Originalement publié à la mi-juillet, cet article est reproduit à l’occasion de la sortie du Premier ministre du Québec de centre-droit à l’égard du co-chef du parti Québec solidaire qu’il a traité de woke. Pourquoi écrivons-nous centre-droit ? Reconnaissons à M. François Legault qu’il a agi efficacement contre la COVID-19, contrairement à ses homologues conservateurs inspirés par l’ignorance coupable de Donald Trump d’Alberta, d’Ontario et de Saskatchewan, dont les hôpitaux débordent de patients en soins prolongés.

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Mathieu Bock-Côté, Christian Rioux et Joseph Facal, surutilisateurs de ces termes.

La droite a-t-elle fomenté une doctrine inexistante ?

L’efficacité réduite du spectre éculé du bonhomme sept-heures communiste [1] et l’évolution intellectuelle d’une société affirmant la non-respectabilité d’attaques contre homos, intellos ou écolos, suscitent la nouvelle accusation woke par la droite. Les découvertes de tombes anonymes près des pensionnats, les agressions sexuelles par des haut-gradés de l’armée et par des chanoines sur des enfants [2], les violences conjugales ou les incestes font exploser l’autorité du pater familias et minent les fondements mêmes des institutions et autorités religieuses, policières, militaires et politiques au pouvoir. Désemparée par le flot de révélations embarrassantes qui ébranlent ces remparts sacro-saints fascistes que je viens d’énumérer, des éditorialistes de droite tels Christian Rioux au Devoir, Joseph Facal et Mathieu Bock-Côté au Journal de Montréal (et au Figaro, journal d’arrière-garde qui pourfend les mariages de même sexe) utilisent en contre-offensives cette nouvelle tactique réactionnaire. Afin de répandre la terreur face à un soi-disant contre-pouvoir comme le FBI le faisait, la droite vise tous les « progressistes » formés de gens honnêtes qui croient à la réalité du racisme systémique, – antiracistes, environnementalistes, antimilitaristes, pro-autochtones, laïcs et savants –, en accusant ces « wokes » de saper notre société.

Et si le wokisme n’existait pas ? Ne devrait-on pas plutôt s’inquiéter de la prolifération de groupes nationalistes d’extrême-droite (un parti vient d’être créé à l’Assemblée nationale par l’influence d’un tribun de radio-poubelle de Québec), composés pour certains de racistes armés et menaçants, qui influencent des déséquilibrés qui foncent avec leurs gros VUS sur des victimes innocentes parce qu’elles choisissent de s’habiller différemment (quels médias parlent encore de l’attentat de London) ? Heureusement que la droite peut s’enorgueillir d’un Richard Martineau ou d’une Denise Bombardier qui fustigent d’abord l’ignorance criminelle antiscience des antivaccins et des antimasques, avant de s’inquiéter du wokisme…

L’université sous diverses accusations anti-woke

En milieu universitaire en principe capable de faire la part des choses, on a été témoins, il est vrai, de protestations exagérées, visant des professeurs suggérant, par exemple, la lecture de Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières [3], et on a constaté l’incapacité d’autorités, tel le recteur de l’Université d’Ottawa, de protéger une chargée de cours accusée d’une telle peccadille – j’emploie un terme négatif, au cas, non prouvé, où elle aurait insuffisamment expliqué le contexte du livre, afin de ne pas heurter les Noirs présents dans sa classe. On assiste ainsi à une détérioration du climat politique, perceptible à l’Université Concordia, et à un sérieux dérapage quand on lit la diatribe de Robert Leroux, professeur titulaire à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa :

« Les wokes jubilent. En peu de temps, ils ont réussi à détruire l’université, celle où l’on produisait (sic) et diffusait le savoir. (…) On cultive la haine de l’homme blanc, de l’homme occidental, accusé de tous les péchés, et présenté comme le principal diffuseur d’idéologies racistes et colonialistes, de même que de toutes les autres formes de « domination » à l’endroit des groupes minoritaires.

Il n’est pas douteux dans cette perspective que le wokisme exerce une forme de terrorisme intellectuel. Les conséquences sont prévisibles : pour nettoyer l’université de la peste blanche, on n’embauche que des belles âmes, des âmes « éveillées », entièrement dévouées aux principes doctrinaires du wokisme.

Ainsi, un jeune chercheur blanc, prometteur, qui se consacre à publier des articles sérieux n’a plus sa place à l’université. Il est déplorable de voir qu’on lui refuse l’accès à ce qui devrait être considéré comme son fief (sic).

