Je venais d’écrire ces deux hommages quand j’ai reçu les quelques lignes suivantes de l’Orchestre Métropolitain : C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès du pianiste Nicholas Angelich. La grande famille de l’Orchestre Métropolitain salue la mémoire d’un ami et proche collaborateur et souhaite offrir ses plus sincères condoléances à ses proches et à tous ceux qui ont eu le privilège de croiser le chemin de cet artiste extraordinaire.

Nicolas Angelich

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Photo du pianiste Angelich prise à Rotterdam par Hiroyuki Ito – The New York Times

Américain adopté par la France dès ses treize ans, le pianiste Nicholas Angelich vient de mourir à 51 ans, souffrant d’une maladie respiratoire : cela pardonne peu en cette époque COVID. Sa mère avait étudié avec un pianiste élève de Lazare-Lévy et de Cortot, grandes figures parisiennes, mais étant russe, l’avait élevé dans la vénération de l’école russe du piano, Rachmaninov, Scriabine, Sofronitsky, Richter, Prokofiev et Gilels. France info culture nous rapporte que ses maîtres mots étaient « la rencontre, l’échange, qui font de vous une personne différente : j’ai eu la chance d’avoir été très tôt confronté à différentes cultures; si on veut apprendre, donc, il faut être ouvert à différentes choses ». Trois fois l’expression de la différence : comment les Artistes pour la Paix ne le verraient-ils pas comme un des leurs pour cet éloge de l’autre, à la base de l’ouverture de la communication de paix ? Parmi les témoignages de ses compagnons musiciens, remarquons celui du violoniste parisien Capuçon :

« Comme ta sonorité, tu étais lumineux et tendre à la fois. Je ne jouerai plus jamais une note de Brahms sans être près de toi, pianiste hors norme, ami sensible, fidèle et généreux ».

Car Angelich était un grand interprète de Brahms, au point que même son concerto de Schumann en subissait la pénétrante influence. Merci à Hélène LeBeau qui me l’envoie :

 

Le côté schizophrénique de l’époux de Clara transparaît dès le premier thème, impérieux et abordé par l’orchestre fougueux et viril dirigé de main de maître par Yannick Nézet-Séguin, aussitôt suivi par la mélodie inoubliable, interprétée d’abord par le hautbois, lyrique et romantique dans le sens extériorisé et expressif-égotiste comme une déclaration machiste d’amour qui se saurait irrésistible; puis la mélodie, reprise par le pianiste, sonne intériorisée, ciselée avec amour, comme un dialogue tendre et profond. C’est le plus beau début de ce concerto, pourtant entendu et enseigné plus de cent fois…

Radu Lupu

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Radu Lupu en lévitation spirituelle

Ma première rencontre avec Radu Lupu, pianiste roumain comme Dinu Lipatti, avait eu lieu à Londres lors d’une fête parce qu’aussi asociables l’un que l’autre, on s’était réfugiés dans le même recoin, en retrait de la réception. Radu qui avait remporté le célèbre concours Leeds n’avait pas hésité à engager la conversation avec moi, un nobody auréolé de la seule estime de la maîtresse de maison, la pianiste hongroise Ilona Kabos dont la fantaisie était à toutes les deux semaines d’alterner son enseignement à New York et à Londres.

La carrière de Lupu allait bientôt démarrer, devenu mon idéal de pianiste interprète. D’autant plus que Michiko Uchida, connue à Londres aussi, m’avait conseillé d’aller étudier à Vienne auprès de Dieter Weber, conseil que j’ai écouté grâce à l’aide du Conseil des Arts du Canada. Et quatre ans plus tard, l’enseignement trois étés à Vienne par Neuhaus me décidait de le suivre un an à Moscou à son invitation.

Auparavant, c’avait été encore l’école russe qui m’avait attiré à New York et à Los Angeles à suivre l’enseignement de Rosina Lhevinne, médaille d’or du Conservatoire de Moscou en 1898 malgré les pogroms contre les Juifs sous le régime tsariste. Avec son mari, fuyant la guerre, elle allait une quinzaine d’années plus tard fonder la célèbre école de Juilliard à New York.

Revenons à Radu Lupu, premier prix du concours américain important Van Cliburn au Texas trois ans avant Leeds, qui lui avait offert toute une série de concerts pour qu’il entreprenne une brillante carrière. C’était mal le connaître : il avait répondu qu’il avait encore beaucoup à apprendre de Stanislav Neuhaus à Moscou où il était retourné, avec toutes les privations que cela comportait, alors que les Américains le traitaient de fou de renoncer ainsi à la gloire. C’est sous Heinrich le père Neuhaus qu’il avait pourtant déjà remporté le premier prix du Conservatoire de Moscou, des années auparavant.

Christophe Huss, critique pour Le Devoir, se fait pardonner de ses articles critiques de divers artistes russes ou vénézuéliens sous de ridicules prétextes politiques en vénérant à juste titre Lupu sous l’appellation de « l’alchimiste qui transformait l’immatériel en son ». On peut l’entendre, en contraste d’un jeune orchestre finlandais dirigé de façon extravagante, et il donne une vigueur inhabituelle à son jeu pour s’adapter à ses partenaires. C’était Lupu, dont les interprétations d’œuvres changeaient de caractère selon leur ordre dans un programme déterminé. Rarement ai-je perçu une telle intelligence supérieure, guidée par une telle sensibilité captant tous les signaux, sauf peut-être aussi chez Misha Pletnyev et Denis Matsuev, pianistes dorénavant marqués de soufre par des barbares animés par des haines indifférenciées.

1er concerto de Brahms :

 

Ou on l’écoutera dans un programme exceptionnel :