Avant la Première Guerre mondiale, il régnait une atmosphère étrange : le sentiment que le continent européen, dans son entier, avait besoin d’une purge, d’un énorme rituel purgatif nécessaire au « redressement moral ». Par « redressement moral », on entendait essentiellement « affermir encore plus les valeurs de la virilité » : force, obstination, sacrifice, flegme devant les massacres et devant sa propre mort et une certaine vénération pour la pratique du viol. Pour une purge, c’en fut une. Mais elle se termina par une humiliation de la « virilité » de l’Allemagne.

le-sabreur

Arriva Hitler (la virilité incarné!), la Deuxième Guerre et ses atrocités si monstrueuses qu’elles ont entraîné un immense refoulement traumatique. Sur ce refoulement s’éleva la guerre froide, non par un retour du bon sens, mais par le fait de la bombe totale. Il fallait transférer la guerre et le colonialisme dans le monde économique. Dans cette guerre froide, l’URSS dut rendre les armes en 1990, ce qui entraîna les États-Unis au paroxysme de l’extase du coq dont ils ne sont jamais sortis (fanatisme religieux, tueries de masse, contrôle du corps des femmes, racisme, pornographie…). Peut-on se surprendre que d’autres coqs (russe, chinois, turque…) soutiennent aujourd’hui le défi?

Bref, nous sommes en état de guerre chronique, quand elle n’est pas militaire, elle est économique. Et elle accélère la crise écologique (destruction des espèces, crise climatique, crise des déchets, acidification des océans…) et la crise sociale (des riches de plus en plus riches, des pauvres de plus en plus pauvres).

Si la guerre est devenue chronique dans l’histoire de l’humanité, c’est qu’il n’y a pas eu d’histoire de l’humanité, mais uniquement l’histoire de la « virilité » entendue comme la peur inversée de la mort. Dans toute ma vie d’homme et d’écrivain, j’ai cherché à me corriger de ce mal par un retour aux philosophies féministes de l’Antiquité et du Moyen Âge et surtout en devenant paysan sur une terre communautaire. Je n’ai jamais pu rallier beaucoup de lecteurs ni beaucoup d’apprentis paysans, mais je ne désespère pas, parce qu’il n’y a pas d’autre chemin que celui de la justice. La force, c’est toujours l’injustice. Nous ne sommes pas à une croisée, nous sommes engagés dans un goulot d’étranglement. L’humanité qui traversera le filtre ne sera pas la même, elle sera composée de femmes et d’hommes aimant leurs enfants plus que leurs privilèges, ils ouvriront leur avenir plutôt que de le refermer.