On ne peut rien attendre de positif de la part des administrateurs. Ils sont pour la plupart favorables à la doctrine woke (sic) et s’efforcent de la propager. (…) Si l’université peut encore être sauvée, ce ne sera pas l’œuvre des bureaucrates, mais du quidam, du payeur de taxes (sic), qui, dans un avenir rapproché, boycottera l’université en incitant ses enfants à éviter de la fréquenter. Sa détestation des idées woke se manifeste avec de plus en plus de vigueur. Avec raison (bref, le professeur prône ici la haine salutaire du peuple !), comme on peut le voir sur les réseaux sociaux, ils n’ont que mépris pour les inepties qu’on y enseigne (sic). Quand les départements de sciences sociales fermeront les uns après les autres, faute d’inscriptions, peut-être mettrons-nous fin à ce sinistre carnaval. »

Triste de voir de telles opinions racistes répandues par un professeur TITULAIRE !

Plutôt promouvoir les universitaires libres

L’éditorialiste Antoine Robitaille au Journal de Québec salue avec raison la conclusion récente de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) que Laurentia, projet d’extension du port de Québec appuyé par le gouvernement Legault, était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants sur le poisson et son habitat, sur la qualité de l’air et la santé humaine, les conditions socioéconomiques, et l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles par les peuples autochtones. Les milieux d’affaires de Québec appuyaient de manière quasi unanime Laurentia. Même l’Université Laval (ce que dénoncèrent des militants environnementaux et étudiants). J’invite M. Robitaille et tous les journaux à saluer plutôt un des grands succès de l’Université Laval, la naissance il y a deux ans d’une tribune appelée Des Universitaires.

Issu de l’Université Laval en 2019, le Regroupement Des Universitaires rassemble près de six cents professeur.e.s, chercheuses et chercheurs universitaires qui luttent publiquement contre les changements climatiques et pour la protection de l’environnement et de la biodiversité. Constatant d’une part le recul de la science dans la prise de décision et la prolifération de l’antiscience et des fausses nouvelles, d’autre part la dégradation continuelle de l’environnement et l’insuffisance de l’action politique, le Regroupement vise à ce que la science ait plus de place dans le débat public et contribue à l’amélioration de la société.

Quelle fraîcheur, alors que trop de professeurs gèrent leurs carrières en vue d’avantages financiers ou d’avancement social auprès de politiciens qui attaquent le climat et la paix en votant pour le financement de pipelines de pétrole bitumineux, de gazoducs au Saguenay, de prospection d’uranium, du 3e lien Québec-Lévis, de bateaux de guerre et de chasseurs-bombardiers, au lieu d’amender leurs comportements racistes envers autochtones, Chinois, Russes, Arabes, Cubains et instances de l’ONU. Dans Le Soleil et cinq autres journaux des Coops de l’information, les membres du Regroupement partagent ou écrivent chaque semaine des dizaines d’expertises non commanditées issues de différents domaines universitaires en vue d’informer les nombreux lecteurs de la situation réelle de notre planète : elle n’est pas menacée par le wokisme, mais par les attaques d’une droite financée notamment par l’argent du pétrole remettant en cause les conclusions unanimes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – ONU.


[1] Évidemment, nos médias brandissent tous les jours les pays communistes (Chine) ou ex-communistes (Russie) comme épouvantails afin de justifier des dépenses militaires astronomiques qui ne sont là que pour assouvir les désirs incontrôlables de l’OTAN, des armées et surtout de l’industrie militaire : lire, écrit par le même auteur, https://www.pressenza.com/fr/2021/09/militarisme-et-antimilitarisme/  originalement un chapitre du livre de Pierre Beaudet publié par l’Université d’Ottawa Enjeux et défis du développement international décrivant brièvement l’influence du militarisme à laquelle se soumettent les six partis en campagne électorale fédérale canadienne.

[2] L’excellent film Grâce à Dieu de François Ozon a persévéré, en butte à 2 attaques juridiques.

[3] L’expérience politique de Pierre Dubuc a probablement raison de s’inquiéter des dégâts de wokes brisant l’unité de la résistance populaire. On lira avec intérêt sa référence aux Black Panthers, qui avaient invité Pierre Vallières à prononcer le discours de clôture à la conférence internationale Hemispheric Conference to Defeat American Imperialism, tenue à Montréal le 29 novembre 1968 : https://lautjournal.info/20210623/la-croisade-de-mbc-contre-linquisition-woke