kuessipan

Un film qui bâtit des ponts

Quelques artistes et artisans du film Kuessipan de Myriam Verreault sourient avec une fierté palpable à la projection du long métrage le 2 octobre au cinéma du Musée à Montréal. Quelle joie de voir Kuessipan remporter le Grand Prix de la compétition du Festival de cinéma de la Ville de Québec et une Mention spéciale du jury au Festival international du film francophone de Namur en Belgique. Le Festival de Vancouver l’attend.

Véritable phénomène interculturel, le film avait aussi triomphé à Sept-Îles, où selon la réalisatrice reçue à l’émission de Pénélope McQuade le 3 octobre, environ 400 Innus et 400 Blancs se partageaient fraternellement non seulement les bancs de la Salle Jean-Marc-Dion (dont notre président André Michel avait été co-fondateur), mais aussi l’ovation debout qui suivit. Ce long métrage, entièrement tourné à Sept-Îles et à Uashat Mani-utenam à l’automne 2017 et au printemps 2018, procède de la magie de l’art, amplifiée par la musique de Jean-Louis Cormier. Quel chemin parcouru, grâce aussi à André Michel, depuis les œuvres ardues du premier défricheur, feu Arthur Lamothe, qui siégea de longues années sur le conseil d’administration des Artistes pour la Paix. Défenseur des Innus à qui il consacra de nombreux documentaires et même un film de semi-fiction, c’était l’époque des blessures à montrer. Le titre le plus célèbre d’Arthur le mépris n’aura qu’un temps s’appliquait à la lutte des Québécois. Aujourd’hui, le triomphe de la poésie innue, celles de Naomi Fontaine (scénariste du film), Natasha Kanopé Fontaine, Bibitte Bacon chantée par Chloé Ste-Marie, Florent Vollant, Samian (Anishnabé), tous trois nommés APLP de l’année, lui donnent une nouvelle signification, celle que le mépris de la Première Nation innue fait désormais place à une reconnaissance flamboyante. N’oublions pas les efforts remarquables de l’ONF, de Présence autochtone (André Dudemaine) et de Wapikoni Mobile de Manon Barbeau, mère de notre APLP 2013 Anaïs Barbeau-Lavalette.

Le courageux mais incomplet rapport Viens

Le lendemain de ce succès cinématographique, un article par Mylène Crête [1] salue le succès mitigé du Rapport Viens et décrit sa réception à l’Assemblée Nationale du Québec. La journaliste relate que « les excuses du premier ministre François Legault ont été accueillies avec circonspection mercredi par les représentants autochtones venus entendre sa déclaration à l’Assemblée nationale, car la conclusion du rapport Viens est brutale : les Premières Nations et les Inuits sont victimes de discrimination systémique dans leurs relations avec les cinq services publics analysés par les commissaires, soit les services policiers, judiciaires, correctionnels, les soins de santé et services sociaux et la protection de la jeunesse ».

Reconnaissons au premier ministre québécois le courage d’avoir affirmé que « les femmes autochtones sont celles qui ont subi une large part des préjudices décrits dans le rapport de la Commission. L’État québécois n’en a pas fait assez et cette situation est indigne de la société québécoise. En conséquence, j’offre aux membres des Premières Nations et aux Inuits du Québec les excuses les plus sincères de l’ensemble de l’État québécois. L’État québécois a manqué à son devoir envers vous. Il vous demande aujourd’hui pardon. » Discours reflété par celui de Pascal Bérubé, le leader péquiste : « L’État n’a pas suffisamment cherché à comprendre, l’État n’a pas montré assez d’ouverture, l’État est trop souvent demeuré inflexible, l’État a failli, nous avons failli. »

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (AQPNL), Ghislain Picard, a noté que des avocats du gouvernement du Québec contestaient le jour même devant un juge le droit à l’autodétermination des Premières Nations dans une cause concernant le régime de retraite des Autochtones. « Appelons ça un malheureux hasard, que ça se fasse en même temps que le discours du premier ministre », a-t-il ironisé. « Les excuses, c’est une chose. C’est quoi, les actions qui les suivent ? »

Les femmes autochtones en première ligne

« On ne veut pas juste être consultées, on veut être parties prenantes », a affirmé pour sa part la cheffe du Conseil de la nation anishnabe du Lac-Simon, Adrienne Jérôme. Manon Massé de Québec solidaire a déploré que « le courage des femmes autochtones de Val-d’Or qui ont affirmé avoir subi des sévices de la part de policiers et dont le témoignage dans un reportage de l’émission Enquête de Radio-Canada avait été l’élément déclencheur de la commission soient les grandes oubliées du rapport Viens. » Contrairement à la commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues Michèle Audette, la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, ne s’est pas levée pour accepter les excuses de M. Legault, même s’il a avec raison souligné « la responsabilité du gouvernement canadien ; pas pour nous décharger de la nôtre, mais pour en appeler à une collaboration de tous les instants ».

La langue fourchue des blancs

Martin Lukacs dans son ouvrage publié par Black Rose Books en août dernier [2] donne hélas de nombreux exemples de trahisons de la part des Blancs, même ceux qui se sont répandus en excuses larmoyantes. L’une des plus spectaculaires trahisons concerne l’autochtone Jody Wilson-Raybould qui quelques mois avant son expulsion du Parti Libéral faisait le discours suivant [3] (ma traduction). Il me semble expliquer, davantage que son opposition à SNC-Lavalin, sa défaveur et celle de Jane Philpott : les deux, incidemment, font de solides campagnes électorales à titres d’indépendantes :

Trop souvent on voit la tendance – spécialement en politique – d’utiliser des mots   importants qui ont une grande signification, avec insouciance. Nous les voyons        s’appliquer à des idées et agissements qui non seulement ne reflètent pas réellement   leur vraie signification – mais parfois même leur opposé. On voit « reconnaissance » s’appliquer à des idées qui maintiennent le « déni ». On voit « l’autogouvernance » signifier le maintien du contrôle des autres. On voit « l’autodétermination » s’appliquer à des idées ou processus qui bloquent la reconstruction par les Nations de leurs gouvernements et communautés…

Les mots, pour ce qui est de la réconciliation, sont sans valeur s’ils ne sont pas suivis de vraies actions qui vont au cœur de la dissolution des lois, des politiques et des pratiques coloniales, bref à la base de la vraie signification de la réconciliation. Le chemin de la justice et de l’égalité, poursuivait celle qui était alors la ministre fédérale de la justice, n’est ni avancé ni complété par des demi-mesures, de bonnes intentions ou par une rhétorique hautaine.

Lukacs concluait ainsi sa citation: « ce furent là l’accusation et la condamnation les plus impitoyables jamais adressées à l’égard du gouvernement libéral de Trudeau » qui vient de s’opposer au jugement de versement de 40 000$ aux victimes survivantes des pensionnats.


[1] Le Devoir, jeudi 3 octobre ; Mylène fut assistée par Marco Bélair-Cirino.

[2] La formule Trudeau, séduction et trahison dans un âge de mécontentement, page 170; voir ma critique dans http://lautjournal.info/20190909/martin-lukacs-lecture-incontournable

[3] Recognition, Reconciliation and Indigenous People’s Disproportionate Interactions with the Criminal Justice System, Department of Justice Canada, September 13th 2018, Saskatoon.