Traduction, intro et conclusion par Pierre Jasmin

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Par son indécision criminelle, notre ministre des Affaires étrangères Marc Garneau scelle le sort de futures victimes, telle cette enfant ci-haut, son inaction étant sans doute nourrie par ses alliés israéliens et américains qui utilisent les bombes à sous-munitions (à notre connaissance, pas dans la guerre actuelle contre Gaza). Pour les pacifistes ayant documenté les trahisons du gouvernement Trudeau face aux engagements de désarmement par l’ONU [1], l’intègre Earl Turcotte [2], s’il pêche un peu par sa conclusion naïve, n’en ajoute pas moins un autre dossier documentant l’hypocrisie libérale. En le publiant, l’Aut’Journal informerait le Bloc québécois qui, selon Earl (ou le Hill Times ?) n’aurait pas joint sa voix aux protestations des Parti Vert, NPD et ONGs. L’article est tel quel avec mes textes et un premier titre ajouté en une licence éditoriale que n’approuve pas l’auteur.

Duplicité libérale

Qu’y a-t-il de pire que la non-adhésion à un important traité de désarmement ? La réponse à cette question lourde est, selon Earl Turcotte, de s’y joindre sans aucune intention de se conformer à ses dispositions fondamentales. En 2015, la Loi canadienne interdisant les armes à sous-munitions est entrée en vigueur, méprisante face aux normes de la Convention historique sur les armes à sous-munitions (Dublin-Oslo 2008).

Plusieurs s’attendaient à ce que les libéraux modifient cette loi imparfaite dès qu’ils reprendraient le pouvoir en 2015. Cela ne s’est pas produit, malgré les supplications répétées du NPD, des Verts et de la société civile. Porte-parole de la Convention interdisant les armes à sous-munitions avant son adoption en tant que loi 2014, se faisant champion de sa modification alors qu’il était dans l’opposition, Marc Garneau, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, reste muet.

Or, les Cluster munitions visent de larges superficies où elles tuent et estropient sans discrimination. Typiquement, plus d’un tiers d’entre elles n’explosent pas au moment de l’impact et restent dans la nature pendant des décennies comme menaces meurtrières envers tout être humain ou animal. Approximativement 98 pour cent des victimes de ces munitions sont civiles, une majorité d’entre elles de petits fermiers de pays en voie de développement, forcés par la pauvreté de cultiver des terres contaminées, ainsi que des enfants souvent attirés par les couleurs vives et les formes de jouets de ces sous-munitions.

Déclarées inacceptables sur le plan humanitaire en 2007-08, ces cluster munitions ont fait l’objet d’un bannissement total par cent-huit nations, incluant le Canada. Le processus et la substance de la convention ont suivi le modèle de la Convention d’Ottawa qui avait banni les mines anti-personnel, un accomplissement majeur de la part du Canada.

La question la plus épineuse concerna l’interopérabilité avec les États non-parties. Le Canada, le Royaume-Uni, la France et d’autres États membres de l’OTAN voulaient demeurer libres d’engager des opérations militaires combinées avec des pays comme les États-Unis, refusant d’interdire les armes à sous-munitions. Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la rédaction de l’article 21 qui établissait des limites claires en ce qui concerne l’interopérabilité.

L’article 21 exigea en premier que les États parties à la convention encouragent tous les États non-parties à y adhérer. Deuxièmement, à faire de leur mieux pour décourager l’utilisation d’armes à sous-munitions par les États non-parties. Troisièmement, les États parties pouvaient (néanmoins) s’engager dans une coopération militaire avec des États non-parties pouvant eux-mêmes se livrer à des actions interdites. Quatrièmement, on interdisait à un État partie de lui-même développer, produire, stocker, acquérir, transférer ou utiliser des armes à sous-munitions, ou d’en demander l’utilisation. Un article ultérieur de la convention stipulait qu’il ne pouvait y avoir de réserves quant aux obligations légales contenues dans la convention : elles devaient être acceptées dans leur intégralité et sans exception. Une fois le texte de la convention endossé à une quasi-unanimité, le Canada fut fièrement au premier rang des nations signataires à Oslo en 2008. Avant la ratification, il ne restait au Canada qu’à élaborer un droit interne codifiant et reflétant ses obligations juridiques, en vertu de la convention.

Et c’est là que les choses ont vraiment mal tourné.

Au cours des trois années suivantes, une bataille interministérielle s’engagea, en grande partie entre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) de l’époque et le ministère de la Défense nationale (MDN), au sujet des mesures précises permises au cours d’opérations militaires combinées avec des États non-parties.

