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Brielle Chanae Thorsen, sixième lauréate de l’Ordre de la rose blanche. Photo : Chris Noakes

Création d’un contexte favorable aux revendications féministes

Cette année, le Québec a voulu frapper un grand coup en instaurant « 12 Journées nationales de commémorations et d’actions contre les violences faites aux femmes », culminant vers le traditionnel 6 décembre. La pandémie, et ses ravages consécutifs à l’idiotie anti-masque, ont hélas rendu ces journées inaperçues du grand public qu’on invite à méditer les faits suivants évoqués par Mickaël Bergeron, chroniqueur à la Tribune, alarmé par la recrudescence des violences conjugales et familiales :

« Les chiffres sont là. Une femme sur trois subit une agression sexuelle. Une femme sur trois a été battue, étranglée ou menacée avec une arme. À chaque victime il y a un bourreau. Ça ne peut pas être autrement. À partir de combien de femmes violées, de femmes battues, de femmes appauvries et de femmes exploitées que ça devient socialement inacceptable ? (…) En terminant, voici plusieurs revendications partagées dans les comptes Instagram de Collages_Féministes_Montréal et de Collages_Féministes_Québec : « Pas une de plus » (titre de son article), « Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse ». « Céder n’est pas consentir ». « Sans oui c’est non ». « Qui ne dit mot dit non ». « Causes d’un viol : violeur ».

Depuis le 6 décembre 1989, tragique journée où quatorze étudiantes assassinées froidement par un tueur avaient été ciblées parce qu’étudiantes en Polytechnique – donc selon lui, des féministes envahissant un terrain de chasse gardée des gars -, il y eut plusieurs commémorations du féminicide par les Artistes pour la Paix, dont celle [1] à l’espace Kondiaronk représentée par la photo suivante. Vous rendrez grâce à la ténacité de Heidi Rathjen, collègue survivante des étudiantes tuées et au collectif Polysesouvient, responsables de grandes campagnes pour le contrôle des armes à feu et l’interdiction de la vente d’armes de guerre, pour un dossier que vous pouvez contribuer à faire avancer en ajoutant votre nom à la demande pressante suivante au gouvernement Trudeau [2].

6déc2018

6 décembre 2018. Photo : La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Remise de l’Ordre de la rose blanche à Brielle Chanae Thorsen

Il est très approprié que Polytechnique Montréal ait remis la sixième bourse de l’Ordre de la rose blanche à Brielle Chanae Thorsen, diplômée en génie mécanique et mathématiques appliquées de l’Université Queen’s de Kingston, en Ontario, lors d’une cérémonie virtuelle tenue devant Mona Nemer, scientifique en chef du Canada. Cette bourse de 30 000 $, créée en 2014, est décernée annuellement à une étudiante canadienne en génie qui désire poursuivre ses études aux cycles supérieurs dans ce domaine, au Canada ou ailleurs dans le monde. Les critères d’évaluation de la bourse reposent sur le dossier académique (30 %), les réalisations techniques (35 %) et les réalisations non techniques (35 %). Le comité de sélection, présidé par Michèle Thibodeau-DeGuire, première femme à obtenir un diplôme en génie civil de Polytechnique en 1963, est composé des doyens des facultés de génie de l’Université de Toronto, de l’Université Queen’s, de l’Université de Sherbrooke, de l’Université Dalhousie et de l’Université de Victoria. La proportion des femmes en génie au niveau baccalauréat a grimpé à 30%, des 17% qu’elles étaient en 1989.

« Je suis une forte nehiyaw iskwew [femme crie de la Nation de Saddle Lake en Alberta, où elle avait eu le loisir de suivre des cours d’immersion en français] et une ingénieure audacieuse. Je compte mettre à profit mes connaissances pour les communautés autochtones du nord du pays et diriger ma propre entreprise » a prononcé la lauréate qui entend se spécialiser en énergies durables au service des communautés autochtones du nord du pays. Stéphanie Marin, de La Presse Canadienne, loue le courage de Me Thorsen qui lui a révélé avoir été agressée sexuellement sur le campus, deux jours avant le début des classes. « Pour elle, la côte fut ardue après son agression, survenue dans sa chambre de résidence universitaire, deux jours avant sa première journée d’université : certains jours, la moindre petite tâche était insurmontable. Elle avait de la difficulté à étudier, et même « à s’aimer ». « Comment peut-on être une étudiante parfaite quand on vit un évènement qui a bouleversé notre vie ? »

