La diplomatie d’état de puissance moyenne du Canada est loin d‘être
une « élucubration insensée »
Texte original par Douglas Roche, avec un commentaire des Artistes pour la Paix

Publié initialement le 30 mars dans le Hill Times.
Traduction par Christian Morin et Alice La Flèche, approuvée par l’auteur.

 

L’OTAN n’a pas besoin de plus d’argent, mais d’une nouvelle approche pour planifier un agenda COMMUN de sécurité. Le militarisme ne nous a jamais menés très loin.

joly

Mélanie Joly

EDMONTON – En traitant Mélanie Joly de « disgrâce », parce qu’elle s’est affirmée en faveur de l’exercice vigoureux de la diplomatie canadienne, Andrew Caddell attaque non seulement la ministre des Affaires étrangères du Canada en fonction, mais aussi une longue liste d’éminents dirigeants canadiens, dont Lester Pearson, Pierre Trudeau, Paul Martin Jr., Jean Chrétien, Brian Mulroney, Joe Clark, et Lloyd Axworthy.

Dans le Hill Times du 23 mars, Caddell écorche Joly pour avoir émis des « élucubrations insensées » (ERRANT NONSENSE) en réclamant une action diplomatique canadienne musclée, afin d’encourager les États à travailler plus fort en vue de construire une coopération internationale. Non, dit Caddell, le Canada a besoin de « nouveaux systèmes d’armement, de chars d’assaut, d’avions et de navires », et que ceux qui nient cela vivent au pays des licornes. Selon lui, Joly devrait reconnaître cette situation ou « se retirer ».

Je ne m’en prends pas à Caddell personnellement (je n’ai jamais rencontré cet ex-fonctionnaire d’Affaires Mondiales Canada). Mais je m’oppose à sa façon de penser ainsi qu’à la tendance militariste dominante qui s’empare du gouvernement, des politiciens et des médias, pour ne citer qu’une des désastreuses retombées de la crise en Ukraine. L’OTAN n’a pas besoin de plus d’argent, mais d’une nouvelle approche pour planifier un agenda commun de sécurité.

Les tactiques d’intimidation auxquelles ont recours les généraux, les pseudo-experts et le parti Conservateur pour demander plus – et encore plus – d’argent pour le budget de la Défense du Canada affectent ceux qui réalisent que le chemin vers la paix dans le monde nécessite un plan plus élaboré que l’appel aux armes. Mme Joly a plutôt timidement mis de l’avant ce plan lorsqu’elle a déclaré : « Nous savons tous que le Canada n’est pas une puissance nucléaire, il n’est pas une puissance militaire, nous sommes une puissance de taille moyenne, et nous sommes de bons rassembleurs, nous nous assurons que la diplomatie fonctionne, tout en persuadant d’autres pays d’en faire davantage ».

L’idée derrière cette phrase est au cœur des politiques avancées par de nombreux hommes d’État canadiens, réalisant que la force du Canada au niveau international consiste à être un « médiateur de bonne foi » entre les différents acteurs. Lester Pearson a mis en œuvre le maintien de la paix (PEACEKEEPING). Pierre Trudeau a intercédé directement auprès des puissances nucléaires pour leur demander d’interrompre la course aux armements. Jean Chrétien a refusé de participer à la guerre des États-Unis en Irak. Brian Mulroney (et par la suite Paul Martin Jr.) refusa de se joindre à la défense balistique nucléaire américaine. Joe Clark accueillit au Canada les réfugiés boat people vietnamiens. Lloyd Axworthy fut à l’origine du Traité sur les mines anti-personnel.

Dans tous ces cas comme dans bien d’autres encore – on pense à plusieurs canadiens éminents comme George Ignatieff, Saul Rae, Maurice Strong – le Canada a mis de l’avant une politique « rassembleuse », afin de rapprocher des adversaires dans la recherche de solutions de contrôles des armes, de développement économique et social, de droits de la personne et de solutions environnementales. Le Canada, à juste titre, a été qualifié de puissance de taille moyenne. Nous n’avons pas la puissance économique, militaire ou politique pour nous imposer dans quelque domaine que ce soit, mais nous avons depuis longtemps fait preuve d’une habileté extraordinaire à élaborer des solutions pour éviter la guerre.

