Dimitri Roussopoulos

roussopoulosPorte-parole du comité de solidarité avec le peuple grec, on l’a aperçu toute la fin de semaine à la télévision de Radio-Canada, défendant contre tous ses animateurs brainwashés l’expression démocratique du peuple grec. À tous ces employés qui faisaient plaisir à leurs patrons en dénonçant « un (autre?) référendum qui divise les familles », il répondait patiemment que parfois une cause vaut la peine de donner directement la parole au peuple. À leurs citations obstinées de prévisions des médias corporatifs que le « oui » était en avance dans des familles très « déchirées », il répondait que lui-même connaissait des familles qui allaient, unies, voter « non ». Bref, les 61% et plus récoltés par le non ne l’ont pas étonné, ni l’expression que sans les médias aux mains des puissants, le « non » l’aurait remporté par 80%.

Il y a d’autres raisons d’actualité pour lesquelles on devrait porter attention à Dimitri, vice-président des Artistes pour la Paix de 1985 à 1990. Rappelons que nous avions co-signé un rapport en 1985-6 demandant à Montréal de se déclarer ville ZLAN (Zone libre d’armement nucléaire), que feu le maire Jean Doré, une fois élu, s’est empressé d’accepter, nommant un comité présidé par l’ex-président des APLP, Jean-Louis Roux (les APLP sont en deuil de ce maire qui avait aussi organisé une cérémonie avec le président des APLP de retour de sa flottille de paix en Croatie afin de jumeler sa ville avec Sarajevo assiégée par les milices serbo-bosniaques en 1993).

C’est aussi le vice-président Roussopoulos qui, il y a tout juste vingt-cinq ans, allait porter des fèves, des courges et du maïs en symboles de paix aux femmes d’Oka, pardon, de Kanesatakeh, représentées entre autres par Myra Cree et Monique Giroux qui avaient ouvert leurs portes à des observateurs de la Ligue des Droits de l’Homme dénonçant les tactiques d’intimidation de la Sûreté du Québec. Nous avions publié dans le Devoir à nos frais une annonce tentant de rétablir (dans au moins un média!) les faits d’agression envers une communauté autochtone qui avait écologiquement planté une forêt pour enrayer la progression de dunes de sable sur un terrain où on trouvait aussi des sépultures ancestrales mohawks, là où un maire raciste tentait d’implanter un agrandissement pour son golf. Les Artistes pour la Paix ont alors été sauvagement attaqués par tous les éditorialistes qui refusèrent ensuite notre pétition dénonçant la lapidation par un groupe de Blancs ameutés par des animateurs de lignes ouvertes (Gilles Proulx et cie) d’un convoi autochtone fuyant sur le pont Mercier l’arrivée de l’armée canadienne : cette pétition avait été rédigée par le compositeur Gilles Tremblay (qui a créé plus tard son Wampum symphonique avec l’OSM sous la direction de Charles Dutoit, diffusé sur toutes les radios d’Europe) et signée par cinquante artistes célèbres, dont Janette Bertrand, Richard et Marie-Claire Séguin, Antonine Maillet (dont j’assurais la présidence-intérimaire), Janine Sutto et Mireille Deyglun : une fin de semaine au téléphone avait suffi pour regrouper ces membres des APLP! Radio-Canada a fait un reportage d’une heure sur la Crise d’Oka cette fin de semaine, ne rappelant évidemment aucun des faits que je viens d’évoquer (heureusement, une semaine après, l’émission Desautels le dimanche avec Frank Desor rectifiait).

Rappelons que Dimitri a fait des études en sciences politiques et économiques dans plusieurs universités montréalaises et des études supérieures en économie à la London School of Economics and Political Sciences. Auteur prolifique, il a publié plus de 15 livres, depuis The Case or Participatory Democracy (1970) jusqu’à The Rise of Cities (2012). Reconnu en tant qu’auteur, éditeur (le premier qui a publié les écrits politiques de Noam Chomsky), conférencier et organisateur communautaire engagé, Dimitri Roussopoulos a été à l’origine de plusieurs projets innovateurs à Montréal, entre autres comme président du conseil d’administration du University Settlement, qui devint par la suite le Centre multiethnique de la rue St-Urbain. Au cours de ses deux années de présidence, le University Settlement a mis sur pied une coopérative de crédit locale, la première coopérative d’habitation sans but lucratif dans le Plateau Mont-Royal ainsi qu’une bibliothèque de quartier ouverte à tous et il a inauguré le premier « jardin sur un toit » dans les années 1960.

Actif à l’intérieur du Comité de citoyens de Milton Parc, à partir de ses origines en 1968 jusqu’à présent, Dimitri a cofondé le plus important complexe d’habitation coopératif au Canada, l’ensemble Milton Parc, qui poursuit toujours sa mission grâce à l’établissement d’une réserve foncière freinant la spéculation dans ce secteur qui s’étend sur six pâtés de maisons. Il a également présidé la Société de développement Milton Parc, un organisme sans but lucratif en gestion immobilière qui administre dix entreprises commerciales à l’intérieur du complexe Milton Parc au centre-ville de Montréal.

En 1996, il crée le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), conjointement avec d’autres militants communautaires, dans la foulée du développement du complexe d’habitation coopératif Milton Parc au centre-ville, et il en occupe la présidence jusqu’en 2006.

