La réalisatrice Maryse Legagneur a investi douze années de sa vie en recherches ardues à interviewer les Haïtiens de Fort-Dimanche emprisonnés par Jean-Claude Duvalier et ses tontons macoutes, pour avoir travaillé pour l’avancement social de leur pays. En a résulté un film fiction d’une grande poésie malgré la dureté du sujet, Le Dernier Repas.
Dans ce film, le personnage principal nommé Célestin incarne une synthèse des témoignages recueillis, un film soutenu et accessible de 111 minutes qui raconte la fin de vie de Célestin, à la fois victime et bourreau, à travers le dialogue qu’il amorce avec sa fille unique Vanessa (Marie-Évelyne Lessard) qu’il n’a pas vue depuis vingt ans. Leurs échanges seront ponctués par de nombreux flashbacks de sa jeunesse haïtienne et de son désir ultime de revisiter les saveurs du pays.
D’abord craintive, Vava finit par exploiter tout le registre des émotions d’une enfance brisée, revivant une relation marquée par le caractère violent de son père, consécutif à son emprisonnement à Haïti.
Le jeune Célestin est interprété par une nouvelle figure dont c’est le premier rôle, Fabrice Yvanoff Sénat, tandis que le rôle de Célestin en fin de vie a été confié au comédien et metteur en scène guadeloupéen Gilbert Laumord, qui se démarque par son intense présence.
Aussi musicothérapeute, Maryse Legagneur sait utiliser l’imaginative bande sonore de Jenny Salgado, qui amalgame les images fabuleuses de Mathieu Laverdière en un tout remarquablement cohérent, malgré les nombreux allers-retours dans le passé.
Elle sait aussi accompagner le calvaire des prisonniers poétiquement rendu par le Libera du Requiem de Gabriel Fauré dans un arrangement feutré par le pianiste Émile Naumoff.
Tous les visages éprouvés des acteurs, dont certains furent recrutés dans la diaspora haïtienne persécutée en République dominicaine, sont cadrés de très près, nécessitant de leur part une interprétation expressionniste, ce qui plonge le film dans des huis-clos angoissants de chambre d’hôpital ou de geôle surpeuplée au sinistre Fort-Dimanche reconstitué.
La réalisatrice a heureusement intercalé des éléments adoucissants de recettes emblématiques du patrimoine culinaire haïtien qui loin de ralentir le rythme du film, le font respirer par ces scènes de chaleur humaine.
Lorsqu’on demande à ses collaborateurs « C’est comment, travailler avec Maryse Legagneur ? », toute l’équipe du film ne tarit pas d’éloges sur la réalisatrice. Tous sont unanimes sur sa bienveillance, son appui, sa simplicité, son accessibilité. Ils reconnaissent en elle la Dame qui leur a donné une chance, qui les a guidés, entourés, aimés. Maryse Legagneur est une femme profondément humaine, dans toute la noblesse du terme.
Survol de sa feuille de route : Maryse Legagneur attache d’abord son nom dans des projets d’éducation populaire dans le quartier Saint-Michel pour défendre les droits des minorités victimes de discrimination raciale, par l’entremise de projets d’éducation populaire. Fruit de ses observations sur le terrain, en 2005, elle réalise son premier documentaire à l’ONF, Au nom de la mère et du fils, où elle aborde des thèmes qui lui sont chers : la quête de liberté, l’équité sociale, l’identité culturelle et la lutte contre l’exclusion des jeunes hommes noirs.
Après des débuts de réalisatrice en 1999 en devenant lauréate de la série de télévision La Course Destination Monde, elle réalise rapidement ou collabore à des émissions telles que Bande à Part (ARTV), Une Pilule, une petite granule (Télé Québec), Gang de Rue (Télé Québec) et les Voix Humaines (ARTV), pour ne nommer que celles-là. Mais bientôt elle se dédie à la cause des droits civiques et de l’équité des personnes racisées au Québec et dans les Amériques.
En 2019, elle coréalise le documentaire Entends ma voix (Pamplemousse Média Production inc.) qui permet la rencontre entre les artistes de la controversée pièce de théâtre SLAV de Robert Lepage (APLP2019) et Betty Bonifassi avec des spectateurs critiques, avec l’espoir que leurs échanges engendrent des pistes de solutions, pour que la liberté d’expression s’accorde avec une représentativité plus juste des communautés culturelles.
Le Dernier Repas a remporté Le Grand Prix du Jury du Festival montréalais des Films Black et la compétition du Festival de cinéma de la ville de Québec (Quebecor). Avec Là où l’on vient, il était en présentation au festival Rendez-vous Québec cinéma qui se terminait hier. S. M.
https://www.ledevoir.com/culture/cinema/820423/dernier-repas-panser-blessures-intergenerationnelles?
https://www.lautjournal.info/20241004/le-dernier-repas-chef-doeuvre-de-maryse-legagneur
https://www.entreelibre.info/lextraordinaire-richesse-culturelle-haitienne/
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