Ce qui ne revient pas à dire que le Canada a fui le combat. La performance des forces armées canadiennes lors des deux Guerres mondiales et plusieurs autres conflits – la Corée et l’Afghanistan pour ne citer que ceux-là – a démontré un courage à toute épreuve. Je refuse d’être catégorisé comme pacifiste juste parce que je reconnais que le Canada se doit impérativement d’amplifier non pas sa force militaire, mais ses aptitudes de fabricant de paix.

En cette période d’émotion profonde, alors que nous sommes témoins de l’assassinat gratuit et délibéré de civils innocents en Ukraine, les chefs militaires réclament encore plus d’armes. Il doit être dit que les campagnes militaires ont échoué à nous donner la paix promise selon la Charte des Nations-Unies de 1945. Il est évident que Poutine doit être stoppé en Ukraine. Mais cela veut-il dire qu’on ne peut pas envisager de renforcer la capacité de l’ONU de bâtir la paix, alors qu’on vient une fois de plus d’ignorer son appel à faire cesser la guerre ?

Le Canada dépense $24,3 milliards par année en Défense; les budgets des Affaires étrangères, du développement et du commerce international sont de $6,7 milliards (dont seulement le tiers est consacré aux efforts diplomatiques). Augmenter le budget de la Défense pour atteindre le chiffre arbitraire de 2% du PIB représenterait plus de $40 milliards par année. Une telle somme serait mieux investie dans le système de santé, l’éducation et l’augmentation des objectifs de développement durable dans des régions à risque qui peuvent basculer dans de futurs conflits.

C’est ce que Mélanie Joly ressent. Elle mérite non pas d’être vilipendée par les militaristes, mais au contraire encouragée par ceux et celles qui, à l’intérieur comme à l’extérieur du gouvernement, se rendent compte que la plus grande contribution du Canada au reste du monde n’est pas de prendre part aux guerres, mais de les prévenir.

Il faut dire franchement que la politique étrangère militariste des États-Unis des cinquante dernières années a produit d’immenses souffrances partout sur la planète. Ceux qui veulent singer le militarisme américain ne rendent pas service au Canada qui a tant fait pour l’humanité par le passé, et peut encore en faire plus si nous voyons plus haut que la mire d’un fusil.

J’en appelle à Caddell, pour qu’il vise de plus grandes aspirations, à l’instar de Mélanie Joly, pour faire du Canada un chef de file dans la préservation d’un environnement sûr et sécuritaire pour toute l’humanité.

 

douglas_rocheDouglas Roche a servi son pays au Sénat de 1998 à 2004. Un de ses derniers livres s’intitule : Peace prospects in the Biden Era. Il a aussi écrit en différents articles dans le Hill Times: « Le déficit de la démocratie au Canada est choquant. Le gouvernement laisse l’OTAN embrouiller les Canadiens avec sa fausse théorie de « dissuasion nucléaire ». J’appuie le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires. »

Notre commentaire

Un rare mirage de paix – à relayer pour qu’il se réalise

Les Artistes pour la Paix envoient cette lettre traduite par Christian Morin à la ministre des Affaires étrangères qui avait reçu sa version anglaise par Pierre Jasmin, collègue pendant quinze ans de Doug Roche dans le mouvement Pugwash et au Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire.

Nous aimerions simplement que le plaidoyer émouvant pour la paix et contre le militarisme de l’Honorable Roche soit entendu par la ministre Mélanie Joly, sans nous illusionner d’une réponse favorable de la part d’une Libérale dont le gouvernement s’apprête à dépenser dans le budget après-demain de madame Freeland des sommes folles pour des chasseurs-bombardiers F-35 porteurs de mort.

À la différence de notre ami Doug, nous croyons que

  • L’OTAN joue un rôle négatif et ne peut plus être réformé : nous réclamons sa suppression depuis 1991, date de la disparition du Pacte de Varsovie.
  • Les « missions guerrières » afghanes, syriennes et libyennes auxquelles nous nous sommes opposés ne méritent aucune louange telle « le courage à toute épreuve »;
  • Le dernier cri d’alarme du GIEC ne semble plus prôner un développement soutenable, mais, grâce à l’élimination de toute subvention canadienne aux industries pétrolières et gazières, une planète viable, ce que déjà le père de l’écologie Pierre Dansereau prônait il y a trente ans! Nos gouvernements successifs n’ont fait que retarder les solutions évidentes que les Artistes pour la Paix ont toujours défendues.

 

PS À lire, ce texte de David Mandel, ancien collègue syndicaliste de l’UQAM en sciences politiques.