Lettre d’André Jacob 1er juin

Bonjour Pierre et membres du conseil d’administration,

Octogénaire maintenant limité en raison de problèmes de santé et après plus de 40 années de militantisme pour la paix, je suis profondément atterré par la dissolution éventuelle des APLP. Conscient de ne pas être l’acteur le mieux placé pour commenter et suggérer des pistes d’avenir, car je suis pratiquement incapable de m’impliquer à fond comme je l’ai déjà fait. J’estime que mon expérience de militant pour la paix, mon estime des APLP et mon espoir de pouvoir continuer à collaboration à la mesure de mes moyens m’autorisent à soumettre mon questionnement à la réflexion.

Sans connaître les tenants et les aboutissants d’une telle possibilité, je me doute bien qu’il s’agit de problèmes internes liés à la gouvernance et à des répercussions humaines et financières du manque de ressources pour aller de l’avant. À cet égard, la convocation à l’assemblée générale ne dit pas tout.

Ceci dit, perdre un acteur pour la paix, aussi pauvre soit-il, entraîne un deuil pour les assoiffé.e.s de paix. Nos forces sont déjà tellement limitées dans leur capacité d’action. Les penseurs de la guerre n’auront qu’à se réjouir une fois de plus devant notre faiblesse, le peu de reconnaissance et d’appui. La puissance de la pensée dominante, pratiquement univoque, me paraît sans limites. Les forces bellicistes peuvent compter sur le soutien politique et médiatique pour inculquer une culture de la guerre. Nous, pour éduquer à la paix, nous naviguons à vue avec des cure-dents pour faire avancer notre fragile canot d’écorce.

Il me semble essentiel de ne pas perdre de vue l’esprit et la lettre de la mission des APLP. Permets-moi de les rappeler!

Favoriser la création d’œuvres artistiques pour faire la promotion de la paix, sans parti pris, et en dehors de tout alignement politique.

Sensibiliser les artistes d’ici ou d’ailleurs mais aussi les citoyens aux actions et aux moyens visant à aider la cause de la paix.

Utiliser les arts comme outils de promotion pour protéger :

· la vie (incluant l’environnement,

Utiliser les arts comme outils de promotion pour protéger :

· la vie (incluant l’environnement, l’eau, l’air, le climat et les diversités)

· les institutions d’éducation et de santé publique

· la culture,

· les droits de la personne par la lutte contre le sexisme et le racisme en solidarité avec les minorités et les autochtones.

Organiser et tenir des expositions, spectacles, conférences, réunions, assemblées en conformité et aux fins de promouvoir les buts de la corporation.

Imprimer, éditer, distribuer toutes publications pour les fins mentionnées ci-dessus.

Produire des films et enregistrements visuels et sonores de toutes sortes en conformité et aux fins de promouvoir aussi les buts de la corporation.

L’usure du temps a été un facteur qui a éloigné les APLP de leur mission. Plusieurs questions mériteraient une considération rigoureuse. Chercher le pourquoi du cul-de-sac actuel ne serait-il pas approprié? Les APLP sont-ils toujours en phase avec leur mission? Remettre en question l’approche de l’action (objectifs, stratégies et tactiques) en tant qu’artistes pour la paix ne serait-il une opération à franchir avant de mettre la clé dans la porte? Accuser les médias devenus ennemis trop puissants pour nous n’est-elle pas une stratégie contre-productive? Les APLP peuvent-il en faire des collaborateurs attitrés à la diffusion des positions politiques des APLP? Poser la question, c’est y répondre. Impossible d’ouvrir leur porte avec les mêmes manières de faire qu’eux. Alors, une question fondamentale s’impose : comment instaurer un mouvement de construction d’une culture de la paix à la lumière de notre mission et de nous ressources? Nous ne pouvons pas compter sur le pouvoir médiatique largement inféodé à l’idéologie dominante proguerre. Les APLP ont-ils atteint un tel point de non-retour que le péril de la disparition devient inéluctable? Peut-être pas. Le souffle du désespoir commande peut-être une réflexion orientée vers des objectifs remis en question et vers de nouvelles stratégies.

Le développement d’une culture de la paix pourrait-il redevenir une obsession chez les artistes pour la paix? Une guérilla artistique s’impose. Que dire. Avec le magnifique levier de la création artistique qui a animé les APLP depuis la création de l’organisme, de nouvelles inspirations se trouvent sans doute dans les rangs de la relève. Pourquoi ne pas susciter la création, dans divers milieux, d’un certain nombre d’activités artistiques au cours d’une année. De Blanc-Sablon à Maniwaki en passant par Gaspé, Québec, Trois-Rivières, Montréal, Laval, Gatineau, etc? Certaines pourraient devenir des leviers, modestes peut-être, mais capables d’éveiller des gens à la paix de mille et une manières; valoriser des stratégies et des tactiques nouvelles avec peu de moyens pourrait peut-être changer la direction du vent. Nous sommes peut-être des va-nu-pieds capables d’innover avec la confiance en la force de nos convictions.

