La pièce de théâtre de Véronique Côté qui porte ce titre fait l’objet dans cette photo d’une protestation « théâtrale » de « travailleuses du sexe » munies de parapluies rouges lors d’une de ses premières représentations à la Bordée, il y a un an. Photo Radio-Canada.

Une dizaine de « travailleuses du sexe indépendantes » protestataires avaient scandé leur message « mon travail, mon choix », afin de discerner l’exploitation et le travail du sexe. Véronique et son amie chercheuse et activiste Martine B. Côté leur ont rappelé[i] qu’à la fin des années 70, aux États-Unis, « les féministes venaient de gagner des batailles comme l’accès à la contraception et à l’avortement, mais voilà que le rôle de la pornographie, du sadomasochisme et de la prostitution dans la domination masculine est apparu sur la table des débats (…) et, depuis, les mouvements féministes de partout se déchirent sur cet enjeu. Deux camps impossibles à réunir? Cette question-là a réduit en miettes la Fédération des femmes du Québec et a déchiré Québec Solidaire en deux. V. et M. ont d’abord tenu à réduire le gouffre entre les positions en répondant généreusement :

« Au moment d’achever cet ouvrage, nous voulons dire que nous nous sommes

laissé ébranler. Par toutes les histoires.

Les histoires de celles dont on entend trop peu les voix.

Les histoires de celles qui voudraient que quelqu’unE prenne enfin soin d’elles.

Les histoires de toutes celles qui ne seront pas d’accord avec nous.

Elles sont nos semblables, peu importe leur position politique. Peu importe le

précipice qu’il semble y avoir entre nous[ii]. »

Véronique avec la lucidité qui honore, et son ouvrage conjoint avec Martine B., et sa pièce[iii], démolit le « droit », pour des hommes, d’acheter des gestes sexuels non désirés à des femmes – entre autres racisées, autochtones, trans, au statut migratoire irrégulier, ayant majoritairement vécu des abus sexuels dans l’enfance dont l’inceste, pour la plupart en situation de précarité, et le plus souvent sous l’emprise d’un proxénète. Cette réalité en outre altérée par la consommation de drogues donne-t-elle la permission à des militantes protestataires de réclamer qu’« on ne peut pas décider à la place des femmes ce qui est bon pour elles? Elles invoquent l’agentivité[iv] des travailleuses du sexe, c’est-à-dire leur capacité d’agir sur le monde, donc leur situation propre. Le potentiel subversif, voire émancipateur de leur métier est souvent évoqué ». Mais une chercheuse lucide comme Maria Mourani démonte ces arguments par ses enquêtes méthodiques : près de 95% des prostituées à qui on pose la question « de quoi avez-vous besoin? » répondent « d’en sortir» ». « L’âge moyen de leur entrée était de QUINZE ANS.

La CLES prône la décriminalisation des prostituées mais « la pénalisation des clients et des proxénètes, ainsi que des politiques sociales soutenant les femmes qui veulent quitter la prostitution. La Suède, en 1999, a été le premier pays à adopter une telle loi d’ailleurs intitulée « la paix des femmes ». À l’inverse, la vision prohibitionniste qui criminalise tout le monde, hypocrite jusqu’au bout des ongles, est celle des États-Unis. Les statistiques montrent que là-bas, si tout le monde est déclaré dans l’illégalité [ce qui fait bien l’affaire des doctrinaires religieux et …consommateurs à la Trump], ce sont surtout les femmes que l’on cible et qu’on arrête. Au pays de la business, le client est roi. »

La pièce la paix des femmes porte une ambition remarquable, jusqu’à inclure dans son intrigue une astucieuse mise en situation de l’avortement, qui ne résout pas tout. Nous donnera-t-on le droit d’émettre auprès des deux autrices un encouragement à pousser plus loin le registre de leurs investigations? La Suède vient d’accepter que l’OTAN s’installe chez elle sans spécifier si ce sera sous forme de base militaire nichant ses bombes nucléaires : or, il existe près de huit cents bases militaires américaines dans le monde, dont plusieurs aux Philippines, des enquêtes démontrant les ravages que provoquent les G.I. pour les populations vicinales, prostituées et autres. Ce genre de désastre impérialiste (mot rarement évoqué : la France en a quelques-unes aussi en Afrique, qui provoquent des rejets populationnels illustrés par l’actualité) est à peine abordé par les autrices qui auront, nous l’espérons, le temps et l’énergie de poursuivre leur travail essentiel, aussi pénible soit-il comme elles le disent souvent, sur ce terrain porteur de grandes vérités.

[i] Dans Faire corps – Guerre et paix autour de la prostitution en tant que fatalité, page 101, édition.atelier10.ca/UQAM.

[ii] Pages 30 et 32 : elles rappellent aussi « le fait de ne jamais criminaliser les femmes qui sont prostituées constitue d’ailleurs l’un des rares points de consensus entre les différentes écoles de pensée : là-dessus, tout le monde est d’accord … avec une réelle solidarité envers celles qui sont dans la prostitution ou le travail du sexe » (plus de 85% sont des femmes).

[iii] Édition.atelier28.ca/UQAM À lire, non seulement la pièce, mais aussi l’excellent contrepoint final signé par Francine Pelletier, entre autres sur le suicide de Nelly Arcan.

[iv] Sa pièce confronte une professeure faisant usage de ce mot intellectuel très clivant pour sa protagoniste qui a vu mourir sa sœur, victime de désinformation sur le sujet.