Mise à jour le 7 octobre : Malgré cette déception du vote, le président Juan Manuel Santos continue son travail méritoire pour la paix, appuyé par l’obtention éclatante du Prix Nobel de la Paix.
– Pierre Jasmin

NDLR, une fois le résultat du référendum connu :
Heureusement, l’attitude raisonnable des FARC face à cette victoire du non par moins de 1% semble rejeter la conclusion pessimiste évoquée par l’article de M. Jaramillo. Elles affirment qu’elles vont étudier les offres d’Uribe à leur mérite et ce dernier qui sent sa victoire précaire compte leur offrir autre chose que la campagne de peur qu’il a menée pour faire rejeter la paix. Ce qui est navrant, c’est de voir que 63% des Colombiens n’ont pas jugé bon d’aller voter.

27 septembre 2016 par César Jaramillo, directeur de Project Ploughshares et membre du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire, né en Colombie il y a moins de 50 ans ! Traduit par Pierre Jasmin.

Si un conflit armé vieux d’un demi-siècle peut s’achever à une table de négociation – et non sur un champ de bataille – peut-être y aura-t-il des solutions à d’autres conflits en apparence insolubles à travers le monde.

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Le président colombien Juan Manuel Santos et le chef marxiste Timochenko (celui qui arbore une montre) se serrent la main à Cartagena le 26 septembre devant le secrétaire général des Nations-unies après avoir co-signé un accord qui terminerait une guerre d’un demi-siècle ayant exterminé un quart de million de personnes. Photo REUTERS/John Vizcaino

Pour des Colombiens de ma génération, il est difficile de concevoir une Colombie en paix. Nous sommes nés au cours du plus long (52e année) conflit de l’hémisphère occidental. Cette guerre interminable entre le gouvernement colombien et les Forces Révolutionnaires Armées (FARC) de Colombie étaient devenus l’arrière-plan bouleversant et néanmoins routinier de la vie de tous les jours.

Ce conflit avait de tout temps empoisonné virtuellement toutes les sphères de la société colombienne. La politique était devenue toxique. Des groupes armés d’extrême-droite ont proliféré pour contrer les guérillas gauchistes. Les idéaux épousés par les FARC devinrent entremêlés de trafics de drogue. Les forces gouvernementales ont commis des abus bien documentés. Plusieurs d’entre nous eûmes des parents tués et kidnappés. Certains, comme moi, ont fui pour chercher asile en des pays comme le Canada.

En tout, le conflit résulta en plus de huit millions de victimes, ce chiffre incluant le deuxième plus grand groupe de personnes déplacées à l’intérieur d’un pays depuis la Seconde guerre mondiale, deuxième après les réfugiés internes en Syrie.

Il est donc facile de vanter la signification de cette entente de paix signée lundi le 26 septembre entre le président colombien Juan Manuel Santos et « Timochenko », nom de guerre [1] du commandant des FARC Rodrigo Londoño. Après des années de négociations, d’obstacles épineux et de scepticisme profondément ancré dans plusieurs secteurs de la société colombienne, l’entente représente un beau moment d’espoir pour tous les Colombiens.

Pas seulement les Colombiens devraient y applaudir – le monde entier devrait être réconforté par cette annonce extraordinaire. Si un conflit armé vieux d’un demi-siècle peut s’achever à une table de négociation – et non sur un champ de bataille – peut-être trouvera-t-on des solutions à d’autres conflits en apparence insolubles à travers le monde.

L’entente est le fruit d’efforts remarquables et détaillés. Négociée sur quatre années à La Havane à Cuba, elle couvre grosso modo six terrains : développement rural bien intégré, participation politique inclusive, fin du conflit armé et du trafic illicite de drogues, droit des victimes, le tout conditionnel à approbations, mises en vigueur et vérifications.

