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Caricature qui comporte plus de nuances que bien des éditoriaux, par Pascal Élie du Devoir.

Il est trop facile de démoniser et Kim Jong-un et Donald Trump : c’est devenu hélas le sport numéro un de nos commentateurs et hommes politiques, se rassurant ainsi commodément de leur propre appartenance à une majorité raisonnable, confortable et peu engagée. Un Justin Trudeau fera oublier ses 500 milliards de dépenses militaires projetées, en prononçant des paroles lénifiantes contre le racisme anti-réfugiés, un Emmanuel Macron fermera quelques vétustes centrales au nom de l’écologisme, tout en dépensant des milliards d’euros pour armer « la frappe nucléaire ». La démonisation des deux leaders extrémistes par les médias a pour effet nocif de rassurer nos leaders français et canadien sur leur « propre » humanité…

De toute façon, ces leaders se démonisent tout seuls: le Coréen en laissant sa population dans une extrême pauvreté en privilégiant le budget des missiles et des armes nucléaires; l’Américain, par ses politiques militaristes et par ses discours dont le dernier à propos de Charlottesville a été naturellement incapable de blâmer les suprémacistes racistes blancs pour les violences survenues (même lorsque les protestations le forcent à réajuster son discours 48h après, il est revenu au naturel ensuite).

Comme d’habitude, notre appel à ne pas intervenir militairement contre la Corée du Nord sera ignoré ou accueilli avec les mêmes réactions qu’à nos appels contre les interventions militaires en Afghanistan [1], en Irak, en Libye et en Syrie : nous étions supposément des « alliés objectifs » d’Oussama Ben Laden, de Saddam Hussein, de Mouamar Kadhafi, de Bachar al-Assad (et maintenant de Kim Jong-un), sans compter nos articles contrant les démonisations d’Omar Khadr au Canada et de Nicolas Maduro au Venezuela. Dans ce dernier cas, si les équations de morts nous répugnent (au Venezuela, une centaine de manifestants tués ET par la droite ET par le pouvoir, dont l’attaque contre le judiciaire est franchement inquiétante et pourrait conduire à un coup d’état militaire), force nous est de déplorer n’avoir jamais vu de telles dénonciations de nos médias face aux dictatures militaires appuyées par la CIA au Guatemala et au Salvador qui y avaient perpétré des centaines de milliers de morts, comme l’avait dénoncé au péril de sa vie l’autochtone Rigoberta Menchu, prix Nobel de la Paix 1992.

On nous reproche aussi d’écrire dans des domaines où notre expertise serait douteuse, ce que dément notre article [2] inspiré par nos consultations en avril dernier auprès du dernier ambassadeur canadien en Corée du Nord, M. Marius Grinius. Pourquoi aucun des médias n’a jugé bon de reproduire ses commentaires, alors qu’il vient pourtant de publier un long article pour le Canadian Global Affairs Institute´? Sans doute parce que la droite n’a que faire des arguments de diplomatie et de rationalité, puisqu’elle carbure aux émotions de la peur et du racisme, deux sentiments qui se nourrissent l’un de l’autre.

L’île reculée de Guam abrite environ 6.000 soldats américains pour une population civile de plus de 160.000 personnes. Il est évident qu’une réelle attaque nord-coréenne envers cette île déclencherait une guerre, avec l’inquiétude de voir la Russie et la Chine forcées de choisir leur camp. Mais nous n’en sommes pas encore là, malgré les menaces de Trump et de Kim Jong-un. Les propos incendiaires du président américain lancés par tweets [3] ne blessent pas autant le pouvoir nord-coréen que la septième surenchère de sanctions votées par l’ONU la fin de semaine dernière, appuyée par la Chine (théoriquement ou pratiquement, par un vrai blocage des exportations de charbon ?).

Kim Jong-un justifie ses propres menaces par le fait que des bombardiers américains B1-B décollant de Guam viennent de survoler la péninsule coréenne, ce qui « prouve », selon l’agence de presse nord-coréenne que les « impérialistes américains sont des maniaques de la guerre nucléaire ». Chaque année, les États-Unis orchestrent agressivement avec la Corée du Sud des exercices militaires baptisés Foal Eagle et Key Resolve simulant une invasion militaire du Nord : l’exercice de cette année s’est en effet aggravé par le survol mentionné.

Mais que faire à propos de l’avancée rapide des « progrès » des armes nucléaires et missiles nord-coréens [4] ? Rappelons que la République populaire démocratique de Corée a décidé de quitter le Traité de non-prolifération nucléaire (ONU) après la déclaration de George W. Bush de janvier 2002 sur l’Axe du Mal représenté selon lui par la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak, ce dernier envahi quelques mois plus tard, comme le sera la Libye après qu’on se soit assuré qu’elle n’avait aucune bombe nucléaire.

La solution globale des 122 pays à l’ONU voulant éradiquer la bombe nucléaire nous apparaît donc la seule viable. Nous appelons M. Trudeau à s’y rallier et pourquoi pas, à se proposer comme arbitre du conflit Trump/Kim Jong-un : n’est-il pas dans une position intéressante, puisque en plein cœur de la crise actuelle, il a réussi à faire sortir de la Corée du Nord un pasteur emprisonné depuis deux ans ?


[1] Les Taliban y occupent une grande part du territoire, malgré la douzaine de milliards de $ gaspillés par le Canada et les milliers de milliards de $ par les États-Unis, deux pays qui doivent décider bientôt d’augmenter ce gaspillage ou non.

[2]  http://www.artistespourlapaix.org/?p=13154

[3] « Vouloir surenchérir avec la Corée du Nord en matière de menaces, c’est comme vouloir surenchérir avec le pape en matière de prières »­, a déclaré John Delury, professeur à l’université Yonsei de Séoul.

[4] Pour Siegfried Hecker, ex-directeur du laboratoire national de Los Alamos, cité par le Bulletin des scientifiques atomiques, Pyongyang n’a pas l’expérience pour tirer « une tête nucléaire suffisamment petite, légère et robuste pour pouvoir survivre à un acheminement par ICBM ».