Le Venezuela répond à Trump et à la Prix Nobel de la Paix 2025

Par Pierre Jasmin Artiste pour la Paix

Depuis quelques jours, sur la foi de rapports de la CIA, le président Donald Trump s’arroge le droit de pulvériser quelques bateaux qu’il accuse sans preuves de transporter du fentanyl dont il fait une obsession (cf ses accusations en début d’année contre le Canada). Le président Maduro du Venezuela d’où proviennent ces bateaux, vient de mettre en état d’alerte son pays, craignant une invasion américaine qu’une étrange entrevue de Trump (ne le sont-elles pas toutes?) laisse prévoir.

Dans cette atmosphère de guerre, le comité norvégien du Prix Nobel de la Paix a envenimé la situation explosive en accordant à la contre-révolutionnaire Maria Corina Machado le Prix Nobel de la Paix, qu’elle a aussitôt transmis symboliquement et non sans opportunisme au président américain.

Voici une lettre ouverte éclairante de Pérez Esquivel (Prix Nobel 1980) à M. C. Machado – Buenos Aires, Argentine –

DE NOBEL À NOBEL, LETTRE OUVERTE À MARIA CORINA MACHADO

Je t’adresse mes vœux de paix et de bien dont l’humanité et les peuples vivant dans la pauvreté, les conflits, la guerre et la faim ont tant besoin. Cette lettre ouverte a pour but de te partager quelques réflexions.

J’ai été surpris par ta nomination au prix Nobel de la paix par le Comité Nobel. Cela m’a rappelé les luttes contre les dictatures sur le continent et dans mon pays, sous les dictatures militaires que nous avons endurées de 1976 à 1983. Nous avons subi l’emprisonnement, la torture et l’exil, avec des milliers de disparitions, d’enlèvements et d’enfants disparus, ainsi que les vols de la mort, dont je suis un survivant.

En 1980, le Comité Nobel m’a décerné le prix Nobel de la paix. Quarante-cinq ans ont passé et nous continuons d’œuvrer au service des plus pauvres et aux côtés des peuples d’Amérique latine. J’ai accepté cette haute distinction au nom de tous, non pas pour le prix lui-même, mais pour mon engagement à soutenir les populations, à partager leurs luttes et leurs espoirs pour construire une nouvelle ère. La paix se construit jour après jour, et nous devons être cohérents entre nos paroles et nos actes.

À 94 ans, je continue d’être un apprenti de la vie. Mais ta posture ainsi que tes décisions sociales et politiques m’inquiètent. C’est pourquoi je t’adresse ces réflexions.

Le gouvernement vénézuélien est une démocratie, avec ses hauts et ses bas. Hugo Chávez a ouvert la voie à la liberté et à la souveraineté du peuple et s’est battu pour l’unité du continent. Il a été un éveilleur de la Grande Patrie. Les États-Unis l’ont constamment attaqué ; ils ne peuvent permettre à aucun pays du continent d’échapper à leur orbite et à leur dépendance coloniale ; ils persistent à affirmer que l’Amérique latine est leur « arrière-cour ». Le blocus étasunien imposé à Cuba depuis plus de 60 ans est une atteinte à la liberté et aux droits de son peuple. La résistance du peuple cubain est un exemple de dignité et de force.

Je suis surpris de ton attachement aux États-Unis, alors que tu dois savoir qu’ils n’ont ni alliés ni amis, seulement des intérêts. Les dictatures imposées en Amérique latine ont été instrumentalisées par leurs intérêts de domination, détruisant la vie et l’organisation sociale, culturelle et politique des peuples luttant pour leur liberté et leur autodétermination. Nous, les peuples, résistons et luttons pour le droit d’être libres et souverains, et non une colonie des États-Unis.

Le gouvernement de Nicolás Maduro est menacé par les États-Unis et le blocus. Il suffit de penser aux forces navales déployées dans les Caraïbes et au danger d’une invasion de ton pays. Tu n’as rien dit, ou… serait-ce que tu soutiennes l’ingérence de la grande puissance contre le Venezuela? Le peuple vénézuélien est prêt à affronter cette menace.

Corina, je te le demande:

Pourquoi as-tu appelé les États-Unis à envahir le Venezuela ?

Lorsque tu as reçu l’annonce de ton attribution du prix Nobel de la paix, tu l’as dédié à Trump. L’agresseur de ton pays, mentant et accusant le Venezuela de trafic de drogue, un mensonge similaire à celui de George Bush, qui accusait Saddam Hussein de posséder des « armes de destruction massive ». Un prétexte pour envahir l’Irak et le piller, faisant des milliers de victimes, femmes et enfants. J’étais à Bagdad à la fin de la guerre, à l’hôpital pédiatrique, et j’ai vu les destructions et les morts causées par ceux qui se proclament défenseurs de la liberté. La pire forme de violence est le mensonge.

