Encore indigné des articles qui reviennent régulièrement chaque année dans La Presse ou des reportages à Radio-Can prétendant l’art engagé disparu (encore le mois dernier !), Pierre Jasmin présente deux musées qui, tout comme le Musée des Beaux-Arts de Montréal, expriment un message tout autre de leurs forces vives.

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Voici une œuvre-mystère exposée au Musée des Beaux-Arts (Québec) qu’André Cloutier demande à nos lecteurs d’identifier ! Les bouquins en danger sont des tomes du dictionnaire Littré.

À Sherbrooke, deux expositions

Les derniers territoires de René Derouin
11 juin au 25 septembre 2016

LES DERNIERS TERRITOIRES représentent une exposition majeure dans le cheminement de René Derouin, confirmant son statut d’artiste pour la paix universel. Contrairement à 95% de ses compagnons sculpteurs et peintres québécois, ce n’est pas dans la tradition immense européenne que René Derouin est allé puiser son inspiration principale, mais plutôt dans le Grand Nord et au Mexique où il s’est penché, dès 1955, sur les cultures précolombiennes et l’art mural. Il est donc notre sculpteur le plus empreint d’américanité et de métissage, hormis les grandes œuvres marquées du patrimoine amérindien et d’oies sauvages de Riopelle (voir musée André Michel à Saint-Hilaire, tout imprégné non seulement de Riopelle, mais aussi de ceux qui ont habité tout près : Jordi Bonet, Paul-Émile Borduas et Ozias Leduc).

Il faut voir la grande exposition du Musée de Sherbrooke qui a consacré un espace impressionnant aux œuvres de papiers découpés et de bois reliefs le plus souvent contrastées de blanc et noir créées entre 2000 et 2013 dans des ateliers à Percé (ce dont témoignent des photos d’automne saisissantes qui illustrent les journées de travail de Derouin), Mexico, Barcelone, Puebla et à la Baie-Johan-Beetz, sur la Côte Nord.

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Né à Montréal en 1936 (il vient d’avoir 80 ans), René Derouin habite Val-David, dans les Laurentides. Il fonde divers Symposiums internationaux d’art in situ et avec Jeanne Molleur, son épouse, les Jardins du précambrien, actuellement en relâche faute de soutien des gouvernements.

Ses œuvres font pourtant partie de plusieurs collections nationales et internationales : Musée national des beaux-arts du Québec, Musée des beaux-arts de Montréal, Musée de la civilisation du Québec, Bibliothèque et Archive National du Québec, Bibliothèque nationale de France, Musée des beaux-arts du Canada, The Glenbow Museum of Calgary, Museo de arte Contemporaneo internacional Rufino Tamayo Mexico, Museo Universitario del Chopo Mexico, en plus de nombreuses collections privées.

On se souvient de la remarquable exposition que la Bibliothèque Nationale du Québec lui a consacrée en 2013, où l’auteur de cet article a eu droit à une visite commentée par celui qui possède, en plus de son génie créateur, une culture générale qui lui permet de faire des liens multiples et de dénoncer ce qui garde souvent l’art prisonnier (mais pas le sien!) de l’évolution mercantile de notre société.

Pour ceux et celles qui n’auraient pas les moyens de voyager à Sherbrooke, Valérie Maynard signale enfin, « présentée à Québec au printemps dernier, l’exposition Rapaces qui rassemble les œuvres récentes de René Derouin, fruit de son observation de la nature et de la société actuelle. De la rapacité de la société actuelle : « Depuis des années, je vais souvent au Mexique. Le matin, très tôt, je vais à la plage, observer les pêcheurs qui lancent des petits poissons aux oiseaux », raconte-t-il. À force de les regarder, l’homme a compris l’interdépendance des oiseaux entre eux, et maintenant avec les pêcheurs. Il compare leur comportement à celui de la société actuelle. « Nous sommes devenus une société rapace, avec une fraction de gens qui exploitent l’autre comme au Moyen-Âge. On vole les citoyens, on vole l’État et on crée des politiques d’austérité. C’est inacceptable. » Fragmentations, rapacité dans un monde en mouvement… telle est la réflexion de Derouin sur la société actuelle. » L’exposition Rapaces sera présentée à Montréal, à la Galerie Éric Devlin, du 8 septembre au 2 octobre.

