Par Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix – 15 février 2024

Avertissements canadiens et internationaux bienvenus

Une offensive militaire israélienne à Rafah où quelque 1,5 million de Palestiniens ont trouvé refuge serait « catastrophique », a affirmé tard le 14 février le premier ministre canadien. Dans une déclaration commune avec les premiers ministres australien et néo-zélandais, Justin Trudeau déplore qu’une telle incursion à Rafah puisse générer des effets « dévastateurs », compte tenu de la situation humanitaire déjà désastreuse à Gaza.

« Nous exhortons le gouvernement d’Israël à ne pas s’engager dans cette voie. Les civils n’ont tout simplement nulle part où aller : 1,5 millions de Palestiniens sont bloqués à la frontière. On observe un consensus international croissant sur cette question. Israël doit écouter ses amis et la communauté internationale. On ne peut pas faire payer aux civils palestiniens le prix de la défaite du Hamas. »

Des avertissements similaires mais plus forts d’autres alliés occidentaux ont suivi ceux de l’Organisation des Nations unies. Le président américain Joe Biden a aussi déclaré que le gouvernement Nétanyahou ne devait pas lancer une éventuelle opération militaire à Rafah sans un plan « crédible » pour assurer la sécurité des civils.

Mardi matin, la ministre Mélanie Joly avait ainsi réagi : « Les civils de Rafah sont des personnes — ce sont des mères, des enfants. Ils ont des noms, des histoires — et ils existent. Leur demander de se déplacer à nouveau est inacceptable. Ils n’ont nulle part où aller. » Avant d’ajouter : « Nous avons besoin d’une entente sur la libération des otages, d’une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza et d’un cessez-le-feu durable. »

Ces avertissements qualifiés d’hypocrites par les Palestiniens montrent plutôt un désarroi.

Nous déplorons l’absence de gestes significatifs

Pourquoi avoir attendu au 132e jour du conflit pour enregistrer de telles protestations qu’on pourrait aussi qualifier de remords de conscience[i] ? Et surtout pourquoi dès aujourd’hui ne pas sommer Israël d’obéir à la Cour Internationale de Justice (CIJ)[ii], en menaçant, sinon, d’au moins rappeler notre ambassadrice Lisa Stadelbauer de Tel-Aviv ?

Dès le 1er novembre, l’Agora des Habitants de la Terre et nous avons donné mandat à maître Gilles Dévers de réclamer à la CIJ, parallèlement à la courageuse demande de l’Afrique du Sud, de se pencher sur les actes génocidaires perpétrés par Israël. Merci aux treize juges de la CIJ qui ont résisté aux immorales pressions politiques des puissants dont hélas le Canada, et aux critiques des extrémistes qui ont trouvé leur jugement timoré.

L’appel au cessez-le-feu de l’ONU a été endossé par le Canada le 12 décembre, alors que déjà 18 000 Palestiniens avaient été tués : nos éditorialistes furent déconcertés, après deux mois de nos propres déclarations censurées par les médias, vu notre usage du mot cessez-le-feu, toujours verboten pour l’Ukraine. Les Artistes pour la Paix avaient alors remercié la ministre Joly soutenue par le Bloc Québécois, le NPD et le Parti Vert, pour avoir voté avec 153 pays pour un cessez-le-feu entre le Hamas et Nétanyahou, réclamé par le Secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres, bloqué au Conseil de Sécurité par le honteux veto des États-Unis isolés.

Nous avions alors dénoncé la CAQ et sa Ministre des Relations internationales Martine Biron, qui jugeait la demande de cessez-le-feu « prématurée ». Heureusement, le Parti Québécois et Québec Solidaire ont sauvé l’honneur du Québec, la députée d’origine palestinienne Ruba Ghazal déclarant : « Je suis tellement choquée. La CAQ brise la tradition pacifiste du Québec qui historiquement a toujours été du côté de la paix. La majorité des Québécois sont pour un cessez-le-feu. » Elle a déposé aujourd’hui à l’Assemblée nationale deux pétitions de 12 000 noms, dont ceux de plusieurs APLP, contre l’ouverture d’un Bureau du Québec en Israël, tant et aussi longtemps que ce pays endossera les actes criminels du régime Nétanyahou envers le peuple palestinien.

D’autre part, la décision canadienne de supprimer le financement pour l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) est une mauvaise décision, selon les mots-mêmes du secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères et député de la circonscription de Don Valley Ouest, à Toronto, Rob Oliphant – Mon cœur se brise, car le seul moyen d’obtenir une aide là-bas est l’UNRWA, a confié le député. Comme l’ensemble des grands syndicats canadiens, nous appelons donc le gouvernement – plutôt que de punir le député dissident – à rétablir le financement de l’UNRWA. Sa suspension était d’autant plus scandaleuse qu’elle avait été mise en vigueur le 26 janvier, tout de suite après les États-Unis, le jour où la CIJ a jugé recevable la plainte de l’Afrique de Sud contre Israël pour actes de génocide. On y voit cause à effet.

 

Les accusations israéliennes contre une dizaine des 28 000 employés de l’UNRWA (13 000 à Gaza) n’ont jamais été étayées[iii] !

Les positions de paix noyées par les extrêmes, droites et gauches

 

La CIJ a ordonné que l’État d’Israël prenne des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire nécessaires pour répondre aux conditions de vie défavorables des Palestiniens dans la bande de Gaza. Cette décision est contraignante pour tous les pays qui ont signé la convention sur le génocide, y compris le Canada.