Bien sûr, en disant cela, je réfléchis tout haut. Mais en même temps, je me dis que nous prêchons souvent dans le désert en tentant de publier ici ou là un article qui pourrait contribuer à faire dérailler la machine de la propagande guerrière. Tirer sur tout ce qui bouge et sur tous les sujets à répétition semble une stratégie usée, d’autant plus que, mon cher Pierre, tu es à peu près seul à produire des textes à répétition. Je ne dis pas qu’il faille cesser de produire des dossiers d’opinion, mais que notre mission, en tant qu’artiste, consiste peut-être à promouvoir la paix par les arts.

Possible de le faire en collaborant avec des partenaires? À preuve quelques exemples :

Je pense, par exemple, au Festival de la paix de Victoriaville… auquel nous avons déjà participé.

À Ahskennon’nia : Chants de la paix • Lift Every Voice • Chants d’appel et de liaisons.

https://pierre-mercure.uqam.ca/evenement/ahskennonnia-chants-de-la-paix/

Mes récentes et modestes contributions artistiques pour la paix :

Le 24 mars dernier, je fus invité à présenter des poèmes pour la paix dans un récital organisé par l’organisme Tous les arts (St-Eustache). On m’a donné beaucoup de temps, soit 45 minutes pour présenter des poèmes et commenter l’actualité. Ma présentation fut suivie d’une période de discussions pendant environ 30 minutes. La quarantaine de participants et participantes présents ont contribué à créer un véritable « happening » pour la paix. Ces 40 personnes, des gens sans doute convaincus de la nécessité de la paix, sont probablement repartis avec une nouvelle énergie et le désir de contribuer à la culture de la paix dans leur milieu de vie.

Durant le mois de mai, j’ai participé au Festival international de poésie (FIP), Parole dans le monde sous le thème La poésie en action universelle pour la paix. D’ailleurs, un de mes poèmes (voir pièce jointe) sera publié dans le prochain numéro de la revue Entrevous (revue de la Société littéraire de Laval).

Je pense aussi à cette expérience magnifique de poésie dans les écoles. Écrire et partager un poème par mois. Le Café pédagogique, Paris, 6 mai 2024

www.cafepedagogique.net/2024/05/06/ecrire-et-partager-un-poeme-par-mois/

« Dix mois un poème » est le nom d’un joli dispositif collaboratif d’écriture et de mise en voix qui se déploie en Sarthe pour les élèves de cycles 1 à 3. Chaque début de mois, d’octobre à juin, la classe inscrite reçoit sur son espace ENT e-primo un élément déclencheur de l’écriture poétique : une image figurative ou abstraite, une photographie, une amorce écrite, une musique…

Les élèves ont un mois pour produire des textes poétiques en lien avec l’élément déclencheur avant d’en déposer un sur l’espace collaboratif du projet. Toutes les productions y deviennent accessibles pour une nouvelle étape : choisir un poème d’une autre classe, le mettre en voix, partager ces enregistrements, écouter les mises en voix de différentes classes. Inspirant pour tout le territoire et tous les niveaux ?

Ainsi va la vie d’un organisme qui cherche à se renouveler et à se conformer à la mission définie par ses fondateurs devenus trop vieux pour être aussi impliqués qu’avant et partis en paix pour l’éternité.

Le travail d’une longue liste d’artistes qui au fil des 40 ans des ALPL n’ont pas cessé de réinventer des moyens d’agir pour la paix. Et il reste tant d’autres créations pour la paix à inventer…

Solidairement! Bon courage APLP!

André Jacob

Terrebonne, 1er juin 2024

 

Réponse de l’exécutif à André Jacob 6 juin

Cher André,

« Présentement, nous sommes sans webmestre à nouveau et le C.A. du 6 mai va convoquer l’Assemblée Générale annuelle le 9 juin à la société Saint-Jean Baptiste à 14 heures et, à moins d’un revirement inattendu avec une forte participation des membres, va prononcer la dissolution des Artistes pour la Paix. Attends avant d’ébruiter la nouvelle: d’ici deux semaines, une infolettre va mieux l’expliquer. »

Écrit il y a un mois, ce courriel t’a laissé le temps de comprendre pourquoi le site n’a pu publiciser ta belle expérience du Café pédagogique ni ton poème de la revue Entrevous, comme on l’avait fait avec ses poèmes quotidiens sur une période de deux mois contre la guerre en Ukraine. Pourquoi ne nous as-tu pas envoyé d’article relatant ton expérience du 24 mars à Saint-Eustache ?

