On est en droit de se demander pourquoi la police a envoyé ce drone à chenilles faire exploser une bombe à proximité du suspect, sachant que celui-ci était coincé dans un stationnement et qu’il prétendait avoir placé des bombes « un peu partout ». En l’éliminant, les policiers mettaient fin à la crise sans pouvoir savoir s’il y avait effectivement des bombes. Du point de vue juridique, tuer le suspect le privait de son droit constitutionnel à ce que les Américains appellent « due process », le droit d’être jugé impartialement. Ce qui amène la question d’éthique : cette situation extrême justifiait-elle l’exécution par robot-tueur ?
Dans le contexte tendu des relations entre le public et les polices, on s’attendrait à ce que celles-ci mettent l’accent sur des tactiques à caractère plus humain. L’usage de matériel offensif robotisé les entraîne dans la direction opposée.
La militarisation de la police découle de la robotisation des armées. Depuis 2008, les attaques de drones volants contre des cibles « terroristes » en Afghanistan et en Irak sont considérées comme normales et moralement défendables, en dépit du bilan effroyable des dommages collatéraux. Ces attaques ont pour résultat de tuer des cibles, au lieu de les arrêter. On note également que des drones à chenille offensifs sont utilisés par les troupes américaines en Irak depuis un certain temps, alors que l’incident de Dallas représente une première en matière de police domestique.
Selon Marjorie Cohn, professeur émérite à la Thomas Jefferson School of Law, le droit au due process est non seulement inscrit dans la Constitution américaine, mais est enchâssé dans la Convention internationale sur les Droits civils et politiques, ratifiée par les États-Unis, ce qui lui donne force de loi : « La police ne peut pas utiliser la force létale s’il n’y a pas de danger immédiat de mort ou de blessure très grave envers eux ou d’autres personnes. Si le suspect s’était retranché dans le garage et qu’il ne représentait pas de danger immédiat, la police aurait du attendre, l’arrêter et le traduire en justice ».
On assiste donc à des situations similaires : d’un côté, l’usage de drones dans d’autres pays, pour tuer des cibles au lieu de les arrêter ; de l’autre, du matériel militaire entre les mains de la police locale, qui leur permet d’oublier que leur mission – parfois difficile à accepter – prévoit de limiter le plus possible le recours à la force, en justifiant un choix éthique par un prétexte technologique.
Il est préoccupant de penser que ce phénomène va prendre de l’ampleur au fur et à mesure que la technologie se raffine, jusqu’à devenir publiquement acceptable, tout comme les drones en Irak. La militarisation des forces policières ne les transformera-t-elle pas en une armée intérieure au service de pouvoirs dont la justice sociale n’est pas la première préoccupation ? Verra-t-on apparaître le concept de dommages collatéraux dans les opérations policières ? Certaines séries télévisées américaines qui glorifient les abus de pouvoirs policiers sous couvert d’héroïsme sont déjà rendues là, mais il s’agit en principe de fiction. À suivre…
Le jour – pas si loin – ou d’autres pays ou groupes commenceront la même pratique, là les États-Unis la remettront en question.
Deviendrons-nous des robots conditionnés et de froideur métallique? S*il y a un gros NON à dire, c*est maintenant!