Photo du Jutra du meilleur acteur 2013, Antoine Bertrand, par Stéphane Lessard

Photo du Jutra du meilleur acteur 2013, Antoine Bertrand, par Stéphane Lessard (La Presse)

Louis Cyr et Gabrielle sont d’excellents films qu’on a été heureux de voir récompensés lors de ce gala réussi des prix Jutra où Gabrielle, l’actrice, aurait certes mérité une mention. Absence totale de prétention aussi chez Antoine Bertrand (quel discours intelligent ET émouvant!) et Micheline Lanctôt, artistes d’une authenticité rafraîchissante (seulement au Québec!?), chaleureusement applaudis par la salle, autant que le présentateur Claude Robinson à l’immense capital de sympathie, symbole de résistance contre la globalisation : sans doute le seraient-ils moins à la Chambre de Commerce! Bravo à Loco Locass pour leur hommage émouvant aux regrettés Michel Brault, Frédéric Back et Arthur Lamothe (voir hommages posthumes de ces 2 derniers à droite sur notre site).

LE SPIRITUEL DANS L’ART CINÉMATOGRAPHIQUE

À mon sens, ont été sous-estimés trois films majeurs de 2013 ayant le mérite d’explorer la part impondérable de spiritualité, si appréciée chez un Bernard Émond :

Une jeune fille de Catherine Martin portée par la chimie de ses formidables acteurs Sébastien Ricard et Ariane Legault, par la nature de la Gaspésie et par ses musiques choisies, fut un sommet (inexplicablement ignoré par les nominations) de sensibilité, au point de devancer dans mon palmarès l’autre idéal de simplicité volontaire…

Le Démantèlement,  porté par Gabriel Arcand, au moins nommé. L’héritage paysan menacé, comme bien d’autres valeurs traditionnelles au Québec, rend ce témoignage essentiel.

– Les immenses qualités artistiques de Triptyque de Robert Lepage et Pedro Pires, candidat à plusieurs récompenses internationales, n’ont été hélas qu’évoquées.

Voici trois œuvres, dont la finesse psychologique requiert plus d’un visionnement pour connaître le succès mérité, jugées sans doute de ce fait trop élitistes.

FILMS POLITIQUES

– Comment ne pas accorder la première place des sujets politiques à Québékoisie, un guide essentiel à l’exploration de notre identité métissée, grâce aux témoignages de splendides femmes Innues, de 2 cyclistes allumés et de l’anthropologue Serge Bouchard !?!

– Les quatre soldats du toujours pertinent (car impertinent!) Robert Morin réussit dans un huis-clos bien imaginé à traduire la camaraderie factice des soldats d’une guérilla : de quoi convertir au pacifisme ou tout au moins à la remise en question des interventions guerrières, au moment où nos pauvres soldats reviennent bredouilles et désemparés d’Afghanistan.

La Maison du Pêcheur aurait réussi cette remise en question, si son scénariste n’avait pas inventé le personnage du fils révolté de pêcheur, absent de la réalité historique : ce ravalement inauthentique à la base du film était par conséquent destiné à ne convaincre, malgré de belles qualités cinématographiques, ni les contestataires pacifistes, ni les patriotes fanatiques, tous déçus de voir Luc Picard dans un contre-emploi de facho. Mais le fils inventé révèle les failles du mouvement montréalo-centriste, donc voué à l’échec et à l’amertume par sa nature théoricienne trotskyste, qui allait recourir par orgueil aux absurdes enlèvements FLQ de 1970.

JEUNES RÉALISATEURS ET POLARS

Les polars ont la cote au Québec avec Lac mystère et Hot-dog, ainsi que Whitewash –l’homme que j’ai tué, qui ont irrité ou laissé indifférent. Par contre, Vic+Flo ont vu un ours (étonnante Pierrette Robitaille) présente un scénario alerte et bondissant jusqu’à une fin gore, tandis que Roche, papier, ciseaux évite les pièges par des détails finement esquissés et la présence charismatique de Samian.

Se signalent par leur originalité et leur jeunesse – et la révélation du talent de l’actrice Sophie Desmarais présente aussi dans le Démantèlement – le film nouvelle vague très sympathique La Chasse au Godard d’Abbitibbi du jeune Éric Morin et le subtil Sarah préfère la course de Chloé Robichaud : ici, l’exploration des prémices d’un amour lesbien tout en nuances a mieux convaincu que l’étalement pourtant divertissant par ses performances d’acteurs de l’immaturité des gars dans Amsterdam! Félicitons-nous qu’au Québec ces étalements soient vivants et moins stéréotypés que ceux – surfaits dans l’appréciation des critiques – de l’ennuyeuse Vie d’Adèle I et II, de la médiocre matérialiste Blue Jasmine (malgré la performance de Cate Blanchett) et du redondant Leonardo di Caprio dans The great Gatsby et The wolf of Wall Street.

Film portant sur l’Alzheimer du père du réalisateur Mathieu Roy, magnifiquement interprété par Marcel Sabourin, L’autre maison vaut aussi par la complémentarité des deux fils du grand journaliste, l’un représentant son internationalisme (interprété par Roy Dupuis), l’autre à la recherche de sa voie entravée par ses responsabilités qui l’attachent au chalet familial et l’empêchent de voler, comme il le voudrait, aux côtés de sa forte conjointe :  performance d’acteur d’Émile Proulx-Cloutier qui illustre la frustration des aidants naturels, pour qui ce n’est évidemment pas toujours si naturel…

La pâle et ratée version américaine Delivery man nous fait regretter la magie de Starbuck qui vivait grâce à l’humour subtil du scénario de Martin Petit, de Ken Scott et de son montage et grâce à la pétulance des grands acteurs Patrick Huard et Julie Le Breton. Prisoners et Enemy démontrent au contraire la force intacte, même transplantée aux États-Unis, du réalisateur Denis Villeneuve et Dallas buyers’ club celle de Jean-Marc Vallée, réussissant trois défis au départ apparemment insurmontables. Le gala les a récompensés par des clins d’œil internationaux réussis, vu l’intelligence des divers protagonistes, tel Ted Kotcheff dans son élégant hommage à Micheline Lanctôt.

Les Manèges humains, Diego Starr, Catimini, la légende de Sarila et Rouge Sang ont fait des apparitions correspondant à la durée du Météore sur nos écrans, m’empêchant de les voir.

Ces quelques réflexions montrent que 2013 ne fut pas seulement l’année de deux bons films, mais d’au moins seize autres à voir et à aimer. 2014 démarre bien avec le regard halluciné de Marilyn Castonguay dans Miraculum et l’Ange gardien où Guy Nadon transcende l’écran, mais surtout Arward. Sans parcourir les pistes brûlantes d’Inch’Allah et d’Incendie dont le formidable scénario par Wajdi Mouawad s’est vu égalé par le Passé, film extraordinaire de l’iranien Asghar Farhadi, Arward n’en demeure pas moins un film humain très réussi avec la tendre Julie McClemens donnant vie au rôle pourtant ingrat de la femme délaissée. Et pourquoi voit-on si tard Tom à la ferme du génial Xavier Dolan?

Pierre Jasmin, cinéphile amateur