Si le propre de la liberté est d’éclater les possibilités, ce sont les tendances qui donnent à ces possibilités le pouvoir de se réunir et de se réaliser : elles deviennent alors des puissances. Ce qui nous permet de réhabiliter une notion (la puissance) qui mérite toutes les critiques quand on la considère comme exprimant une existence objective et indépendante, une sorte de surpuissance propre aux dieux, mais qui est, au contraire, inscrite dans la vie comme l’humilité parfaite d’une action encore hésitante. C’est dans la réalisation du possible, en tant qu’elle s’exprime par une actualisation de nos puissances si impuissantes, que se trouve le nœud du problème de la valeur. Nous parlons alors d’une mise en valeur de nos valeurs et d’une mise en œuvre de notre monde intérieur. Il arrive même que ce soient ces puissances que l’on considère former la valeur propre de chaque personne. Je suis ce que je peux.

bedard 12-11-22

Cependant, il ne faut pas oublier que les puissances ne sont rien tant que la liberté n’en dispose pas. En disposer, c’est d’une certaine manière les « faire être » en se donnant à soi-même l’être. Le propre de la puissance, c’est qu’on ne la connaît qu’en la faisant exister pour qu’elle nous fasse exister. Elle n’apparaît que dans le travail cohérent et continu et se désarticule dès qu’on s’imagine seul.

Ainsi le rapport de la possibilité et de la puissance montre assez clairement comment le possible se réalise, mais comment, en se réalisant, il nous réalise. Jusque-là la valeur du possible n’était qu’une hypothèse. Sa réalisation (rendre réel) vérifie l’hypothèse. Elle franchit alors la distance qui sépare le subjectif de l’objectif (c’est-à-dire l’intersubjectif). Et c’est parce qu’elle implique toujours la réalisation que la valeur évoque le courage de se mettre au monde et la nonchalance de rester dans sa coquille d’obéissance.