« Nous n’avons pas besoin d’artistes, nous avons besoin d’héroïsme »

Pol Pelletier

/Photo de Jovette Marchessault à la une

/Jeudi  7 juin/

Soirée exceptionnelle au sixième Festival Trans Amériques …et dans la rue.

Le Festival existe grâce à la magie de notre amie Marie-Hélène Falcon qui voyage à travers le monde, entre autres au Festival d’Avignon : c’est elle qui à la suite de la grève de la faim d’Ariane Mnouchkine en 1995 avait impliqué les Artistes pour la Paix dans la dénonciation du massacre génocidaire de Srebrenica par une conférence de presse début août pour sauver Sarajevo alors encerclée par les miliciens serbo-bosniaques (leur chef Mladic est actuellement accusé à La Haye par la Cour Pénale Internationale, instaurée par mon collègue et ami Philippe Kirsch). Le Festival nous a aussi donné cette année ce que nous osons appeler « pièce yougoslave » Maudit soit le traître à sa patrie! que nos lecteurs découvriront grâce à la critique élogieuse de Marie-Paule Grimaldi dans l’Aut’Hebdo du 8 juin. Le Festival nous a hélas aussi parfois livré des productions internationales, prétextes à orgies de musiques électrifiées, de costumes extravagants, d’éclairages étincelants et de décors flamboyants, avec des acteurs survoltés, vociférant en toutes sortes de langues, maniant le fusil, l’obscénité et la provocation superficiellement scandaleuse.

En contraste, hier soir, dans un lieu abandonné, l’église Sainte-Brigide rue Alexandre-de-Sève coin René-Lévesque, juchée sur une table-tréteau, nu-pieds, dans une robe sombre du genre porté par nos grand-mères, la grande comédienne Pol Pelletier nous livrait une simple lecture, le livre à la main, respectueuse de la non moins grande Jovette Marchessault, autodidacte de bientôt 74 ans, hélas trop malade pour assister à cette renaissance de son œuvre. Car c’est une exceptionnelle transfiguration mystique de la pérégrin chérubinique, avec l’aide du musicien qui avait accompagné la dernière venue à Montréal d’Ariane Mnouchkine, Jean-Jacques Lemêtre, que Pol Pelletier nous a livrée sans aucun décor ni effet d’éclairage, avec la simple ponctuation de l’orgue de l’église, d’un piano droit et de divers enregistrements manipulés avec sobriété respectueuse par Lemêtre.

Cette lecture, selon les mots de l’actrice que je livre ici en vrac, veut instaurer un nouveau critère artistique : l’héroïsme; une œuvre d’art n’a de sens que si elle est une question de vie ou de mort; Bernard Émond dit que notre monde moderne, dominé par l’égoïsme et l’indifférence, a besoin de saints et de saintes, prêts à donner leur vie; qu’est-ce qu’un acte généreux pour un artiste ? Comment imaginer une action qui donne sans penser au profit ? Comment reconnaître la vérité ? Ce sont les urgentes questions que pose notre camarade artiste pour la paix, Pol Pelletier, sans soutien réel d’aucune troupe organisée (Hélène Pedneault avait convaincu l’artiste pour la paix 1996 Ginette Noiseux de lui prêter l’Espace GO pour une pièce il y a quelques années mais hélas, depuis…). La prochaine prestation de Pol aura donc lieu à Val-Morin du 5 au 14 juillet au Théâtre du Marais (voir www.polpelletier.com ).

L’ovation des près de trois cents spectateurs qui a suivi cette lecture hier soir récompensait l’intensité faite de crescendi enflammés interrompus par des silences abrupts de la grande passionaria du théâtre féministe québécois que j’ai saluée pour vous tous hier soir.  Ce soir et demain (8 et 9 juin), ne manquez pas ce texte inoubliable, dont l’auteure, tombée dans un oubli injuste et trop explicable en notre société frileuse et pusillanime, aborde avec audace d’imagination les thèmes ignorés de la maladie et de la religion, sans jamais s’abandonner au misérabilisme, bien au contraire.

La pièce fut prolongée hier soir par une discussion avec le public où Pol Pelletier a dénoncé nos confortables gestionnaires de la vie culturelle, tel Juste pour rire, et ceux pour qui la modernité et l’esprit mesquin d’analyse tiennent lieu d’épanouissement individualiste. Elle a loué plutôt l’exaltation collective de l’extraordinaire Pentecôte à laquelle notre jeunesse nous convie, avec la tendresse de sa pauvreté et le courage de sa résistance qui soir après soir, sacrifie son confort en mettant un pied devant l’autre pour célébrer une révolution par le féminin …armée de casseroles, a-t-elle ajouté en riant. On a toujours connu Pol inquiète et fervente: on la découvre maintenant avec en plus un sourire persuasif et contagieux !

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C’est le même portrait de la jeunesse que proposait aussi la journaliste féministe Francine Pelletier (y a-t-il parenté ?) avec la maNUfestation d’hier soir organisée par l’AFÉA, l’Association des étudiants en art de l’UQAM (et non la CLAC comme l’a écrit La Presse, dont la ligne éditoriale est toujours en discrédit des manifestations; heureusement, un article la veille dans la même Presse par Anabelle Nicoud contredisait cette ligne). Associée à la CLASSE, l’AFÉA, dont je rencontrais hier midi le secrétaire général Nicolas Vignau, écrivait sur sa brochure publicisant la maNUfestation :

La nudité met sur un pied d’égalité tous et toutes, (…) rejetant l’étiquetage social imposé par la société de consommation. En plus d’injecter une dose de ludisme et d’Éros à la crise actuelle, ce moyen d’action se situe dans le sillage de la libération sexuelle opérée depuis les années soixante contre le traditionalisme. Pourquoi la nudité serait uniquement l’affaire des publicitaires sexistes et de la servitude du corps-objet ? Le Grand Prix de F1 est très couru par l’élite économique mondiale qui, chaque année, vient profiter des « charmes » de Montréal : hôtels luxueux, bars de danseuses, services d’escortes et de prostitution, soirées V.I.P., expositions de voitures de luxe, etc. (…)

Les valeurs sexistes, non-environnementales, élitistes et économistes véhiculées par cet événement entrent en confrontation avec celles défendues par le mouvement étudiant et la contestation globale qui émerge en ce début de millénaire. Montrons à la face du monde qui nous sommes : un peuple éduqué, solidaire et LIBRE ! Venez affirmer votre colère et montrer, lors de l’événement canadien le plus médiatisé à l’étranger, que la population québécoise soutient la lutte sociale que mènent les étudiant-e-s contre les valeurs néo-libérales.

L’AFÉA encadrait cet appel avec deux slogans et une citation anonyme, typique de la créativité qui anime les manifestations des jeunes depuis quatre mois :

– Nus, nus, nous vaincrons !

– Sans vêtements pour un gouvernement transparent !

Tu sais qu’une société est malade quand l’éducation est devenue une marchandise alors que le Grand Prix énergivore et pollueur, financé à 50 millions de $ par les contribuables, est considéré comme un projet de société…

enfin, entendu dans la rue Crescent s’adressant aux filles  publicisant les bébelles de la F1:

– Libérez les pitounes !!!