avec tous les belligérants et trouver, patiemment, avec opiniâtreté et courage, les solutions et les compromis nécessaires pour sortir de la spirale de la violence. On le voit bien dans le conflit israélo-palestinien qui pourrit les relations politiques de tout le Moyen-Orient depuis maintenant plus de 60 ans. La violence, même à supposer qu’elle puisse parfois être bien intentionnée, ne nourrit toujours que plus de violence.

Et si la position que je défends, avec bien d’autres, est encore marginale, c’est tout simplement parce que nos gouvernements n’osent pas la proposer, tant elle va à l’encontre d’intérêts économiques et politiques puissants: même le héros de la seconde guerre mondiale, le général Dwight Eisenhower devenu président républicain des États-Unis, a senti le besoin de mettre en garde ses compatriotes, dans son discours de fin de mandat en janvier 1961, contre le danger que représentait l’influence indue du complexe militaro-industriel sur le gouvernement américain.

Le gouvernement Trudeau a l’occasion unique d’utiliser la conjoncture internationale actuelle et sa volonté de redéfinir la place du Canada sur l’échiquier international pour innover de façon significative en matière de politique étrangère. Compte tenu de sa position de «moyenne puissance» dont la réputation diplomatique a longtemps été très appréciée partout dans le monde (songeons bien sûr aux «casques bleus», un invention canadienne qui valut le prix Nobel de la Paix à Lester B. Pearson, mais aussi à de nombreuses autres initiatives diplomatiques comme le Traité sur les mines anti-personnel), le Canada est l’un des pays les mieux placés pour oser dire que la guerre est dépassée comme moyen de régler les conflits. Et pour investir massivement, et systématiquement, dans les alternatives non militaires comme contribution canadienne à la sécurité internationale… et à la Coalition occidentale qui dit vouloir mettre fin aux conflits en Syrie et en Irak.

Utopique? Quand même un éditorialiste de La Presse ose questionner la fatalité de la guerre (Mario Roy dans «La guerre? No sir…», 3 janvier 2012, basé sur les thèses de Joshua Goldstein et Steven Pinker), on peut croire que l’idée n’est pas si folle que cela! Comme on doit  se rappeler que la fabrication d’une bombe atomique était une utopie aussi folle au moment où les États-Unis ont décidé de tout mettre en oeuvre (savants, recherches et ressources financières) pour la concrétiser! Quand on veut vraiment, on peut. La guerre ou la paix.

Dominique Boisvert