À la raison du plus fort, opposons la force de la raison.

Les printemps québécois sont parfois interrompus par des tempêtes de neige aussi tardives qu’en mai. Il n’en demeure pas moins que l’été suit, même pluvieux. Le premier ministre Jean Charest promulgue une loi spéciale répressive au point que les droits de la personne les plus fondamentaux sont bafoués et que le Barreau y voit une grave atteinte aux droits garantis par la constitution. La chef de l’opposition Pauline Marois, atterrée, déclare: « le gouvernement a perdu la raison. »

Est-ce que cette dérive s’explique par le retrait de la vie politique de la vice-première ministre Line Beauchamp qui suit d’à peine huit mois celui d’une autre vice-première ministre, l’inénarrable Nathalie Normandeau? Force est de constater que le gouvernement libéral se lézarde sans que l’argent occulte et la propagande complaisante des médias de masse ne puissent le sauver. Il ne tient que par la division de l’opposition, heureusement unie contre la loi spéciale : parti Québécois, Québec Solidaire, Option Nationale, Lisette Lapointe, Pierre Curzi. Ah oui, on oubliait la CAQ de François Legault héritière des créditistes et de l’ADQ (et des cinq conservateurs égarés au Québec) qui s’accroche à cette dérive autoritaire…

Nous avions écrit plus tôt, sans prévoir l’outrance de l’agression libérale, les mots raisonnables suivants qui se concentraient sur le sujet de la hausse des droits de scolarité (désapprouvée par 55% de la population selon un sondage très récent) et qui nous paraissent aujourd’hui presque dérisoires, antérieurs au délire de pouvoir qui s’est emparé des lambeaux du gouvernement Charest.

Cette loi ne prévoit

– aucun mécanisme de consultation démocratique des quatre associations étudiantes officielles en grève

– ni aucune tenue d’états généraux sur les universités, pourtant réclamés par leurs professeurs depuis 2009 pour contrer d’une part la marchandisation et d’autre part les gaspillages du système d’éducation, tant par la compétition interuniversitaire que par les dédoublements des ministères de l’Éducation et de la Culture (qui gère les conservatoires).

Nous craignons le goût amer que toute une jeunesse est en train d’acquérir envers la démocratie, qu’une circonstance historique particulière et tout à fait regrettable voit pervertie actuellement sur au moins deux niveaux (trois à Montréal!) de gouvernements montrant la face dure de la répression et du néolibéralisme corrompu.

Nous craignons donc, particulièrement en la métropole, des réactions violentes de la part de cette jeunesse pourtant si dignement représentée depuis la mi-février par quatre porte-parole articulés et sensibles, dont le niveau de langage politique avait relevé celui de nos élus, éditorialistes et chroniqueurs populistes. Les troupes désorientées des associations étudiantes seront-elles hélas tentées de rejoindre les gestes autodestructeurs des casseurs (vandalisme, violences contre des policiers) ou alors de tomber en dépressions, avec pensées ou actions suicidaires…?

Les Artistes pour la Paix veulent contrer ce défaitisme par trois appels et trois manifestations artistiques :

– ils affirment leur solidarité avec les jeunes qui ont défendu vaillamment leur cause jusqu’à travailler en vue de compromis (par exemple, Léo Bureau-Blouin avec l’aide de Gilles Duceppe portant le carré blanc);

– ils réaffirment leur confiance inébranlable de voir la démocratie renaître et triompher  face à cette loi « indigne » désavouée par les trois grands syndicats CSN, CSQ et FTQ;

– enfin, ils appellent tous leurs membres à manifester avec la jeunesse québécoise le 22 mai, comme nous l’avons fait sous notre bannière les 22 mars et 22 avril. Une mobilisation exemplaire aurait pour effet  de montrer l’illégitimité libérale et d’atténuer la rancœur des étudiantEs en leur prouvant que leurs sacrifices des quatre derniers mois n’auront pas été vains.

Vous êtes invités à participer en grand nombre
à une Manifestation nationale
le mardi 22 mai 2012
Place des Festivals
(Métro Place des Arts)

Rendez-vous sous notre bannière, à côté de celle du Syndicat des Professeurs de l’Université du Québec à Montréal vers 13 h 45
au coin des rues Président-Kennedy et Saint-Urbain (Métro Place-des-Arts).

La thématique : 100 jours de grève. 100 jours de mépris. 100 jours de lutte.

Cette manifestation pacifique doit passer à l’histoire.

Nous concluons par les trois manifestations artistiques promises plus haut:

1- C’est par une « simple » création en vidéo que toute l’essence du pacifisme s’exprime : Pourquoi être de la manif du 22 mai ?

Merci aux artistes pour la paix Christian Bégin et à Dominique Leduc pour leur interprétation du texte de Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’université de Montréal.

