Traduit de l’anglais par Christian Morin, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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Manifestation réclamant les élections en Bolivie.

Si les Libéraux de Trudeau avaient vraiment à coeur les vies des autochtones, le gouvernement du Canada n’aurait pas traité la nation la plus autochtone des Amériques comme il l’a fait.

La politique du Canada envers la Bolivie devient chaque jour un peu plus anti-démocratique. La grève générale déclenchée lundi dans cette nation des Andes pourrait bien révéler encore plus des manœuvres du Canada pour soutenir la coalition de l’élite économique, des extrémistes chrétiens et des forces de sécurité, responsable de la chute du premier président autochtone de Bolivie.

Quelques heures à peine après qu’Evo Morales fut déposé, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland émettait ce communiqué : « Le Canada appuie la Bolivie et la volonté démocratique de sa population. Nous prenons acte de la démission du président Morales et nous continuerons d’apporter notre appui à la Bolivie pendant la transition et les nouvelles élections ». La déclaration de Mme Freeland ne contenait pas la moindre critique du renversement de Morales, alors que les dirigeants d’Argentine, du Mexique, en passant par Cuba et le Venezuela, condamnaient cette démission forcée.

La nature anti-démocratique de la position du Canada s’est aggravée avec le temps. Récemment, le gouvernement putschiste reportait les élections pour une troisième fois. Après s’être trainé les pieds pour organiser des élections prévues pour janvier, le gouvernement « par intérim » s’est servi de la pandémie du Covid-19 comme prétexte pour reporter le scrutin en octobre. La véritable raison de ce report est que l’ex-ministre des Finances de longue date sous Morales, Luis Arce, allait remporter la présidence au premier tour. La Présidente putschiste Jeanine Áñez, qui avait promis de ne pas se présenter, ne récolte que 13% dans les sondages alors que le principal instigateur du coup, Luis Fernando Camacho, jouit d’encore moins d’appui populaire. Pour éviter une raclée électorale, le gouvernement du coup cherchait un moyen d’exclure des élections le parti de Morales, le MAS.

Après la chute de Morales, le gouvernement post-coup s’est immédiatement attaqué aux symboles autochtones et l’armée a perpétré plusieurs massacres de manifestants anti-coup. Ce régime anticonstitutionnel « de salut public » s’empressa de fermer plusieurs médias, de réinviter USAID dans le pays, de redémarrer les relations diplomatiques avec Israël et de se joindre au Groupe de Lima, anti-Vénézuélien. Il expulsa également 700 médecins Cubains, ce qui contribua à une flambée des décès dus au Covid-19. La police bolivienne rapporte avoir récemment ramassé 420 cadavres en 5 jours dans les rues, maisons et véhicules, à La Paz et Santa Cruz.

Le prétexte invoqué pour renverser Morales était que l’élection du 20 0crobre 2019 était flouée. Presque personne ne remit en question la victoire de Morales au premier tour, mais il s’en trouva pour affirmer qu’il n’avait pas atteint les 10% de majorité, marge requise pour éviter un deuxième tour de scrutin. Le résultat officiel était de 47,1% pour Morales, et 36,5% pour le candidat soutenu par les États-Unis, Carlos Mesa.

Affaires mondiales Canada a soutenu les manifestations de la droite anti-Morales en répétant les critiques de l’administration Trump envers la victoire électorale de Morales au premier tour. « Il est impossible d’accepter le résultat dans les circonstances actuelles » dit Affaires mondiales dans son communiqué du 29 octobre. « Nous nous joignons à nos partenaires internationaux pour réclamer un deuxième tour de scrutin pour restaurer la crédibilité du processus électoral ».

Du même souffle, Trudeau soulevait la question des élections boliviennes avec d’autres dirigeants. Au téléphone avec le président chilien Sebastián Piñera, le Premier ministre critiqua les « irrégularités électorales en Bolivie ». Ottawa promut et finança aussi la campagne de l’OAS pour discréditer les élections présidentielles en Bolivie.