Je te prie d’aussi comprendre que tout ce que tu expliques dans ta lettre a été tenté et que « mettre complètement l’emphase sur une stratégie de communication de contenus politiques » n’a jamais été notre choix, mais celui des circonstances de deux guerres poursuivies avec hargne par des militaires des deux côtés, encouragées par nos médias propagandistes bellicistes, sans qu’ils nous ouvrent la possibilité d’éclairer les faits : nous leur offrions pourtant les solutions des Nations-Unies aussi censurées que nous que nous avons tenu à rappeler, malgré nos gouvernements et les belligérants tels que Nétanyahou anti-UNRWA et le Hamas terroriste. Curieux qu’en 40 ans, je ne me souviens pas t’avoir entendu, André, faire référence à l’ONU, ni à UNIDIR ni au Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires qui a fait l’objet d’une action positive des APLP au Conseil municipal de Sherbrooke le 4 juin au soir à l’initiative de Claude St-Jarre.

En face de la guerre de l’OTAN-Poutine et surtout celle de Tsahal causant plus de 25 000 morts de femmes et enfants palestiniens, notre appellation « pour la paix » n’a pas eu le choix : il fallait réagir, puisque nos journaux, hebdomadaires, mensuels, magazines, médias télévisuels et radiophoniques et autres censuraient toute évocation de ces monstrueuses réalités, à moins de les envelopper dans des propagandes immondes, ce que tu as bien compris en écrivant. « Nous ne pouvons pas compter sur le pouvoir médiatique largement inféodé à l’idéologie dominante proguerre ».

Notons quand même depuis un an tant d’articles consacrés à notre beau 40e anniversaire et à notre Saint-Valentin du 14 février, mettant en scène des artistes remarquables : combien sont venus les entendre à la Maison de l’arbre Frédéric Back ou au Conseil des Arts de la Ville de Montréal, privés de relais médiatiques? La qualité de nos articles sur divers sujets artistiques les fait reproduire chaque mois dans l’Aut’Journal, Presse-toi à gauche, Entrée Libre, et même la revue française Planète-Paix. Notre site les publie (combien sur le cinéma resté vivant?) et offre aux lecteurs de commenter grâce à Koumbit ouvert à de telles possibilités. Qui s’en prévaut ?

« Pourquoi ne pas susciter la création, dans divers milieux, d’un certain nombre d’activités artistiques au cours d’une année ? » C’est ce qu’ont tenté de faire dans les années 2000 Geneviève LeBel, Dominique Lévesque et Jean-Daniel Primeau avec les dynamiques soirées 3 arts pour la paix boycottées par les médias; nos soirées au Musée des Beaux-Arts de Montréal à l’exposition Yoko Ono-John Lennon; les soirées festives de Judi Richards dont on a gardé les souvenirs-photos (alors que l’égocentrique André Michel parle de sabotage???); les deux ex-présidentes, Louise Marie Beauchamp et Sylva Balassanian, qui ont travaillé avec succès, on s’est toustes heurtées à la difficulté de communiquer l’art de la paix à des médias franchement hostiles. André répond lui-même dans une autre lettre que « le pouvoir médiatique largement inféodé à l’idéologie dominante proguerre est fermé à nos analyses propaix ». Il ajoute : « Pourquoi ne pas susciter la création, dans divers milieux, d’un certain nombre d’activités artistiques au cours d’une année. De Blanc-Sablon à Maniwaki en passant par Gaspé, Québec, Trois-Rivières, Montréal, Laval, Gatineau, etc? » Mais tu as assisté (sans réagir) à la mort du fabuleux projet porteur d’une telle décentralisation de Louise Marie Beauchamp avec Samian, illustré par de belles brochures restées pour la grande part inutilisées, malgré les efforts d’André Cloutier et Izabella Marengo.

Mais je ne cherche pas, à mon tour, des boucs émissaires.

La seule solution qui nous reste sera de rassembler le 9 juin des artistes désireux de mettre la main à la roue de la paix à la recherche de toutes les solutions auxquelles le nouveau C.A. sera ouvert, à la condition que des porteurs de solutions s’y présentent. J’ai fait plusieurs téléphones en ce sens. Si chacune de nous s’active, sans doute réussirons-nous, comme on l’avait fait en 2011, en inversant une possibilité de s’éteindre en réussissant notre résurrection par le Printemps érable. L’humble réussite de nos interventions à l’UQAM en solidarité avec les jeunes campeurs de nos universités qui s’indignent avec raison de la réalité nous incite à croire en la nouvelle possibilité de réussir!

Nous avons reçu depuis des années tant de conseils, nous en recevrons sans doute au point 8 de notre AGA mais nous avons surtout besoin d’énergies humaines et artistiques pour les concrétiser.

Pierre, appuyé par Izabella et Sylvie.