En 2011, une décision prise au niveau politique appuya l’interprétation grossière et erronée du MDN quant aux obligations contenues dans la convention. Contredisant la convention elle-même imposant des interdictions catégoriques sur les armes à sous-munitions en ne souffrant aucune réserve, le gouvernement Harper adopta une loi permettant notamment les éléments suivants :

  • Un commandant canadien d’une force militaire combinée pourra autoriser les forces armées d’un État non-partie au traité à utiliser, acquérir, posséder, importer, exporter ou transférer des armes à sous-munitions;
  • Les Forces canadiennes pourront demander expressément l’utilisation d’armes à sous-munitions par les forces armées d’un État non-partie au traité dans certaines circonstances;
  • Les Forces canadiennes pourront échanger avec les forces d’un État non-partie afin d’acquérir, posséder ou transférer des armes à sous-munitions;
  • Les Forces canadiennes qui aideront, encourageront, conseilleront ou conspireront avec d’autres en vue des actions susmentionnées, ne commettront aucune illégalité ce faisant;
  • Les Forces canadiennes qui recevront, réconforteront ou aideront une autre personne en sachant que cette autre personne a commis, aidé ou encouragé la commission de tels actes, échapperont à toute accusation d’infraction à la loi sur les armes à sous-munitions.

 

Pendant le débat du projet de loi en comité, Libéraux, Néodémocrates et Verts insistèrent pour que ces dispositions offensantes soient supprimées, ou du moins considérablement amendées. Parmi les plus indignés, se trouvaient le regretté Paul Dewar, Marc Garneau, Bob Rae et Elizabeth May. Le fonctionnaire Earl Turcotte, comme plusieurs témoins « experts », a comparu devant le comité et a rédigé plusieurs lettres de protestation contre le gouvernement d’alors. Sans aucun succès [ni de notre part]. La loi infâme a été adoptée et demeure encore en vigueur telle quelle.

Une loi canadienne condamnée par le Comité international de la Croix-Rouge

Comme on l’a écrit en début d’article, les libéraux ont refusé de modifier cette loi boiteuse. On pourrait être tenté de conclure que l’interopérabilité militaire avec les États-Unis et d’autres alliés d’États non-parties exigeait du Canada qu’il inclue cette longue liste d’exceptions dans sa loi; mais pourquoi alors avoir l’hypocrisie d’adhérer à un traité qui interdit de telles actions en premier lieu? Et surtout pourquoi le Royaume-Uni, la France, la Belgique et d’autres États membres de l’OTAN et non membres de l’OTAN, qui valorisent l’interopérabilité dans leurs expéditions militaires, n’ont-ils inclus dans leurs lois respectives aucune des exceptions que le Canada a insisté d’inscrire dans la sienne?

Bafouant la tradition diplomatique, le Comité international de la Croix-Rouge a dénoncé publiquement la législation canadienne sur les armes à sous-munitions. Le Comité international pour l’interdiction des mines terrestres et des armes à sous-munitions l’a qualifiée de pire législation de tous les États parties à la convention. Quant à Earl Turcotte, qui a eu l’honneur de diriger de 2005 à 2011 la délégation canadienne tout au long de la négociation de la Convention sur les armes à sous-munitions, il continue d’appeler cela une parodie à laquelle le Canada doit remédier et il compte encore pour ce faire sur le ministre actuel des Affaires étrangères, « un homme intègre qui a défendu la modification de la loi alors qu’il était dans l’opposition ».

Donnez à Humanité/Inclusion ou à Mines action Canada, un organisme qui fournit des prothèses ET travaille à changer les lois coloniales qui arrogent le droit aux armées nord-américaines de truffer les shit-hole countries (dixit Trump) de ces engins qui peuvent exploser dans la face de leurs enfants pendant que des mines anti-personnel leur arrache les jambes. Aux prochaines élections fédérales, à un représentant libéral ou conservateur (O’Toole ou Bernier) qui viendra sonner souriant à votre porte, montrez cet article en affirmant que jamais vous ne voterez pour des partis capables d’une telle insensibilité 😊.


[1] https://pugwashgroup.ca/nine-canada-breaches-of-un-peace-policies/
pour la version en français http://www.artistespourlapaix.org/?p=19974

[2] Earl Turcotte coordonna et dirigea l’équipe d’Action contre les Mines au Département des Affaires étrangères de 2005 à 2011, l’année où il démissionna du service public fédéral, en protestation courageuse contre la dénaturation de la Convention par le gouvernement Harper. Il a par la suite été conseiller en chef des Nations Unies auprès du gouvernement du Laos dans le cadre de son programme de déminage ordonné de munitions non explosées.