Désarmants Artistes pour la Paix
Chapitre 2

La ferveur protectrice de notre mère la Terre par les Premières Nations nourrit avec une constance admirable notre idéal désarmant.

En pleine crise d’Oka à l’été 1990, une murale au centre-ville de Montréal dénonce les vols à basse altitude de l’OTAN au Nitassinan. Des Artistes pour la Paix, autochtones et non-autochtones (pas d’appropriation culturelle…) peignent sur trois étages de maison au coin Berri et Cherrier, à un coin de rue de la future BaNQ, cet art de résistance qui restera intact de graffiti jusqu’en 2010 : une murale artistiquement pensée par Sabrina Mathews à laquelle s’ajoute le poème inscrit de l’écrivain François Charron, un travail coordonné par le secrétaire des APLP Clément Schreiber.

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Avec Robert Bourassa, le compositeur Gilles Tremblay morigène les radios populistes CKAC et CJMS (les Proulx) et le DEVOIR nationaliste pour inciter les Québécois à appuyer un règlement du conflit sans effusion de sang : en fait, les Mohawks traditionnalistes de la Maison Longue protègent une pinède écologique, plantée à partir de 1886 par toute la communauté, amérindienne, protestante et catholique en collaboration avec les Sulpiciens, pour préserver les habitations d’Oka d’ensablements et d’éboulis; la pinède abrite aussi des tombes où reposent des ancêtres. Le maire Jean Ouellette d’Oka ne semble motivé que par l’appât du gain de projets de golf et domiciliaires, en dépit d’une pétition lancée avant la crise par Helga Maeder, qui avec 900 citoyens (sur les 1500 que compte la municipalité !) dénonce le projet commercial, poussé sans étude environnementale et sans consultation, ni des citoyens, ni de la communauté Mohawk de Kanehsatà:ke !

Alanis Obomsawin

Alanis en la Chapelle Historique du Bon-Pasteur lors de l’hommage rendu par Guylaine Maroist, présidente APLP, le 14 février 2015. Photo JF Leblanc

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Invitée au Rideau-Hall par la gouverneure générale Michaëlle Jean lors du récital pour le 200e anniversaire de Chopin par Pierre Jasmin.

Alanis Obomsawim, membre du C.A. des APLP depuis 1983, à qui on a rendu un émouvant hommage en 2015 à la Chapelle Historique du Bon-Pasteur, a démarré son long métrage Kanehsatà:ke, 370 ans de résistance (ONF) aussitôt que l’ONF consentit à lui prêter une caméra malgré les risques, puisqu’elle choisissait de s’isoler derrière les barricades de la SQ parmi les Mohawks : le film recueillit plusieurs prix internationaux et marqua un premier jalon du mouvement Finie l’inertie ou Idle no more.

Quant à la photo de la murale ci-dessus, le Premier ministre Jean Chrétien avait exprimé son intense satisfaction de la trouver dans la version française du document suivant   :

Enquête populaire sur la paix et la sécurité, avril 1992

« À l’heure des grands changements dans le monde :
Pour une nouvelle conception de la sécurité »

Avec l’Alliance canadienne pour la paix (Judith Berlyn) et les Professionnel-les de la santé pour la Survie Globale (Dr. Éric Notebaert), Les Artistes pour la Paix, sous la présidence de Pierre Jasmin, coorganisent les audiences francophones de l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité, spécifiquement au Québec dans leur local de la rue Bleury prêté par Trizec à Jean-Louis Roux et au Nouveau-Brunswick, grâce à la seule commandite fédérale reçue de leur existence, peu de temps après que l’Acadienne Antonine Maillet devint présidente d’honneur des APLP.

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Les co-président-e-s d’honneur des APLP : Antonine Maillet, auteure et Prix Goncourt, et Richard Séguin, auteur-compositeur-interprète.