Comme l’écrit Karim Kattan, écrivain palestinien, dans un essai émouvant pour Le Monde, il semble être devenu impossible pour certains soi-disant amis de la Palestine de « dire à la fois : les massacres comme ceux qui ont eu lieu le 7 octobre au festival de la Tribu de Nova sont une horreur scandaleuse, et Israël est une puissance coloniale féroce. » À une époque de défaite et de démobilisation, où les voix les plus extrémistes sont amplifiées par les médias sociaux, un culte de la force semble avoir envahi une partie de la gauche et court-circuité toute empathie envers les civils israéliens ».

La polarisation des voix a écarté la dénonciation de l’action terroriste du 7 octobre par l’extrême-gauche, ignorant la mort d’un millier de civils, dont plusieurs citoyens canadiens, causée par un extrémiste islamiste. La photo suivante tirée de l’OBS montre la haine armée prônée par le dirigeant du Hamas, Yahya Sinouar, inculquée à un fils d’un combattant des brigades Al-Quassam qui n’a peut-être pas l’âge de raison. La légende dit sans doute fils, parce que sa religion, branche du ḥarakaẗ ʾal-muqāwma ʾal-ʾislāmiyya, ne reconnaît pas les filles dignes de se voir « transmettre le sacrement du Jihad armé »…

Le Hamas est l’ami de Nétanyahou qui l’a financé pour qu’il s’oppose au gouvernement palestinien (actuel premier ministre Mohammad Chtayyeh) : le fanatisme religieux, raciste et armé du Hamas dessert donc son propre peuple. Il est en outre devenu un prétexte pour que les Occidentaux de droite prétendent « que la guerre d’Israël n’est pas contre la Palestine mais uniquement contre le Hamas (voir le dessin approprié de notre APLP 2022, Jacques Goldstyn) et qu’on doit donc rejeter tout cessez-le-feu, tant que Tsahal n’aura pas exterminé les terroristes par la force brutale armée. Et on doit taire les interventions de l’ONU qui ne sont pas « objectives », ne reflétant pas la mentalité guerrière des « bons » pays alliés de l’OTAN qui réclament davantage d’armes ». À ce sujet, nous avons signé et tenté de faire connaître la pétition canadienne parlementaire du 3 janvier[iv]. Mais nous constatons aujourd’hui, au lendemain du fiasco de notre remise de prix pour la paix 2023, qu’il n’y a pas seulement les réseaux sociaux et les médias mainstream qui sont ennemis de la paix : nous promettons de vous revenir rapidement là-dessus.

 

Notre amie Elizabeth May m’a remercié aujourd’hui d’avoir appuyé « son appel à élargir notre cadre de référence – notre « carte mentale » politique – d’un système bipartite avec de mauvais choix et à reconnaître qu’au Canada, nous avons cinq partis au Parlement et qu’en 2025, nous élirons non pas un président comme aux États-Unis, mais un parlement que nous voulons diversifié avec PLUS de voix pour des politiques intelligentes et responsables. Donc moins de députés conservateurs et moins de libéraux et plus de tout le monde (évidemment, je veux plus de Verts), mais sur cette question, le Bloc a été formidable et nous devrions également avoir le soutien du NPD. » À bon entendeur, salut !

[i] 30 députés, dont 23 libéraux, avaient demandé un cessez-le-feu dès le 20 octobre, alors réfuté par un Premier ministre jouant indécemment sur les mots de trêve ou de pause humanitaire, pendant que deux millions d’êtres humains étaient bombardés, manquant de vivres et d’eau potable, certains enfants amputés à froid, faute de médicaments retenus par Tsahal. 268 organisations de la société civile canadienne avaient pourtant signé une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu que la pétition parlementaire électronique d’Alexandre Boulerice NPD avait endossé, recueillant près de 300 000 signatures, la plus populaire de l’histoire du Parlement (les médias s’interrogent sur le pourquoi des faked news, quand ils persistent à crypter ces faits utiles de vérité).

 

[ii] La précieuse vidéo suivante produite par LE MÉDIA (France) a éclairé le jour-même la décision par la CJI : https://www.youtube.com/live/s7ZJch2AdNU?si=44QhTy2XiSrqHfy9

 

[iii] J’ai commenté dans Le DEVOIR du 31 janvier l’article de la professeure de l’UQO, Camille Marquis Bissonnette déclarant l’UNRWA indispensable. Poilievre au contraire a proclamé « l’UNRWA terroriste » à partir de simples soupçons non étayés sur 9 de ses 28 000 membres. Combien de membres du Parti conservateur sont complotistes, croient que la terre est plate et ont appuyé l’occupation des camionneurs de la capitale qui menaçait le gouvernement? Certainement plus que 0.31% (la lettre est dans la colonne REVUE DE PRESSE, sur notre site, colonne de droite).

 

[iv] La pétition e-4745 de Heather MacPherson NPD, au titre du Traité sur le commerce des armes (TCA) et des mesures législatives nationales qui s’y rapportent, rappela au Canada sa responsabilité juridique de veiller à ce que ses exportations d’armes ne soient pas utilisées pour commettre des violations sérieuses du droit international ou des violences graves à l’encontre de femmes et d’enfants en réclamant:

  1. un embargo bilatéral sur les armes entre le Canada et Israël;
  2. une enquête pour déterminer si des armes ou des éléments d’armes provenant du Canada ont été utilisés contre des civils palestiniens dans les territoires palestiniens occupés, en particulier au cours de la guerre actuelle contre Gaza;
  1. la révision de toutes les activités en matière de coopération militaire et de sécurité entre le Canada et Israël;
  1. l’interdiction du transfert non réglementé et non déclaré de matériel militaire à destination d’Israël en passant par les États-Unis. »