N’oublie pas, Corina, que le Panama a été envahi par les États-Unis, semant la mort et la destruction, afin de capturer un ancien allié, le général Noriega. L’invasion a fait 1 200 morts à Los Chorrillos. Aujourd’hui, les États-Unis tentent à nouveau de s’emparer du canal de Panama. C’est une longue liste d’interventions et de douleurs infligées à l’Amérique latine et au monde par les États-Unis. Les veines ouvertes de l’Amérique latine, comme le dit Eduardo Galeano, saignent toujours.

Je suis préoccupé par le fait que tu n’aies pas dédié ton Prix Nobel à ton peuple, mais à l’agresseur du Venezuela. Je pense, Corina, que tu dois analyser la situation et savoir sur quel terrain tu te situes : n’es-tu qu’un pion de plus dans le jeu colonial des États-Unis, soumise à ses intérêts de domination ? Une telle position ne peut, en aucun cas, servir le bien de ton peuple.

En tant qu’opposante au gouvernement de Maduro, tes prises de position et tes choix génèrent une grande incertitude. Tu as recours aux pires extrémités en appelant les États-Unis à envahir le Venezuela.

Ce qu’il est important de garder à l’esprit, c’est que construire la Paix exige une force et un courage immenses pour le bien de ton peuple, que je connais et que j’aime profondément. Là où autrefois il y avait des bidonvilles dans les collines, survivant dans la pauvreté et le dénuement, il y a aujourd’hui des logements décents, des soins de santé, une éducation et une culture. La dignité des gens ne s’achète ni ne se vend.

Corina, comme le dit le poète : « Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant. » Tu as maintenant l’opportunité d’œuvrer pour ton peuple et de construire la paix, et non de provoquer davantage de violence. On ne peut pas résoudre un mal par un autre, plus grand. Nous n’aurons que deux maux et jamais de solution au conflit.

Ouvre ton esprit et ton cœur au dialogue, à la rencontre avec ton peuple, vide la cruche de la violence et construis la Paix et l’unité parmi ton peuple pour que la lumière de la liberté et de l’égalité puisse entrer.

Adolfo Pérez Esquivel 12-10-25

Notre réaction fut surprise par le ton conciliant trop peu courant : Quelle leçon de paix par Pérez Esquivel qui a mûri sa digne réponse. Grand merci pour cet éclairage convaincant sur madame Machado.

Danièle Lorain, réalisatrice et actrice pour qui j’ai le plus grand respect (je l’ai rencontrée avec sa sœur Sophie à l’époque des pow wows de Pierre Péladeau à Sainte-Adèle), m’écrit : « Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est qu’il affirme que le gouvernement Chavez était démocratique et que celui de Maduro qui lui succède le soit aussi. Pour ce qui est des États Unis et du reste je suis d’accord avec lui. »

Je lui ai répondu : « Pour ma part, et tu ne seras peut-être pas d’accord non plus avec les Artistes pour la Paix, c’est que Chavez était démocratique en écoutant davantage le peuple que les politiciens, que Maduro l’était en son premier mandat et en son 2e mandat (52% des voix en 2024). Mais son mandat actuel est entaché par sa non-révélation du décompte officiel des dernières élections législatives (2025): ses adversaires ont alors beau jeu de le déclarer minoritaire. Lors de mes études à Moscou, un violoniste vénézuélien m’entretenait longuement des déchirements partisans de son pays: dommage que je l’ai complètement perdu de vue, il m’aurait informé davantage. »

Très vite, j’ai reçu l’information suivante de https://venezuelainfos.wordpress.com/ 

Cher ami, vous trouverez ici de nombreuses infos, depuis le terrain (j’y vis depuis 1994). Le Venezuela ne bat pas seulement des records en termes du nombre d’élections, il est aussi, par ses milliers d’autogouvernements populaires, la démocratie participative la plus avancée du monde. Je sais que ça parait fou de dire cela qui est pourtant une évidence. Les médias ont sédimenté l’image de dictature depuis 25 ans, comme vous le savez bien, mais ont surtout occulté cette démocratie participative sur laquelle nous réalisons des documentaires. Fraternellement, Thierry Deronne 

Ma réponse : Je ne m’attendais pas à une réponse aussi bien étayée et je ne manquerai pas de regarder votre film dont la bande-annonce promet la valeur. Merci mille fois !

L’invitation est faite à tous nos lecteurs et lectrices :

https://venezuelainfos.wordpress.com/2025/09/15/au-coeur-des-autogouvernements-populaires-du-venezuela-lafrique/