Le premier obstacle vers la paix collective est sans doute la naïveté engendrée par la vie superficielle. Tant que nous flottons grisés de confort, nous confondons la paix avec ce confort. On se dit : « Quel prince serait assez fou pour risquer son palais pour plus de soucis ? » Pourtant, si une fois, nous avons quitté notre petit palais en nous disant : «  Je vais simplifier ma vie, quitter mon travail et mes habitudes de consommation pour un an. Je vais aller me faire un petit camp dans le bois juste pour répondre à mes besoins essentiels et ainsi trouver une paix qui n’est pas une fuite. » Si j’ai fait cela, alors, sous mes pieds, le sol superficiel s’est ouvert et je suis tombé dans un puits sans fond. J’ai fait l’expérience de l’absolu, non pas l’expérience d’une idée de l’absolu, mais l’expérience de l’absolu qui ne donne aucune prise aux idées. J’ai ressenti l’effroi, le vertige des infinis.

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Dans cette expérience, deux routes s’ouvrent :

  • La panique existentielle qui nous pousse à refermer à jamais cette ouverture. Et pour ce faire, il n’y a qu’une possibilité : écrabouiller sa conscience. La personne qui a fait l’expérience de l’absolu ne peut plus se supporter, elle est poursuivie par son expérience : son passé est toujours devant elle comme un trou noir. Pour tuer sa conscience, son meilleur chemin est la cruauté. La cruauté consiste à tenter de se prouver que la conscience (qui a toujours une dimension morale) n’existe pas. Pour y arriver, la personne se dit en elle-même :  » En torturant, en soumettant un autre à l’effroi qui m’habite, il va se décomposer et devenir comme moi, me prouvant ainsi que j’ai raison. S’il résiste à ma cruauté, je le torturerai davantage. » C’est le délire cruel.
  • La confiance existentielle qui me pousse à tenir dans l’expérience de l’absolu comme un bébé. Un bébé n’a pas le choix, il passe de l’homéostasie biologique, au vide et à la dépendance complète vis-à-vis de sa mère. Il ne peut pas dire : « Maman, tu n’es pas assez consistante, j’en veux une autre. » Il fait face à la réalité, il compose sa vie avec sa mère. C’est la route du mystique qui tient le coup face à l’absolu. À un moment, il découvre dans l’absolu le sein nourricier et créateur. Il s’en remplit, et finalement il déborde d’amour et de créativité au point de quitter la forêt pour aimer. Il est équipé pour faire face au délire cruel, car il est délivré de la peur de l’absolu.

 

On raconte que dans sa jeunesse, le prince Siddharta doit défendre son royaume. Il gagne la guerre. La coutume veut qu’il tue ou enferme à jamais l’attaquant qui a fait preuve de cruauté gratuite. Mais il ne le fait pas, il lui laisse sa liberté, en se disant, il va comprendre, il va reconnaître la valeur de la paix. Ce n’est pas ce qui arrive, au contraire, le prince belliqueux revient en force et il massacre, torture, d’autant massivement qu’il a accru son cheptel de psychopathes. Siddharta arrive sur les lieux du massacre, il est si troublé par l’horreur causée par son erreur de jugement qu’il quitte sa femme, son enfant, son palais pour se jeter dans l’absolu intérieur. Il va en ressortir Bouddha et guider les personnes dans leur affrontement avec l’absolu.