Notre salut repose sur une sorte de fraternité qui est à faire dans la maison des œuvres, notre création dans la création. Si nous imaginons qu’une planète comme la terre a pour but d’engendrer une masse inconsciente et automatisée, et que cette masse puisse survivre, alors nous serons déçus, car une telle masse ne pourrait s’adapter puisqu’automatisée.

À l’étape où nous en sommes, les sociétés forment surtout un terrain de naissance, un tremplin pour les consciences personnelles qui échappent à la programmation sociale… Ce qui est en pleine production depuis les premières manifestations de la conscience réflexive dans l’animal, ce sont des personnes qui, justement, se détachent de la masse soumise pour produire des œuvres mathématiques, scientifiques, artistiques, sociales, originales…

Personne par personne, œuvre par œuvre se forme la noosphère.

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Fusain de Pierre Lussier

Le monde qui nous est visible est le présent s’enlisant constamment dans le temps causal entropique. Mais ce temps lui-même est mémoire. Les roches sont des mémoires, on peut y lire l’histoire géologique; les rayons de lumière sont aussi mémoires, on peut y lire l’empreinte des étoiles d’où vient cette lumière; les arbres sont mémoires, toute l’histoire de l’évolution des plantes est gravée dans leur biologie; nos os, nos dents, nos cellules sont mémoires… Tout le visible et le palpable est mémoire. Aucune de ces mémoires n’est morte. Elles vivent en se décomposant et en se recomposant sans cesse dans l’évolution. Rien ne passe dans l’univers sans devenir mémoire active, apprentissage des actes créatifs passés pour réfléchir et préparer les actes créateurs futurs.

La noosphère n’est pas une abstraction flottant au-dessus de l’écosphère, elle est dans l’écosphère comme le levain dans la pâte, elle est la réintroduction des consciences personnalisées et de leurs œuvres dans la Conscience en marche qui ne peut être qu’une sorte de métapersonne collective en formation. Elle est la production essentielle de notre planète.

Le béton, les structures de l’économie, les mœurs, les écoulements de l’inconscience qui forment le trafic des automobiles et des avions, de la production et de la consommation ne sont que les dépôts, les scories, les décombres qui se sédimentent pour nourrir les créations de la conscience et enfin produire une harmonie collective… Je parle de la production extraordinaire des êtres qui se sont donné l’existence à eux-mêmes en donnant naissance à des œuvres. Voilà le vrai fruit de la Terre.

Qui pourrait survivre aujourd’hui sans les œuvres musicales, les peintures magiques, les grandes architectures sculpturales, la trace des bouddhas qui se sont incarnés, le sceau du visage de Jésus dans le malheur de Jérusalem. S’accumule dans la noosphère chaque acte original de chaque conscience qui s’est détachée de la masse pour replonger en elle et la transformer.

Les personnes finiront par s’organiser en fraternité, parce qu’aucun artiste connu ou inconnu, aucune œuvre apparemment éphémère ne sont perdus.

Un jour, la noosphère va nous plomber, elle va tellement nous envelopper de son poids vital et de sa force créatrice, que nous verrons surchauffer les machines aux engrenages de fer et aux puces électroniques, nous verrons se désarticuler les mégas entreprises qui tentent de nous programmer. Nous aurons enfin dépassé l’âge du viol et du meurtre. Nous tomberons, un genou à terre, le visage dans les mains, incapables de retenir nos larmes, enfin prêts à reconsidérer notre rôle dans l’Acte créateur de la biosphère.

L’aube approche doucement, la noosphère luit dans les ténèbres. Seules les consciences libres l’annoncent, car elles seules vibrent déjà aux premières lueurs. Mon espérance ne repose pas dans les comportements de l’inconscience des masses, mais dans la noosphère qui finira par emporter nos actes libres dans son élan.