Quatre raisons condamnant l’achat de Kinder Morgan par le gouvernement canadien

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Une raison de vies et de morts

La saison 2017 a établi un record pour le nombre et l’intensité des ouragans mondiaux ; or, leur virulence aggravée par le réchauffement climatique est attribuée par les scientifiques en une part importante par l’exploitation effrénée des sables bitumineux canadiens. Une équipe de l’université Harvard vient de calculer les victimes de l’ouragan Maria à 4600 morts, contre les 60 que le gouvernement américain avait comptabilisés l’automne dernier. L’ouragan Maria avait provoqué un chaos indescriptible (voir photo) à Porto Rico le 20 septembre dernier, tandis que le président Trump sympathisait en priorité avec les victimes de l’ouragan Harvey au Texas et en Louisiane, vu que les trois millions d’habitants à Porto Rico, s’ils ont la citoyenneté américaine, ne sont représentés par aucun élu au Congrès.

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Photo du journal Libération au lendemain du passage de l’ouragan Maria à Porto Rico.

Réduire ce genre de décomptes macabres constitue le passe-temps favori des climato-sceptiques, dont la priorité est d’utiliser des tactiques de désinformation médiatique pour que magazines et quotidiens ignorent les centaines de milliers de victimes annuelles dues à la fonte des glaciers, à la montée des eaux et aux inondations subséquentes dans des pays tels le Bangladesh, les micro-états dans les îles du Pacifique, les Philippines… Ces pays ne sont évidemment pas membres du G7. L’égoïsme monstrueux du G7 face aux 66 millions (chiffre de l’UNHCR) de réfugiés des climats dérangés et des guerres américaines en vue de s’accaparer le pétrole du Moyen-Orient est une raison pour laquelle on devrait manifester avec les syndicats à Québec le 1er juin prochain.

Désillusion ou nouvelle mobilisation en vue ?

Face à cette HAUTE TRAHISON de Justin Trudeau, comment réagiront tous les jeunes Québécois qui ont grandi dans des écoles vertes Brundtland endossant les objectifs écologistes avec un immense optimisme, les adeptes de Boucar Diouf et de la biodiversité qui ont aimé La terre vue du cœur, film mettant en vedette Hubert Reeves, les universitaires qui ont étudié à l’Institut des sciences de l’environnement à l’UQAM avec Pierre Dansereau, Louise Vandelac et Lucie Sauvé, les catholiques qui ont endossé avec ferveur l’encyclique Laudate si du pape François, les écologistes qui ont travaillé avec les Ami-es de la Terre, l’AQLPA d’André Bélisle, le Projet Écosphère, avec EAU-SECOURS, Attaq-Québec, Greenpeace, Nature Québec, OXFAM, la Communauté Milton Parc, la Coalition Climet Montréal, le Regroupement vigilance hydrocarbures du Québec, Coule pas chez nous, la Fondation Suzuki et Karel Mayrand, Équiterre et Laure Waridel, McKibben et le mouvement 350.org, Maude Barlow et le Conseil des canadiens et tous ceux et celles qui ont travaillé politiquement au sein de divers partis ou pour des collectifs tels le Forum Social Mondial en vue d’assurer à notre planète un futur viable ?

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Manifestation québécoise en 2015 devant le parlement de Québec contre Énergie-Est et autres pipelines.

Si plusieurs risquent de ressentir une vive désillusion (allez voir la vidéo sarcastique de la Chorale du peuple chantant Paroles, paroles) face à des années d’engagement mises à mal par une poignée de véreux hommes d’affaires ayant un accès privilégié aux officines du pouvoir, d’autres se retrousseront les manches afin de défaire les Libéraux coupables d’une telle trahison. Révélateur que leur décision n’ait provoqué chez leurs ministres aucune démission : quand Jean Charest avait trahi les idéaux étatiques libéraux (on pense au parc Orford dont il voulait privatiser une partie), il avait trouvé sur son chemin des hommes politiques libéraux tels Thomas Mulcair ou Robert Benoît pour démissionner dans l’honneur ! Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Les journaux et les émissions d’informations à la radio et à la télévision abordent immédiatement d’autres sujets de distractions.

Désaffection de la politique à craindre ?

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En 2014, le 21 septembre, les APLP manifestaient contre la politique anti-environnementale de Harper avec leur présidente Guylaine Maroist au centre, Judi Richards, Yvon Deschamps, Margie Gillis et Pierre Jasmin, rejoints par Stéphane Dion avec son chien Kyoto (pas sur la photo, car les jeunes organisateurs de la manif l’avaient empêché de parler, se méfiant déjà des doubles discours libéraux : l’éviction de Dion du gouvernement libéral au profit de Chrystia Freeland leur a donné raison).

Il y a deux mois, les APLP écrivaient directement à Trudeau qui ne nous a évidemment pas répondu :

« Que vous coûterait, M. Trudeau, de respecter la demande très raisonnable du gouvernement de Colombie-Britannique qui n’exige même pas l’arrêt de l’acheminement des 300 000 barils par jour que Kinder Morgan continuera à acheminer, même si la réponse à son ultimatum du 31 mai était :

« Non merci, ne faites pas de dépense supplémentaire pour accroître le débit de votre pipeline, car cela viendrait en contravention

  • avec l’intérêt local de toutes les terres traversées par votre pipeline et des 16 000 hectares  (sic) d’eau, gérées (re-sic!) par le port de Vancouver
  • avec l’intérêt des plus jeunes générations. Laissez-les profiter plutôt de la production de pétrole étalée sur davantage d’années, à moins, bien entendu, qu’elles soient amenées à réclamer son arrêt par considération
  • pour l’intérêt planétaire, l’exploitation des sables bitumineux étant le plus grand facteur localisé d’accroissement de la pollution extrême et du réchauffement climatique mondiaux.