Le Président Juan Manuel Santos, qui a pratiquement investi tout son capital politique dans les négociations de paix, a reçu un appui de la part de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Il a reçu aussi des offres d’assistance de plusieurs pays dont le Canada pour les efforts de construction de paix post-entente [ la ministre canadienne du Développement international Marie-Claude Bibeau s’est déplacée en Colombie en juillet, note du traducteur ].

Mais malgré ces appuis internationaux multiples, l’entente de paix se vend avec plus de difficulté à la maison. Depuis le début des négociations, Santos a promis aux Colombiens de leur soumettre via référendum l’entente signée à La Havane. Le référendum tenu aujourd’hui le 2 octobre n’aura que deux options : OUI et NON. Et son issue est hélas bien incertaine.

Les Colombiens ont le droit de ne pas renoncer à leurs idéaux, à la condition que les armes ne soient pas la manière de les imposer à tous.

Même si le OUI mène dans les sondages, une campagne sophistiquée en faveur du non est menée avec tant d’intensité que le pays se perd en une polarisation extrême. Le cri de ralliement du camp du non, mené par l’ex-président Alvaro Uribe (prédécesseur immédiat de Santos), se cristallise sur sa fausse prétention que Santos voudrait « livrer la nation aux FARC ».

Vigoureusement critiqué pour sa campagne de peur et ses positions qui contrastent avec les observations générales, tant au pays qu’à l’étranger, le chef charismatique Uribe jouit d’un appui inconditionnel d’une garde rapprochée fanatique qui a transformé les accords de paix en menace nationale. Ainsi, le camp du NON prétend à tort que les rebelles FARC jouiront d’impunité.

Or, si l’entente est acceptée, ceux qui reconnaîtront leur responsabilité dans la commission de crimes durant le conflit seront éligibles à des sentences suspendues avec restrictions de liberté pendant cinq à huit ans. Ceux qui n’auront pas accepté leur responsabilité mais seront reconnus coupables d’avoir menti, feront face à des sentences ordinaires selon la loi criminelle régulière.

Les opposants à l’entente qui aimeraient voir les chefs FARC derrière les barreaux, même s’ils reconnaissent leur culpabilité, semblent rater un point essentiel : les rebelles n’ont ni été capturés ni défaits militairement. L’entente doit être comprise selon une perspective de justice transitionnelle – une position qui a fait l’objet d’une entente dès le départ des négociations.

Les FARC ne se seraient jamais présentés à la table de négociation si le résultat avait prévu de longues sentences de prison. Maintenant, pour la première fois en un demi-siècle, les FARC vont reconnaître leur responsabilité et contribueront à établir la vérité, ce qui constituera un élément-clé de la poursuite de réconciliation à travers la lunette de la justice de transition.

De plus, l’entente fera que les FARC renonceront aux armes pour devenir un parti politique. Ses membres seront éligibles pour des postes électifs, y compris la présidence. C’est un outrage aux yeux du camp du NON.

Mais cette sorte de transition est à la base des accords. Les Colombiens ont le droit de ne pas renoncer à leurs idéaux, à la condition que les armes ne soient pas la manière de les imposer à tous. Il y a des institutions démocratiques et des processus en place qui permettront une participation paisible à l’évolution politique. Et malgré la haute improbabilité d’un tel événement, si une majorité de Colombiens est éventuellement convaincue d’élire un rebelle comme président, ce sera, factuellement et essentiellement un arrangement démocratique moderne.

D’autres propositions de l’accord, telle qu’une réforme rurale intégrée, sont dénigrées comme « concessions aux terroristes » par les opposants, même s’il y a un certain consensus que ces changements structurels s’imposaient depuis longtemps en Colombie, même dans un contexte autre que les négociations de paix.

Uribe affirme qu’un résultat négatif du référendum mènerait à la simple renégociation des ententes, tandis que le gouvernement et les FARC ont catégoriquement rejeté cette possibilité. Avec un rejet de l’entente par le peuple, des années de négociations et l’entente tomberaient à l’eau et les FARC retourneraient à leur lutte armée.