2- Chanson spéciale pour une loi spéciale: Ariane Moffat :

http://soundcloud.com/mofmof/jeudi-17-mai-2012

3- Mots du poète Paul Chamberland en début de semaine (merci au SPUQ) :

« Mais peut-être n’est-il pas trop tard.

Désormais d’un peu partout sur Terre, des citoyens de plus en plus nombreux ont commencé à opérer leur jonction en vue d’opposer à l’assaut des destructeurs un front de résistance étonnamment ingénieux et tenace dans son avancée planétaire.

Notre combat est québécois, mais l’enjeu est mondial.

Je rêve, oui. Je rêve à une insurrection de la conscience citoyenne à la grandeur du Québec. Une insurrection qui rallie tous ceux qui veulent pour tous et pour chacun une démocratie où vivre libre et vivre ensemble soient d’un seul tenant l’alpha et l’oméga de tout agir politique.

Je rêve d’une insurrection de la beauté, où l’imagination partagée fait surgir l’invention d’une communauté de citoyens solidaires et adonnés à l’œuvre de justice qui rende à chacun l’initiative de faire don aux autres de son irremplaçable singularité. Comme un diamant multiplie son éclat par toutes ses facettes.

Je rêve, oui, mais je sais que je ne suis pas le seul à rêver.

Nous rêvons, et nous savons qu’en nous c’est le peuple de la Terre qui est en train de naître. »

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Le journal la Presse a publié le 19 mai un sondage tellement biaisé et insultant pour l’intelligence, que Christian Bégin a écrit ceci:

LETTRE DE CHRISTIAN BÉGIN À LA PRESSE :

Lettre à Monsieur Crevier, président et éditeur de La Presse,

Christian Bégin au clavier. Comédien, auteur et citoyen, évidemment.
J’ai eu le plaisir de passer une soirée agréable en votre compagnie il y a deux ans maintenant. Peut-être vous en souvenez-vous. Échanges chaleureux, ludiques, éclairés; je vous trouvais sympathique et inspirant. Il y a de ces gens qu’on rencontre fugitivement et qui vous apparaissent intègres, qui vous inspirent spontanément confiance. Faut dire que je fais facilement confiance aux gens, que je suis souvent enthousiaste à l’idée d’aller à la rencontre, si brève soit-elle, de gens qui font dans la vie autre chose que moi et qui semblent le faire avec passion et sincérité.

En lisant votre journal depuis le début de cette crise étudiante, journal auquel je suis abonné depuis de nombreuses années, je ressens un malaise croissant avec la ligne éditoriale choisie par La Presse. J’y trouve une manipulation pernicieuse de l’information et un travail de propagande inquiétant. Samedi matin, le 19 mai 2012, vous atteignez des sommets de mauvaise foi et de détournement de l’opinion publique en faisant de votre première page un mensonge éhonté. Ce sondage tendancieux, dont la méthodologie est même contestée et expliquée plus précisément dans Le Soleil, laisse entendre que le Québec est massivement en faveur de la loi 78 et de la ligne dure choisie par ce gouvernement indigne et -c’est là que je considère que vous faites preuve d’une odieuse malhonnêteté- ce n’est que beaucoup plus loin dans l’article qu’on mentionne du bout des lèvres que ce sondage ne comporte aucune question relative au droit de manifester et qu’il a été tenu avant même que soit rendu public l’entièreté du contenu de la loi. De plus l’échantillonnage utilisé est fort contestable et ses résultats sont non probabilistes.

Je ne parle pas ici des éditoriaux de monsieur Pratte ou des commentaires de madame Gagnon et consorts qui sont désolants mais qui reflètent leur opinion que, vous aurez compris, je ne partage pas du tout et qui me découragent…et qui souvent me semblent dictées par de plus hautes instances… Mais bon… Ça se peut… C’est souvent dans l’ordre actuel des choses…malheureusement!

Vous comprendrez que je vous parle de manipulation volontaire de l’information. Je vous parle monsieur Crevier de DÉSINFORMATION et de propagande. Je vous parle d’un journal à la solde des puissants et qui outrepasse son droit à une ligne éditoriale en choisissant de trafiquer l’information.

Devant ce qui me semble odieux et malsain et pervers dans cet indicible détournement de l’opinion publique à des fins inqualifiables, je vous annonce monsieur Crevier que je me désabonne de votre journal et que je vais m’employer, de par l’image publique dont je jouis de par le métier que j’exerce et qui m’offre des fenêtres de visibilité une peu plus grandes, que je vais m’employer donc à inviter les gens tout aussi inquiets et en colère que moi devant ce manque de rigueur journalistique et d’honnêteté à en faire autant.

J’appellerai à un désabonnement massif de votre journal. Cela aura l’effet que ça aura et sûrement que ça ne vous inquiète pas beaucoup mais, vous comprendrez que je ne peux me taire devant cet affront fallacieux…

Nous vivons des temps sombres vous ne croyez pas? Pourquoi contribuer si malhonnêtement à l’obscurantisme ambiant?

Christian Bégin