Aussitôt après le scrutin présidentiel du 20 octobre, l’OAS protesta. Le lendemain, l’organisation émit un communiqué exprimant « ses profondes préoccupations et sa surprise quant au brusque changement dans la tendance du vote préliminaire, difficile à expliquer [selon le décompte rapide], révélé à la fermeture des bureaux de scrutin ». Deux jours plus tard, elle publia un rapport réitérant que « les changements dans la tendance du TREP [décompte rapide] sont inexplicables et contredisent les autres outils de mesure disponibles ».

En fait, les changements « inexplicables » cités par l’OAS étaient entièrement prévisibles, tel qu’expliqué dans le rapport du Centre for Economic Policy Research de Washington, What Happened in Bolivia’s 2019 Vote Count? The Role of the OAS Electoral Observation Mission. Cette analyse démontre que l’avance de Morales sur le candidat en deuxième place Carlos Mesa augmentait continuellement à mesure qu’étaient compilés les votes des régions rurales, majoritairement autochtones. Se plus, les 47,1% du vote récoltés par Morales correspondaient aux sondages pré-électoraux ainsi qu’aux résultats du vote pour son parti, le MAS.

Des enquêtes subséquentes ont corroboré l’analyse du CEPR. Une chronique publiée dans le Washington Post par les chercheurs du Election Data and Science Lab du MIT était intitulée « La Bolivie rejette les élections d’octobre comme frauduleuses. Nos recherches ne trouvent aucune raison de suspecter une fraude ». Plus récemment, le New York Times signalait une étude par trois universitaires américains, selon laquelle le décompte de l’OAS était erroné. L’article disait : « en y regardant de près, on se rend compte que l’analyse préliminaire de l’OAS des données du vote en Bolivie, qui soulevait la question de fraude électorale – et contribua à démettre un président – était erronée ».

Mais le communiqué de l’OAS raviva les voix de l’opposition. Leurs critiques infondées des élections furent reprises à l’international, pour justifier le départ de Morales. Le président bolivien accepta de soumettre les résultats du premier tour à une vérification « contraignante » de l’OAS, afin de calmer les protestations en Bolivie, à Washington ainsi qu’Ottawa, qui refusaient de reconnaitre la victoire de Morales. Sans surprise, le rapport préliminaire de vérification de l’OAS fit état d’ « irrégularités et manipulation » et réclama la tenue de nouvelles élections sous l’égide d’une nouvelle commission électorale. Tout de suite après la publication de ce rapport préliminaire par l’OAS, le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo renchérit, affirmant que « tous les représentants du gouvernement et de toute organisation politique impliqués dans les élections frauduleuses du 20 octobre devraient se dissocier du processus électoral ». Ce qui débuta par une différence tout-à-fait explicable entre les chiffres du décompte rapide et le résultat final de l’élection dérapa vers la remise en question de l’élection au complet, et la mise au ban de tous ceux y ayant participé.

Lors d’une réunion spéciale du Conseil permanent sur la Bolivie de l’OAS, la représentante d’Antigua et Barbuda critiqua la manière opaque selon laquelle la mission électorale de l’OAS en Bolivie avait diffusé ses communiqués et rapports. Elle mentionna que l’organisation avait passé une série d’accords avec le gouvernement bolivien, lesquels avaient été en réalité abandonnés. Plusieurs pays d’Amérique latine furent du même avis. Pour sa part, Morales déclara que « l’OAS est au service de l’Empire Nord-américain ».

Par ailleurs, les représentants des États-Unis et du Canada louèrent le travail de l’OAS en Bolivie. Le représentant canadien pérorait que deux conseillers techniques canadiens faisaient partie de la mission de vérification en Bolivie et que le Canada finançait la démarche de l’OAS visant à discréditer l’élection présidentielle bolivienne. Le Canada était le deuxième plus gros bailleur de fonds de l’OAS, la moitié de son budget venant de Washington. Dans une déclaration intitulée « Le Canada accueille favorablement les résultats de la mission électorale de l’OAS en Bolivie », Mme Freeland mentionne que « le Canada félicite la mission de vérification de l’OAS pour son travail inestimable visant à assurer un processus juste et transparent, que nous appuyons financièrement et par notre expertise ».

La grève générale cette semaine en Bolivie réclame la tenue d’élections telle que prévue le 6 septembre, et constitue un test pour la politique canadienne.