Une solution pour résoudre le nœud gordien grec?

Mikis Théodorakis / Photo 2004, Wikimedias Commons

Mikis Théodorakis / Photo 2004, Wikimedias Commons

Cette solution s’inspire totalement du legs humaniste du visionnaire compositeur Mikis Theodorakis. Rappelons qu’à ma suggestion, la rectrice de l’UQAM Paule Leduc et son chancelier Pierre Jeanniot avaient accordé en 1998 un doctorat honorifique à  » l’artiste pour la paix grec ». La cérémonie eut lieu en l’Église Notre-Dame, avant qu’il y dirige son oratorio Canto General sur un poème de Pablo Neruda, à l’occasion du 25e anniversaire de la mort du poète lors du coup sanglant de Pinochet au Chili et pour célébrer le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Car la dette en grande partie militaire qui étrangle aujourd’hui les Grecs nous rappelle l’engagement exceptionnel de Theodorakis qui avait défié de sa prison dans les années 60 le régime des colonels : « Vous avez vos tanks, j’ai mes chansons » envoyées en contrebande pour participer au succès du film Z de Costa-Gavras avec Yves Montand, Irène Papas et Jean-Louis Trintignant. Plus tard, le héros du peuple a quitté tour à tour ses postes ministériels dans les gouvernements Karamanlis et Papandréou, dès qu’ils entreprenaient des achats exagérés de matériel militaire, sans réfléchir une seconde aux conséquences du monstrueux endettement du pays.

Theodorakis s’est même isolé politiquement en prenant la tête, à la fin des années 90, d’un mouvement pour la paix entre les ennemis d’hier, turcs et grecs. Il a vilipendé le « pactole d’argent dilapidé par les dépenses militaires. Nous sommes à une époque d’adoration du veau d’or ». Conséquences? Une jeunesse qui « perd de vue l’avenir, des sociétés bien pourvues matériellement, mais qu’est-ce que l’avenir si la jeunesse tombe dans la drogue, dans la solitude et dans la sous-culture ? Le vrai bonheur, c’est la culture. L’artiste est un guide. De ce fait, il a une responsabilité particulière car il possède le privilège de devenir la voix de son temps, une voix qui réunit en elle toutes les autres voix. » (extraits 1998 d’une entrevue par Clément Trudel pour Le Devoir).

Devant le bras de fer qui oppose les « vertueuses » banques françaises et allemandes au premier ministre Alexis Tsipras qui refuse à bon droit d’assumer cette dette militaire, je risque une naïve solution : pourquoi le gouvernement Syriza ne retournerait-il pas pour un crédit du prix coûtant avions et bateaux militaires acquis principalement de la France et de l’Allemagne, jusqu’au montant que le FMI trouvera adéquat, avec la différence assumée par les banques françaises et allemandes qui avaient accordé les fonds d’achat à la Grèce, tout en la sachant non crédible ? Certes, la fierté patriotique de la Grèce s’en trouvera froissée, mais le peuple sera soulagé du fardeau de la dette et de la crise qui les accablent injustement.

Pierre Jasmin
Vice-président des Artistes pour la Paix, professeur honoraire de l’UQAM,
pierre.jasmin@artistespourlapaix.org

Détails biographiques de Mikis Theodorakis glanés sur divers sites, y compris sur http://artistespourlapaix.org/?p=6704

Les créations de Theodorakis contribuent à la renaissance de la musique grecque en remettant à l’honneur le bouzouki et en s’inspirant des chansons populaires et de la liturgie byzantine, boudées par l’élite culturelle. Cette plongée dans la tradition populaire non seulement nourrit son œuvre, mais détermine certains de ses gestes politiques, telle l’instauration de maisons de la culture à travers tout le pays. Mikis Theodorakis contribuera à alimenter la quête d’identité du peuple grec – quête qui donnera naissance à un hellénisme renouvelé –, révélant à ce peuple sa nature profonde, et même sa destinée. La mélodie Epitaphios, écrite sur un poème de Yannis Ritsos, écrivain qui a inspiré Gaston Miron, consacre le début de la révolution culturelle dans son pays, alors que l’oratorio Axion Esti confirme que la musique de Theodorakis n’est pas seulement une œuvre d’art, mais aussi une riposte à l’oppression. Par ses compositions musicales nombreuses et variées, chansons, musiques symphoniques, cantates, oratorios, musiques de ballet, de théâtre et de films, Mikis Theodorakis fait découvrir au monde la profonde beauté des mélodies grecques.

Il contribue aussi à développer la conscience politique des citoyens de toute la planète en composant la trame sonore de films comme Z, État de siège et Serpico, qui révèlent la tragédie des dictatures militaires ou la violence des forces policières. Tout au long de sa vie, il a démontré que l’authenticité et l’affirmation de soi sur son propre territoire permettaient souvent de partager des préoccupations universelles, notamment avec des artistes d’ailleurs. C’est ce que dit sa collaboration avec le musicien Zülfü Livaneli, qui milite à ses côtés en faveur d’un rapprochement entre les peuples grec et turc. Nous remercions ce grand artiste pour la paix de sa simplicité géniale et prolifique. Il a su mieux que tout autre nous offrir une musique bouleversante, inspirée des racines culturelles de son peuple, et nous donner l’exemple que l’engagement et l’art peuvent s’enrichir mutuellement.