Même si l’entente est acceptée, il y aura de grands défis à relever pour sa mise en œuvre. Et il faudra un vrai et constant dialogue pour unir tous les Colombiens – y compris Uribe et le camp du NON – derrière cette entreprise ambitieuse.

Peu importe le résultat, la Colombie, et le monde entier, devraient tirer une grande fierté de cette entente historique. Nos souhaits vont à la paix en Colombie, avec nos doigts croisés en faveur du OUI au référendum. Car si le NON advenait à triompher, nous pourrions assister à un autre demi-siècle de sang versé avant que l’occasion de faire la paix se présente à nouveau.


[1] En français dans le texte original

Points en complément à cet article, par Amnistie internationale

Erika Guevara Rosas, une avocate pour les droits de la personne d’origine mexicano-américaine, dirige la section Amériques au secrétariat international d’Amnistie internationale. Elle avait précédemment travaillé au Haut-Commissariat pour les Réfugiés (ONU), ayant dirigé des opérations en Colombie, Équateur, Panama, Pérou et Venezuela.

Le succès de l’accord de paix historique conclu entre le gouvernement colombien et le principal mouvement de guérilla du pays, signé officiellement lundi 26 septembre à Carthagène, dépendra de la capacité des autorités colombiennes à garantir vérité, justice et réparation aux millions de victimes de ce conflit qui a duré plus de 50 ans, a déclaré Amnistie internationale.

La Colombie a parcouru un long chemin depuis ses années les plus sombres. Cependant, les atteintes aux droits humains contre les populations marginalisées, particulièrement les communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes, ainsi que les défenseurs des droits humains, les responsables de communautés, les syndicalistes et les défenseurs des droits fonciers, ne diminuent pas.

« La majeure partie de ces atteintes, dont beaucoup sont attribuées aux groupes paramilitaires toujours actifs malgré leur démobilisation il y 10 ans, ne se déroulent pas lors de combats et sont motivées par des intérêts économiques. Souvent, les communautés exposées sont précisément celles qui font campagne contre l’exploitation de leurs terres et territoires, via l’implantation de mines, d’infrastructures, d’industries et d’agro-industries », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Mettre fin aux hostilités entre les forces gouvernementales et les FARC ne suffira pas à éradiquer ces violations, sauf si des mesures efficaces sont prises pour lutter contre les groupes armés qui s’en prennent aux civils et traduire en justice ceux qui, dans les sphères de l’État, de la politique et des affaires, les soutiennent.

« Pour que cet accord de paix soit effectif et pérenne, il doit être mis en œuvre en consultation très étroite avec les personnes, les groupes et les communautés qui ont souffert de ce conflit sanglant pendant des décennies. Si ce n’est pas le cas, il ne sera guère plus que des mots sur le papier », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Les droits humains en Colombie en 10 chiffres

7,9 millions – victimes du conflit armé, dont près de la moitié sont des femmes (Unidad para la Atención y Reparación Integral a las Víctimas, UARIV, septembre 2016)

6,9 millions – victimes de déplacement forcé (UARIV)

267 000 – victimes d’homicides dans le cadre du conflit armé, pour la plupart des civils (UARIV)

4 392 – victimes de possibles exécutions extrajudiciaires recensées par le bureau du procureur général (Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies en Colombie, mars 2016)

46 386 – victimes de disparitions forcées (UARIV)

29 622 – victimes d’enlèvements (UARIV)

11 062 – victimes de mines anti-personnel et de munitions non explosées (UARIV)

8 022 – enfants soldats utilisés par les groupes paramilitaires et les mouvements de guérilla (UARIV)

63 – défenseurs des droits humains, dont des responsables de communautés indigènes, afro-colombiennes ou paysannes, tués en 2015 ; 52 au cours des neuf premiers mois de 2016 (Programme « Nous sommes des défenseurs »).

20 – syndicalistes victimes d’homicide en 2015 (École nationale syndicale, ENS)