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Le violoncelliste sud-africain Abel Selaocoe et la cheffe chinoise Xian Zhang
Merci à Christophe Huss du DEVOIR pour ses compliments, que toute ma famille, aimerait partager car nous étions tous les quatre à la Maison symphonique de Montréal, tout en haut avec des billets à 30$, prix étudiants pour mes deux grands. « Il s’est passé comme un petit miracle avec la venue du violoncelliste et vocaliste sud-africain Abel Selaocoe aux côtés de l’OSM. L’expérience emmène le mélomane hors des sentiers battus pour un moment unique. Selaocoe est une vraie grande apparition d’une individualité artistique dans notre monde musical — la plus noble incarnation et expression de ce que peuvent apporter à l’humanité, à toutes les formes de civilisation et de cultures, certains artistes inattendus qui ont émergé récemment et ouvert nos oreilles à la découverte de répertoires ou de formes d’expressions [uniques]. (…) » Dans son chant incantatoire en langues sotho du sud et en zulu, il entraîne non seulement les musiciens de l’OSM qui l’entonnent avec lui, mais aussi le public qu’il réussit à éduquer jusqu’à des pianissimi seyant aux nombreuses répétitions soupirées de ses motifs. Gagnée par la joie subversive de l’œuvre, la salle entière s’est levée d’un bond unanime pour l’ovationner.
Xian Zhang, cheffe énigmatique chinoise quoique non inconnue du public montréalais, a maîtrisé cette œuvre complexe rythmiquement appelée Quatre Esprits, comme elle avait exploré la subtilité du Ravel de Ma mère l’Oye. Roméo et Juliette de Prokofiev concluait la soirée, la marche des Montague et Capulet, introduite par les dissonances en climax des cuivres, exploitées sans aucune retenue sonore pour bien montrer l’horreur et l’absurdité des guerres, des rivalités. L’émotion de se rappeler la pièce de Shakespeare provoque des larmes, avec sa conclusion pacifiste All are punished, si bien prononcée dans le film de Zeffirelli. Quant au compositeur, il avait a vu sa femme d’origine espagnole trop bavarde expédiée en Sibérie par le même Staline qui lui volera sa mort, puisque tous deux étant décédés à moins d’une heure d’intervalle, le parti communiste obligera la famille de Sergueï à attendre une semaine avant d’annoncer son décès pour ne pas voler le chagrin populaire dû au vainqueur des Nazis. Anecdote personnelle : ayant arrangé le voyage de ma femme chinoise pianiste au début des années 80 à Londres, une richissime Juive rescapée des camps de concentration à qui j’avais donné des leçons de piano à Vienne accepta de lui payer ses leçons auprès d’Alissa Kezeradze-Pogorelich parfois 3 fois par semaine; Kuo-Yuan fit un soir la connaissance de la veuve de Prokofiev, admiratrice des enregistrements du pianiste Ivo de la sixième sonate pour piano de son mari, première des trois sonates de guerre enregistrée sur Deutsche Grammophon, avec mes notes musicologiques, dans leur première édition couplée avec Gaspard de la Nuit de Ravel.
Un immense merci au directeur artistique de l’OSM, le Vénézuélien élevé par el sistema, Rafael Payare, autre magicien de la musique, époux d’une violoncelliste qui l’a probablement influencé dans le recrutement d’Abel Selaocoe. Mais il est inconcevable que son génie ait pu prévoir la synchronicité de la venue de ce dernier sur le continent nord-américain avec celle, la veille, du président sud-africain Cyril Ramaphosa à la Maison Blanche, exposé à la fable raciste de Trump selon laquelle un nombre génocidaire (!!!) de fermiers blancs auraient été assassinés. Heureusement, cette fable fut vertement dénoncée par Radio-Canada grâce au témoignage concordant des journalistes Azeb Wolde-Georghis à Washington et Sophie Langlois de retour d’un voyage en Afrique du Sud, invitées à la même émission.
Ne ratez sous aucun prétexte l’un des trois concerts de mercredi à vendredi soirs, toujours à la Maison symphonique, qui mettra en scène en première partie deux courtes œuvres d’inspiration autochtone (avec entre autres Elizabeth St-Gelais que je vous avais vantée il y a un an) aux titres évocateurs : You can die properly Now d’Ana Sokolovic, dédiée aux enfants jamais revenus des pensionnats autochtones et Un cri s’élève en moi, aux paroles de Natasha Kanapé Fontaine sur une musique d’Ian Cusson. Ces deux œuvres seront suivies du chef d’œuvre absolu de la première moitié du XXième siècle occidental, l’ultime Chant de la terre de Gustav Mahler aux six parties d’autant plus bouleversantes qu’elles prophétisent les traumatismes causés à notre terre. Mais Mahler, hélas, est mort, tel Moïse, sans avoir jamais dirigé son chef d’œuvre basé sur des poèmes de la dynastie Tang pourtant écrits entre 618 et 907 : la fin, Der Abschied, erronément traduite par l’adieu, alors qu’on devrait la qualifier de déchirement ou séparation ultime plus laïcs, laisse résonner la répétition éthérée du mot ewig, éternel, le consolant sans doute de la mort cruelle de leur petite fille, à Alma et à lui. Réalité artistique de la souffrance, qui rapproche ces grands créateurs du commun des mortels en les éloignant des puissants qui se croient immortels dans leurs guerres.
Le 30 mai 2025
Les concerts des 28, 29 et 30 mai de l’OSM étaient précédés par une causerie fort intéressante avec les artistes-créateurs dont les merveilleuses oeuvres furent exécutées à la perfection par l’orchestre, son chef Rafaël Payare et ses solistes, Emma Pennell et Élisabeth St-Gelais. Cette dernière est incidemment la cousine de Natasha Kanapé Fontaine, poète dont l’œuvre datée d’il y a dix ans a servi d’inspiration au compositeur métis Ian Cusson. Or il y a dix ans, nos discours (le sien plus que le mien!) étaient applaudis lors de la grande manifestation à Cacouna pour l’empêcher de devenir un terminal pétrolier au grand dam des bélugas. À travers son poème, elle trouve « la voie de dire « oui » pour forcer les portes du silence, pour redonner vie aux ombres, aux enfants brisés, et proclamer ultimement « Je suis prêtresse cannibale, mangeuse d’horizons. »
J’ai pu féliciter la compositrice Ana Sokolovic qui dosé les éléments dramatiques de colère de l’autrice Mi’kmaq, Michelle Sylliboy, mais aussi les moments d’empathie et d’espoir féministe pour une éventuelle RÉCONCILIATION : nos politiciens sont prompts à s’en attribuer le mérite, sans trop se soucier qu’elle devra faire fi du racisme contre Echaquan et surtout venir de la part des communautés autochtones blessées. Celles-ci devront sans doute attendre que nos politiciens Poilievre et Carney arrêtent d’annoncer de nouveaux pipelines sur leurs territoires présentement dévastés par des feux de forêt dont l’intensité et le nombre, en particulier en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, accusent les changements climatiques dus au pétrole.
Bravo à l’ESG-UQAM « présentateur » de ce concert dont le mérite s’est prolongé en une interprétation mahlérienne avec maîtrises absolues de la flûte de Timothy Hutchins, de la voix de la mezzo-soprano Michelle DeYoung et de l’art consommé de Rafaël Payare, au moins pour la toute dernière partie du Chant de la Terre, Der Abschied.