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Jeanne Moreau entre Depardieu et Dewaere dans « Les Valseuses » photo © REPORTERS

Par Pierre Jasmin, musicien artiste pour la paix (en clin d’œil à Robert Duchesne)

Libre de chanter, de danser ou de jouer, sans jamais forcer la note, à l’instar des Barbara, Reggiani, Brassens, Raymond Lévesque et Gainsbourg, trop elle-même pour déclamer, elle vit sur les écrans de cinéma, rebelle aux amours multiples jamais cantonnée dans un seul personnage. Bertrand Blier dans les valseuses avec la musique de Stéphane Grappelli grand improvisateur au violon, lui fait même dire, face au trop tôt disparu Patrick Dewaere et au grand Gérard Depardieu : “Ça vous dirait de coucher avec une vieille ?”

« En fait, écrit La Libre Belgique (Fernand Denis et AFP lundi 31 juillet 2017), le cinéma ne sait pas comment la regarder, la photographier. D’ailleurs, Julien Duvivier n’entrevoyait pour elle aucun avenir sur grand écran à cause de son visage “asymétrique”. Les maquilleurs s’acharnent avec une truelle pour le remodeler avec du fard, du rouge. “Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination”, disait Proust. C’est aussi l’avis de Louis Malle. Ce jeune metteur en scène qui vient d’aider le Commandant Cousteau à tourner Le monde du silence et à remporter une palme d’or à Cannes est enflammé par l’air que dégage Jeanne Moreau au théâtre. “Louis Malle m’a débarbouillée”, dira la comédienne. C’est le coup de foudre. Au figuré, mais aussi au propre. En chemin vers leur première entrevue, Jeanne Moreau est surprise par un orage. Quand elle pousse la porte de la brasserie, ses cheveux sont trempés, le Rimmel dégouline. Louis Malle va la filmer comme cela, au naturel, dans Ascenseur pour l’échafaud, avec les yeux cernés, sa bouche dessinée à l’envers comme elle dit, cherchant son amant, lumineuse dans la nuit sur cette pellicule granuleuse, noir et blanc. Producteurs, directeurs photo, maquilleurs et agents sont choqués, scandalisés : on ne filme pas une vedette comme cela ! Ils ne savent pas encore, qu’en cette fin des années 50, le 7e Art se réinvente, que la Nouvelle Vague va bientôt emporter le cinéma de papa. »

La musique du film fut enregistrée en quelques heures par Miles Davis, qui improvise librement en visionnant des extraits du film. Mariage de deux destinées sœurs dans leurs recherches sans entraves de liberté, faisant éclater un monde jusque-là macho et raciste dans un cinéma nouveau.

Puis c’est Jules et Jim, chef-d’œuvre de François Truffaut en 1962. On est à peine 17 ans après la Deuxième guerre mondiale, et l’un de ses amants est le sensible Oskar Werner, en prélude aux amours de Jeanne avec les autres germanophones Peter Handke et Wim Wenders ( ?), et on ne sait ce qui a déclenché l’hystérie de la droite morale face à Jules et Jim, le triangle amoureux scandaleux quoique très pudique ou les tendres amitiés avec « l’ennemi d’hier ». D’autant plus qu’on retrouvera Werner dans Fahrenheit 451 et dans l’Espion qui venait du froid, d’après John le Carré (dont je suis en train de lire tous les livres!).

On s’est connu, on s’est reconnu,
On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue
On s’est retrouvé, on s’est réchauffé,
Puis on s’est séparé.…
Chacun pour soi est reparti dans l’tourbillon d’la vie…

L’Agence France-Presse écrit que Jeanne Moreau se disait « mystique et frivole », capable de s’angoisser pour le drame du Darfour mais aussi d’aimer l’élégance et les belles choses. Elle aimait comparer la vie à un jardin, « un jardin en friche qu’on nous donne à la naissance » et qu’il faut « laisser beau au moment de quitter la terre ».

Une vie pleinement vécue avec tourbillons amoureux et/ou tournages avec Antonioni, Truffault, Malle, Peter Brook, Roger Vadim, Orson Welles, Carlos Diegues, Jacques Demy, Joseph Losey, Luis Buñuel, Elia Kazan, André Techiné, Laurent Heynemann, John Frankenheimer, Rainer Werner Fassbinder, Theo Angelopoulos, Tony Richardson, les Québécois Yves Desgagnés et Pierre Duceppe, Marguerite Duras avec Moderato Cantabile (1960) qui lui vaudra le prix d’interprétation à Cannes, Josée Dayan et Jean-Jacques Annaud (l’amant, elle y chante India Song). Tous auront eu devant leur caméra cet esprit rebelle du cinéma français.

Elle dira qu’elle ne trouvera jamais de maison assez grande pour installer tous ses ex. Elle peut bien chanter de Cyrus Bassiak (né Boris Serge Rezvani le 23 mars 1928 à Téhéran) J’ai la mémoire qui flanche. La nôtre ne l’oubliera jamais.