Six cents mémoires colligés proposent de changer le nom de ministère de la défense par ministère de la paix et de la sécurité. Deux commissaires proposés par les APLP, feu le professeur Jules Dufour (UQAC) et le chef huron-wendat Konrad Sioui siégeaient avec trois autres dont le réputé adversaire de la bombe atomique, le sénateur Douglas Roche qui échangeant avec nous, vient d’écrire un article sur le danger nucléaire que court le monde.

30 lamotheLe cinéaste Arthur Lamothe, membre du C.A. des APLP pendant une douzaine d’années et célèbre grâce à son film de 1969 en hommage aux ouvriers de la construction et de leur chef Michel Chartrand Le mépris n’aura qu’un temps, après plusieurs riches documentaires sur les Innus, tourne en 1992 son chef d’œuvre sur l’art amérindien a mari usque ad mare, intitulé d’après la définition de l’art selon les autochtones eux-mêmes : L’Écho des songes.

30a sculptureLe film montre une interprétation survoltée de Kashtin (Florent Vollant et Claude Mckenzie) sur la scène du Centre Claude Robillard et en remercie au générique de la fin Les Artistes pour la Paix.

Le spectacle terminait en apothéose une manifestation de milliers de jeunes qui ont offert volontairement, selon une idée de Robert Cadotte, leurs jouets de guerre (enterrés sous une sculpture de Linda Covit qui rend hommage à ce geste au Parc Jarry) pour inciter le gouvernement canadien à DÉSARMER.

Rappelons un sketch sur le désarmement, écrit à cette occasion par Jasmin, ayant obtenu auparavant la permission de la réalisatrice Payette, joué par divers comédiens de l’émission Chambres en ville. Vincent Graton interrompt le président des APLP, en scène avec Gilles Vigneault et Richard Séguin, par une pseudo-intervention traitant son discours de ringard et peu adapté aux préoccupations des jeunes, avant de se voir rabrouer de façon comique par des comédiennes de la plus populaire émission de l’heure. Délire chez les jeunes dans le stade !

Dix jours après le tsunami qui affecte la centrale nucléaire de Fukushima le 21 mars 2011, forçant l’évacuation de millions de personnes craignant les radiations, le porte-parole Yves-François Blanchet de la future Première ministre Pauline Marois annonce à une conférence de presse coorganisée en toute hâte par Greenpeace et les APLP (merci à Caroline Harvey !) sa décision de fermer Gentilly, si elle forme le prochain gouvernement.

Photo suivante : ce n’est pas une publicité Québec Solidaire 2022 mais une œuvre d’art 2011 de Geneviève LeBel que ce poster annonçant un spectacle étonnant ! De nombreux métis et membres des Premières Nations, tels Stuart Miyow Jr., Yvan Bombardier et Stéphane Roy ont travaillé à une structure amérindienne qui suscite la curiosité des spectateurs transitant vers les grandes salles de la Place des Arts.

Les fidèles Raôul Duguay, Pierre Jasmin et domlebo, le compositeur d’origine haïtienne David Bontemps, l’immense comédienne féministe Pol Pelletier, la chanteuse et pianiste Caroline Harvey, les poètes Nancy Lange et Hélène Monette sont inclus au bénéfice artistique de ce spectacle, monté un mois et demi après Fukushima, dans le but de faire réfléchir les Québécois.

Ils sont aussi sollicités par des extraits de films présentés, Martin Duckworth APLP2002 étant au rendez-vous, comme toujours, avec ses œuvres marquantes par leur sensibilité !

 

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Manifestation en rabaska de Gentilly à Champlain le 26 juin 2011. Stuart Miyow (chef Mohawk) et Yvan Bombardier (métis) offrent un wampum au maire de Champlain. Pierre Jasmin (APLP) et André Breton (SPUQ-UQAM) en sont témoins.

EN AVRIL 2015 grâce à des fonds principalement obtenus du grand chef Matthew Coon-Come de la nation CRIE, le SYMPOSIUM MONDIAL SUR L’URANIUM présente DES INVITÉS DE TOUS LES CONTINENTS, y compris la docteure Caldicott de Nouvelle-Zélande (si cette planète vous tient à cœur), Gilles Vigneault qui vient interpréter sa nouvelle chanson Uranium et Pierre Jasmin qui y préside deux tables rondes comprenant entre autres la Française Arielle Denis (ICAN.org), le chef innu Ghislain Picard et le chef huron-wendat Konrad Sioui.

