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Photo de Brasilia le 8 janvier 2023 par REUTERS

Une unanimité internationale très bienvenue

COURRIER INTERNATIONAL « La plus grande attaque contre la démocratie brésilienne depuis la fin de la dictature militaire », en 1985. C’est ainsi que le journal Estado de São Paulo qualifie, dans son éditorial, l’invasion du Congrès, du palais présidentiel du Planalto et de la Cour suprême à Brasília, par des partisans de l’ex-président Jair Bolsonaro, dimanche le 8 janvier. Pendant de longues heures, des centaines de manifestants ont protesté contre le retour au pouvoir du dirigeant de gauche Lula. Pour le quotidien de la mégalopole brésilienne, « la facilité avec laquelle les émeutiers, qui n’acceptent pas la défaite de Jair Bolsonaro au dernier scrutin, ont envahi et saccagé les sièges des trois pouvoirs […] est effrayante. »

Ce fut un remake du 6 janvier américain 2021, alors que des émeutiers d’extrême-droite excités par le président vaincu Donald Trump avaient envahi le Capitole américain pour tenter d’invalider le résultat démocratique des élections ayant porté au pouvoir Joe Biden. Le 8 janvier 2022, au Brésil, des partisans de l’ancien président d’extrême-droite, défait par le modéré Luiz Inácio Lula, ont tenté une opération semblable, mais beaucoup moins violente (0 mort, contre sept en 2021). Affligeant tout de même de voir des vandales, armés du drapeau brésilien arborant la devise nationale ordem e progresso, saccager les trois principaux bâtiments du pouvoir fédéral, vides en ce dimanche d’été et laissés sans protection par une police qui aurait été paralysée par les ordres d’un gouverneur local, ancien ministre de Bolsonaro, tous deux se trouvant aujourd’hui hors d’atteinte à Miami.

Au Canada, une manifestation de camionneurs avait duré beaucoup plus longtemps, sans toutefois mettre leurs menaces de déloger Trudeau du pouvoir par une opération semblable d’invasion du Parlement : ils se sont contentés d’occuper la rue et de terroriser les citoyens du centre-ville d’Ottawa.

Il est aujourd’hui rassurant de voir l’unanimité internationale à laquelle M. Trudeau se joint pour dénoncer ce matin cette manifestation contre la démocratie, avec Xi Jinping, Biden, Macron et… Poutine. Même François Brousseau – Le Devoir – utilise des mots bien choisis : « Une minorité agissante et révoltée, modeste pour la mobilisation directe (quelques milliers de personnes dans les deux cas), mais représentative d’une importante fraction de la société, refuse les codes démocratiques, vomit la classe politique et ne peut concevoir la défaite que comme la tricherie d’un adversaire devenu ennemi. »

Dérapages inquiétants de Trudeau/Joly

Malgré cette sagesse, on est en bon droit de s’inquiéter des nombreux dérapages de M. Trudeau qui semble avoir adopté, de concert avec Mélanie Joly, une tactique de paroles à tendance autoritaire et xénophobe, afin de garder leur pouvoir hors d’atteinte de M. Poilièvre, le chef conservateur qui avait fraternisé avec les manifestants d’Ottawa : depuis des mois, on ne compte plus leurs discours musclés appelant le Canada à s’unir par la haine des Talibans afghans, de Moscou, de Peijing et hier, des Iraniens. On ne défend ni les Ayatollahs ni les Gardes Révolutionnaires coupables de féminicides [1] qui avaient descendu le 8 janvier 2020 le vol 752 d’Ukraine International Airlines, reliant Téhéran à Kyiv.

Mais Wikipedia nous informe qu’au Canada, ayant perdu soixante-trois ressortissants dans la catastrophe, le Premier ministre Justin Trudeau se disait alors « furieux » et appelait Téhéran à en « assumer l’entière responsabilité », y compris financière (l’Iran n’annoncera que fin 2020 le versement de 150 000 dollars à chacune des familles des 176 victimes). Trudeau avait alors le courage d’interpeller avec autorité le gouvernement iranien : « Nous avons des informations de sources multiples, notamment de nos alliés et de nos propres services [qui] indiquent que l’avion a été abattu par un missile sol-air iranien. Ce n’était peut-être pas intentionnel ». Le 10 janvier, le président de l’Organisation de l’aviation civile iranienne, Ali Abedzadeh, déclarait encore « une chose est sûre, cet avion n’a pas été touché par un missile ». Oups ! Le 11 janvier, le général de brigade Amir Ali Hajizadeh, commandant de la Force aérospatiale de l’armée des Gardiens de la révolution islamique déclare endosser « la responsabilité » de cette erreur en précisant que « l’opérateur chargé de tirer les deux missiles Tor-M1 a fait feu sans pouvoir obtenir la confirmation d’un ordre de tir à cause d’un « brouillage » des télécommunications. « Le soldat a pris l’avion pour un missile de croisière, a eu 10 secondes pour décider » mais « a pris la mauvaise décision ». Malgré ces explications de leur gouvernement, le 11 janvier à l’université Amir-Kabir de Téhéran, des Iraniens expriment avec vivacité leur sympathie avec les victimes du Boeing et leur colère envers leurs dirigeants se répandra en manifestations à travers le pays (Ispahan, Chiraz, Tabriz etc.). Notre article du 20 janvier 2020 [2] jouissait d’informations du grand connaisseur de l’Iran, Jean-Daniel Lafond.

Trudeau n’avait pas seulement ce courage, mais celui alors encore plus grand d’« accuser les États-Unis d’avoir envenimé la situation avec la frappe qui a éliminé le général Soleimani et d’estimer que sans ce regain de tension, l’accident n’aurait pas eu lieu. »

Aucune trace de ce courage, onusien et indépendant par rapport à Israël très anti-iranien et à Trump qui pourtant n’est plus au pouvoir, dans le long discours agressif hier de M. Trudeau (du moins dans les extraits présentés à la télévision de Radio-Canada). D’où notre inquiétude que son mauvais choix d’armer l’Ukraine et de refuser nos appels à la négociation est en train de transformer Trudeau en général irascible de guerres impérialistes sur plusieurs continents.


[1] http://www.artistespourlapaix.org/violences-anti-femmes-iran-israel/ avec quatre commentaires

[2] http://www.artistespourlapaix.org/laffrontement-de-deux-grands-satans/ 14 janvier 2020