Sophie Nélisse rivalise avec Anthony Hopkins

Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix, 27 avril 2024

 

Qui sauve une vie sauve l’humanité – Cette thématique humaniste unit ces deux grands films de 2023, Le vœu d’Irina (en polonais, le serment d’Iréna) de Louise Archambault et Une vie (one life) de James Hawes qui racontent l’obsession (fabuleuse) de deux êtres humains ayant réellement existé, la Polonaise Irina Gut et le britannique Nicholas Winton, de vouloir sauver des vies de Juifs en danger d’extermination par la Gestapo nazie.

Hélas non exploitée par le Festival du Film de Toronto (les deux films s’y sont côtoyés en premières mondiales en septembre dernier, un mois avant que le thème du génocide ressurgisse avec l’hideuse revanche disproportionnée de Nétanyahou contre l’attaque du Hamas), une similitude frappante unit l’héroïne et le héros, deux êtres modestes qui pendant des décennies n’ont nullement cherché à mettre en valeur ce qu’ils estimaient simplement être leur devoir de citoyens du monde; ils auraient changé d’avis devant la montée inquiétante dans le monde de la négation de la shoah par l’extrême-droite.

Deux femmes d’exception ont permis leurs réalisations.

Une vie, avec Anthony Hopkins

L’une est Barbara Winton, fille de celui qui âgé de 29 ans avait visité Prague au moment où Hitler annexait les Sudètes. Il y rencontra la Cheffe du Comité britannique pour les réfugiés de Tchécoslovaquie, débordée par un afflux de Juifs fuyant aussi l’Autriche après l’Anschluß et abandonnée par un monde indifférent – dont le Canada repoussant en juin 1939 le navire MS Saint Louis peuplé de Juifs en danger, un «chapitre honteux» de l’histoire collective canadienne dénoncé récemment par Justin Trudeau, qui reste hélas silencieux sur la Flottille de liberté avec quatre Québécois voulant acheminer de l’aide humanitaire à destination de Gaza.

Surnommé abusivement « le Schindler anglais », M. Winton réussira, grâce à sa mère d’origine allemande jouée par Helena Bonham-Carter, à secouer les bureaucrates réticents et à rassembler des familles anglaises qui ouvriront leurs portes à 669 enfants importés dans des conditions précaires. Anthony Hopkins s’incarne parfaitement en ce héros devenu octogénaire, forcé par sa femme jouée par Lena Olin – fabuleuse actrice suédoise qu’on avait adorée dans L’insoutenable légèreté de l’être, sur le roman du tchèque Milan Kundera – de faire le tri de ses archives encombrant la maison. Le scénario du film a obtenu après sa mort la collaboration de sa fille Barbara qui tenait absolument que l’acteur Anthony Hopkins incarne son père : devant le résultat, comment ne pas lui donner raison !

Le serment d’Irina, avec Sophie Nélisse

L’autre femme d’exception est Sharon Azrieli au petit rôle mais coproductrice du film tourné en Pologne, puisque l’héroïne, encore plus remarquable que le héros précédent, en est l’infirmière Irena Gut Opdyke ; elle a sauvé douze personnes juives pendant la Seconde Guerre mondiale, en les cachant dans la villa de l’Oberkommandant Rügerer, joué par Dougray Scott. Elle ne peut réussir son acte héroïque sans l’humanité du collaborateur Schultz, joué avec une retenue très réaliste par l’acteur polonais Andrzej Seweryn. Dan Gordon est le principal auteur du scénario qui met en vedette la Québécoise Sophie Nélisse dans le premier rôle. Elle incarne magnifiquement l’histoire vraie d’une femme bouleversée par l’horreur nazie et le sort réservé aux Juifs, qui va risquer sa vie en abritant et nourrissant les douze hommes et femmes durant une grande partie de la guerre, au nez et à la barbe de son patron nazi, dans la cave de sa somptueuse villa. Les scènes où elle doit céder aux avances de l’Allemand qui a découvert trois juives en rentrant tôt de son travail, ambigües à souhait, sont, malgré le défi de taille, bien rendues par la jeune actrice de 24 ans, tant admirée dans Monsieur Lazhar et La Voleuse de livres, autre drame de la guerre mondiale.

La réalisatrice de Gabrielle et d’Il pleuvait des oiseaux a tourné en anglais cette coproduction canado-polonaise, à l’hiver 2022, en Pologne. Ses très grandes qualités – y compris la musique d’Alexandra Strélisky qui entretient le suspense continu des 110 minutes d’action – éclipsent les nombreuses maladresses inhérentes à l’emploi universel de la langue anglaise, même par les Allemands aboyant leurs ordres. Et pour admirer la prestation remarquable de l’actrice, j’ai revu le film en version anglaise, son rôle en français (très bien) doublé par une autre actrice. On connaît d’autre part la réticence de Louise Archambault face à l’avortement (voir Gabrielle), mais on ne peut qu’admirer la scène où les douze Juifs, potentiellement en danger avec la naissance anticipée d’un bébé dont les pleurs éveilleraient les soupçons, se laissent convaincre par la Polonaise que Hitler serait gagnant avec son génocide juif si on acceptait de supprimer l’enfant : il naîtra dans le maquis de la résistance polonaise et survivra, retrouvant presqu’un demi-siècle plus tard la bienfaitrice à qui il doit la vie.

Ce n’est qu’une des scènes en postface des deux films qu’on aurait souhaitées encore davantage mises en valeur, puisqu’elles en constituent l’aspect documentaire indéniable, dont les faits nous ont arraché les larmes tout au long de leur narration romancée.