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Gilles Vigneault et Cyril Frazao, chargé de projets biodiversité et coordonnateur du Symposium mondial.

C’est Ugo Lapointe (cofondateur et porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine) le grand responsable de cet événement, dont la réussite influencera sans aucun doute le Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement (BAPE) à déterminer trois mois plus tard que l’exploration minière d’uranium ne jouit plus de l’acceptation sociale.

La montréalaise Guylaine Maroist qui deviendra présidente des APLP [1] a, pendant 10 ans, rencontré les plus grands experts du monde sur la question nucléaire et sur l’impact des radiations sur la santé. Voici un extrait du mémoire qu’elle a rédigé pour le BAPE : « Au Canada, aux États-Unis, en France, en Allemagne et au Japon, des médecins, des scientifiques et des environnementalistes dénoncent les méfaits et la dangerosité de la filière nucléaire. Pour la communauté scientifique, l’évidence du lien entre la radiation et le cancer est hors de tout doute. La radiation cause des cancers et des malformations, et l’évidence est établie jusqu’aux plus faibles doses. La filière nucléaire commence avec les mines d’uranium. En plus des risques énormes pour les mineurs, elles compromettent l’environnement à cause, entre autres, des résidus miniers laissés par le broyage du minerai d’uranium. Extraire une tonne d’uranium crée des milliers de tonnes de déchets miniers, hautement toxiques. Ces résidus conservent jusqu’à 85 pour cent de la radioactivité de l’uranium. »

Le 17 juillet 2015, les APLP crient victoire devant la décision du BAPE présidé par Louis-Gilles Francoeur, ancien journaliste du Devoir et admirateur de Pierre Dansereau.

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Si la décision des trois commissaires semblait logique aux pacifistes, elle paraît aux yeux de tous raisonnable le 26 juillet 2018, alors que la compagnie d’extraction d’uranium en Saskatchewan CAMECO, dont les produits se seraient retrouvés dans les bombes pakistanaises et coréennes, annonce la mise à pied brutale de sept cents de ses travailleurs, vu la demande raréfiée mondiale d’uranium, surtout suite à la catastrophe de Fukushima.

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Le co-président du BAPE Francoeur affirme l’illégitimité sociale de l’exploration uranifère (2015)

 

Le professeur en physique de l’Université de Toronto et cofondateur de Science pour la Paix, Derek Paul, avec sa conjointe M’sko Wawashkeshee Kwe (Lilya Prim-Chorney) avait aussi produit devant le BAPE un rapport cosigné avec Pierre Jasmin sur le sujet en mai 2014, renchéri par des rapports des professeurs à l’UQAM Isabelle Miron et Marie Saint-Arnaud, alors membres des APLP, ainsi que par la présidente Guylaine Maroist.

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Constellation XI – Série Fleuve-Mémoire 1994-2014
Linogravure rehaussée d’aquarelle, 38cm X 28cm, 2014. Photo : Lucien Lisabelle
Œuvre du sculpteur René Derouin APLP 2016 qui orne tous nos rapports.

Parallèlement au BAPE, une autre importante victoire survient contre le projet de construction d’un pipeline transportant du pétrole de sables bitumineux par Énergie-Est de TransCanada. Les APLP rassemblent et rejoignent à Cacouna à l’automne 2014 un millier d’opposants : Yvon Rivard, Isabelle Miron, Jean Bédard, Mélissa Grégoire, Yolande Simard Perrault, s’indignent haut et fort, en échos aux mots des poètes présentes de la Première Nation innue, Natasha Kanapé Fontaine et Rita Mestokosho.