 

Trudeau vient de renier à 180 degrés ses promesses électorales et celles qu’il avait vigoureusement affirmées à la face même de l’univers à Paris en décembre 2015 (COP21) : le résultat en cynisme accru de la population envers la politique et son processus électoral démocratique peut être terrible.

Déjà, la montée du radicalisme destructeur de groupes où l’extrême-gauche (Black Bloc) rejoint l’extrême-droite (Atalante, la Meute, les Soldats d’Odin, la Fédération des Québécois de souche, Horizon Québec Actuel, etc.) est difficile à contrer efficacement, alors qu’en sera-t-il maintenant, alors que notre démocratie vient d’assister à la capitulation de Trudeau, complice de l’OTAN et du NORAD, devant la puissance d’argent des pétrolières associées au militarisme des États-Unis?

Rappelons les milliards de US$ annuels en carburant d’avions militaires que coûte l’opération Noble Eagle qui consiste à assurer un survol constant de l’espace aérien états-unien et d’une partie de l’espace aérien canadien jour et nuit : j’habite près de Georgeville non loin des frontières américaines et je vois le ciel sillonné des traces blanches de ces manœuvres inutiles à toute heure du jour. Que dire des coûts environnementaux de l’acheminement de soldats américains par avions militaires vers l’Afghanistan pour une seule année qui seraient selon Mother Jones l’équivalent de la pollution normale d’un million et quart d’automobiles ? Malgré ces chiffres, pacifistes et écologistes ont de la difficulté à unir leurs forces : Greenpeace a mis toutes ses billes dans la première partie de son nom, alors qu’Élizabeth May, emprisonnée il y a deux mois par Trudeau, avait refusé il y a dix ans de joindre les efforts de son parti Vert à ceux du NPD.

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Arrestation d’Élizabeth May le 6 avril en face d’installations de Kinder Morgan.

Raisons scientifiques et poétiques

À la base, le pétrole de bitume (ou dilbit) contient plus de carbone que d’hydrogène et beaucoup plus d’impuretés (azote, soufre et métaux lourds) que le pétrole brut classique. Non seulement les sables bitumineux libèrent d’énormes quantités de gaz à effet de serre pendant l’extraction, mais le produit final – lorsqu’il est brûlé – produit plus de dioxyde de carbone que les autres combustibles fossiles conventionnels. Ainsi en 2020, l’industrie des sables bitumineux émettra plus de gaz à effet de serre que des pays tels l’Autriche, le Portugal ou peut-être même la Belgique!

Le gouvernement de la Colombie-Britannique s’oppose à l’extension du pipeline qui transporte le pétrole albertain, notamment parce qu’il n’existe aucune méthode efficace éprouvée pour nettoyer après un déversement accidentel de bitume dilué dans l’environnement de la Colombie-Britannique ou dans ses eaux côtières. Louise Vandelac écrit : « Doit-on s’étonner de l’opposition manifeste d’une large partie de la population canadienne qui refuse ce cadeau empoisonné dont on l’oblige à assumer tous les coûts et tous les risques ? À la facture de 4.5 milliards pour l’achat de ce pipeline, s’ajouterait une facture de 3 à 5 milliards pour compléter la construction et une facture potentielle de plusieurs milliards pour éponger les déversements toxiques »…

Tant d’articles écrits par le militant montréalais Gordon Edwards, par Science for Peace et par les conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales, tant de thèses par des milliers de savants dont plusieurs récompensées par des prix Nobel, doivent-ils s’effacer devant les dollars de l’industrie pétrolière? À ce monde vénal, résisteront toujours les poètes du Manifeste de l’Élan global, dont une cinquantaine d’Artistes pour la Paix (http://artistespourlapaix.org/?p=7056).

En conclusion, l’espoir semble porté par les Premières Nations

Le metteur en scène et militant environnementaliste Dominic Champagne (APLP de l’année 2012) a inscrit sa nouvelle lutte contre le projet de Kinder Morgan/Trudeau dans la suite logique d’autres batailles menées ces dernières années au Québec notamment contre les projets de terminal pétrolier à Cacouna, d’exploration pétrolière à l’île d’Anticosti, d’exploitation du gaz de schiste et de l’oléoduc Énergie Est. « Nous gagnerons aussi cette bataille », a-t-il promis.

Le gouvernement Trudeau parle beaucoup de réconciliation lorsqu’il est question des peuples autochtones, a observé Melissa Mollen-Dupuis, Innue et représentante  du mouvement Idle No More. « Il doit entendre le “non” des membres des Premières Nations directement touchés par le projet », a-t-elle déclaré (source Le Devoir).

Si Trudeau a pu acheter la complicité de certains chefs albertains des Premières Nations, une grande majorité, dont l’ami des APLP Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, reste vivement opposée à l’extension insensée de Kinder Morgan contre laquelle elle se mobilise avec éclat, surtout en Colombie-Britannique déjà affectée par des écoulements de pétrole dilué.

Et les chefs autochtones viennent hier d’obtenir du renfort avec le projet de loi C-262 ratifié par la Chambre des Communes (79 voix contre, de la part de Conservateurs qui  mobiliseront peut-être le Sénat). Chère au député NPD Roméo Saganash, la loi endosse la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) !

Raison d’espérer ? Peut-être que le gouvernement, une fois propriétaire de K.M., trouvera un prétexte économique, démocratique ou écologique (!) pour refuser de tripler le volume de son pipeline !