Die Weiße Rose

L’Ordre explique l’origine de son nom par l’utilisation au fil des années de roses blanches devenues le symbole des activités de commémoration de ce massacre. Mais y a-t-il un lien sur le site de l’Ordre avec les faits suivants : au printemps 1943, alors que la Bavière apprend la capitulation du général von Paulus et des survivants de son armée à Stalingrad face aux Soviétiques, les habitants de Munich lisent sur des affiches publiques la condamnation à mort pour haute trahison et l’exécution sous la guillotine de Sophie Scholl, 21 ans et de son frère Hans, 24 ans, fondateurs du mouvement de résistance au nazisme « La Rose Blanche ».

Le 11 mars 2009, j’avais offert au Centre Pierre-Péladeau un récital intitulé Beethoven, guerre et paix, repris quelques mois plus tard à l’invitation du musicologue beethovénien William Kinderman à la Ludwig-Maximilian Hochschule, l’université même fréquentée par Hans (médecine) et Sophie (philosophie) dont la distribution de tracts avait entraîné leur torture par la Gestapo et leur exécution ordonnée par un tribunal d’état.

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À l’UQAM, le poète Fernand Ouellette avait généreusement rendu « hommage aux martyrs munichois qui ont résisté à la barbarie en dénonçant Hitler, la guerre, et les violences de l’armée allemande dans les pays envahis, tout en étant profondément révoltés par la persécution des Juifs, et, cela dès l’été 1942, après avoir été mis au courant de l’extermination de masse. Ils avaient inscrit sur quelques murs de bâtiments publics, avec du goudron À bas Hitler… Liberté! Hitler massacreur des masses. Ils résistent au nazisme non pas en prenant des armes, mais en écrivant des tracts accusateurs qu’ils distribuent par la poste depuis quelques villes différentes. Le philosophe Raymond Klibansky dira Ces jeunes étaient d’authentiques résistants (…) ils s’opposaient à partir d’une idée. Sophie Scholl avait affirmé magnifiquement la suprématie de la force brute suppose toujours la ruine ou tout au moins l’éclipse de l’esprit. Un esprit dur sans un cœur tendre doit être tout aussi stérile qu’un cœur tendre sans un esprit dur (citation de Maritain). Toute parole que l’âme n’a pas vécue est inanimée, tout sentiment qui n’est pas le berceau d’une pensée est vain… »

Fernand Ouellette mentionna aussi leurs listes de lectures : « leurs poètes préférés Stefan George, Novalis, Hölderlin, Rilke et Claudel ; leurs écrivains : Schiller, Dostoïevski, Léon Bloy, Berdiaev, Maritain sans parler de saint Augustin, Pascal et Bernanos, de même que les musiciens Bach, Mozart, Beethoven, Schubert. (…) [Hans et Sophie sont]non pas des êtres lointains, mais des êtres fraternels que nous ne pouvons qu’aimer et admirer. Des humains qui, envers et contre tout, effectuent leur destin dans une époque donnée, violente et déshumanisante. C’est en leur être qu’étaient les racines de ce que nous devons appeler une lucidité et un courage exemplaires. »

Leur premier tract se terminait par le vœu suivant : « Nous vous demandons de recopier ce tract, et de le répandre ». La Rose Blanche collecte en même temps du pain pour les détenus de camps de concentration et s’occupe de leurs familles. Le groupe est toutefois déçu par le peu d’écho de ses initiatives au sein de la population étudiante. Ce vœu de voir leurs tracts reproduits et distribués, les Artistes pour la Paix le formulent aussi pour leurs articles, censurés pour la plupart. On ne vit évidemment pas dans un contexte semblable mais en résistant ensemble au militarisme très envahissant, on y échappera !


[1] http://lautjournal.info/20181210/leffet-kondiaronk

[2] http://polysesouvient.ca/action/appelalaction/