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David Spriggs – PRISM
18 juin au 2 octobre 2016

Une autre raison de se déplacer à Sherbrooke est l’étonnante exposition PRISM de David Spriggs, né à Manchester au Royaume-Uni en 1978, immigré au Canada en 1992, travaillant maintenant à Vancouver. Diplômé du Emily Carr Institute of Art and Design de Vancouver, il fréquente le Central St. Martins College de Londres et l’Université Bauhaus à Weimar, Allemagne, avant de compléter sa maîtrise en beaux-arts à l’Université Concordia.

spriggs_oeuvreLe visiteur du Musée des Beaux-Arts de Sherbrooke est vite interpelé et même fasciné par des œuvres dont la technique de superposition de dessins sur acétate ou verre, technique que Spriggs a lui-même développée, forme des sculptures tridimensionnelles. Pourquoi fasciné ? C’est que comme l’a dit lui-même René Derouin, dans un généreux discours au vernissage où il saluait avec enthousiasme un langage pictural pourtant fort éloigné du sien, l’œuvre explore avec maîtrise l’ambiguïté de notre vision de l’art en ces temps troublés par une surveillance omniprésente (thématique que plusieurs films, dont Jason Bourne et Edward Snowden abordent). Tout artiste pour la paix saisira très vite ce lien dans des œuvres qui révèlent à la fois la transparence fluide et la densité saisissante.

L’exposition PRISM a été commissariée pour sa présentation à Arsenal art contemporain en 2015 par Jean-François Bélisle.

 

La nouvelle aile du Musée de Québec

Quelle architecture transparente au service de la lumière donc des œuvres, même si la première qu’on remarque semble recroquevillée dans le couloir sans fenêtres qui nous mène du vieux musée à l’aile Pierre-Lassonde : l’audacieuse fresque à Rosa Luxembourg de Jean-Paul Riopelle, une œuvre qu’on peut imaginer comme l’équivalent en art à l’homme rapaillé de Gaston Miron. Même sectionnée dans l’ancien musée, elle nous interpelait de sa vigueur, tout comme l’arbre de la rue Durocher d’Armand Vaillancourt (APLP1996), encore présent.

blain_MBQD’ailleurs on peut y découvrir aussi des œuvres anti-militaristes de notre artiste hommage 2013, Dominique Blain, que nous avions présentées à la Chapelle Historique du Bon-Pasteur.

michel_gouletOn y trouvera aussi des sculptures de celui qui avait tant donné généreusement à la Fondation le silence des armes, ce projet immense créé par les Artistes pour la Paix pour faire échec aux armes à feu omniprésentes par Alex Magrini et Marie-Claire Séguin (nos APLP des années 1994 et 1995) : j’ai nommé Michel Goulet qui expose aussi ses chaises causeuses cette année à Paris au Palais-Royal.

On sera ému devant une toile de notre APLP2000 Marcelle Ferron, avant de revenir à la prison à l’architecture sévère de Charles Baillairgé où on a judicieusement placé de Jean-Paul Lemieux, avant ses grandes œuvres de méditation extraordinaires des dernières années de sagesse, celles naïves dénonçant la société québécoise des années 50 enrégimentée par des cohortes de bonnes sœurs et de processions de prêtres en noir : on ne manquera pas de saluer au passage des toiles de Paul-Émile Borduas, auteur principal du Refus Global.

Quel contraste saisissant avec le pavillon Lassonde baigné de lumière mettant en valeur l’exposition Brousseau d’art Inuit avec laquelle cet article conclut, pour faire la boucle avec notre héros René Derouin qui y a puisé son inspiration.

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Sirène inuit immortelle