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Le vice-président des Artistes pour la Paix et la représentante de l’impressionnant mouvement Idle no more, la poète Natasha Kanapé Fontaine, qui soulève la foule en puisant au fond de ses émotions, haranguent la foule, tandis qu’Isabelle Miron tient une pancarte du Syndicat des professeurs de l’UQAM. Photos : Laurie Edwige-Cardinal

« Je vais vous dire un secret, leur dit Pierre. Quand les Artistes pour la Paix ont débuté leur campagne pour faire fermer Gentilly 2, on était une dizaine de personnes, tout au plus. Sept ans plus tard, la centrale nucléaire est fermée et nous avons publié cette semaine, dans les quotidiens de Quebecor, dans l’Aut’Journal et sur notre site, le fier calcul que le Québec a épargné au moins 9 milliards de $ par nos actions idéalistes écologiques. Alors avec mille personnes aujourd’hui, y compris Martine Ouellet et trois de ses collègues députés péquistes de la région, on a gagné !»

Si ces victoires écolo-économiques ont lieu dans l’Est du Québec, les APLP félicitent aussi la Ville de Montréal qui en même temps a modifié les armoiries de la ville en faisant désormais une place centrale, grâce au symbole du pin blanc, à nos cofondateurs des Premières Nations et a, selon nos vœux, rebaptisé la rue Amherst en rue Atateken qui signifie « fraternité, frères et sœurs » en mohawk.

Nous diffusons ces initiatives importantes de la ville lors de notre diaporama du 26 septembre 2017 à l’UQAM et nous manifestons rue Atateken avec Martine Eloy du Collectif Échec à la guerre, en solidarité avec le Réseau pancanadien pour la paix et la justice de Judith Berlyn en 2020.

La manifestation d’un demi-million de personnes aux côtés de Greta Thunberg pour le respect de la Terre-Mère en septembre 2019 adoptera résolument et joyeusement une vive coloration autochtone !

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Dès 1983 à l’origine des Artistes pour la Paix, notre but primordial était de faire honneur à notre appellation en travaillant à la réconciliation : parmi les premiers à évoquer la grande paix de 1701 que seuls des historiens comme Rémi Savard évoquaient, on l’avait rappelée à plusieurs de nos anniversaires, avec la généreuse participation de Florent Vollant, Chloé Sainte-Marie, Élisapie Isaac et Richard Séguin.

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Dans un article intitulé Pour des musées de la mémoire pour les Premières Nations, l’artiste pour la paix honoraire André Jacob faisait la distinction entre monuments, comme les statues déboulonnées de MacDonald, et les musées vivants tandis qu’on saluait récemment par un commentaire favorable un article de University Affairs sur les sculptures autochtones de plus en plus présentes dans nos universités à travers le pays.

Lors de l’intronisation de la gouverneure générale Mary May Simon dont la nomination a marqué, malgré le malaise de la langue française, un progrès indéniable du Canada vers la réconciliation, on a entendu avec grand plaisir Élisapie chanter en Inuktitut. Non seulement, on l’a retrouvée comme animatrice de la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation à Radio-Canada, mais le 5 octobre dernier, nous l’avons félicitée publiquement lors de la lecture Donald qu’elle donnait à l’Université Bishop’s, en donnant rendez-vous au millier de personnes du public pour sa prestation en avril à la Maison Symphonique avec l’Orchestre Symphonique de Montréal à l’invitation de notre APLP de l’année Dominique Fils-Aimé.

Le 4 octobre, le conseil d’administration des APLP a eu l’honneur d’accueillir la métis au grand-père Kanien’kehá:ka (mohawk) Lilya Prim-Chorney, une artiste de la danse formée par Balanchine mais aussi une activiste antiraciste auprès de la communauté noire des États-Unis ce qui lui avait valu la prison, puis membre honorable de comités interculturels ontariens, avant sa récente intégration au Québec avec notre grand bonheur.

 

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[1] Dans l’actualité présente, comme on l’a vu en 1ère page, avec son documentaire qui fait prendre conscience des ravages causés par les réseaux sociaux et la cyberintimidation des jeunes filles.