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Montréal, le 28 juin 2022

L’Honorable Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères du Canada
Ottawa

28/06/2022 journée montréalaise de protestations pancanadiennes
contre l’OTAN [1]

L’art est-il au-dessus de la politique ? L’artiste, lui, est dedans jusqu’au cou, qu’il le veuille ou non. Le mouvement auquel plusieurs artistes ont choisi de s’identifier s’appelle Artistes pour la Paix, œuvrant en faveur de la paix et du désarmement depuis 1984 [2] , grâce à un C.A. élu démocratiquement par une assemblée générale annuelle : celle du 10 juin 2022, tenue à l’Atrium du Conseil des Arts de Montréal (photo ci-dessus) a nommé ses représentants qui ont l’honneur de vous écrire aujourd’hui.

Une culture dominante, désignée par Noam Chomsky comme consentement tacite à un ordre fabriqué, a érigé un mur de méfiance autour des concepts féminisme et pacifisme, vus comme « extrémismes sectaires ou naïfs illuminés » : ne s’agit-il pas plutôt de nécessaires contrepoids à une domination multimillénaire machiste par la violence, renforcée la semaine dernière par deux décisions de la Cour Suprême des États-Unis ? Le fascisme prolifère sur notre continent et dans notre armée que l’Honorable Anita Anand tente de mettre au pas (rapport de madame Louise Arbour – Groupe consultatif de la ministre de la Défense nationale sur le racisme systémique et la discrimination – Rapport final – Janvier 2022). Les APLP avaient alerté en vain le militariste Harjit Sajjan en 2016 [3].

En répondant à cette lettre, vous délégitimeriez la censure appliquée par les médias à notre égard ! Car les Canadiens connaissent les noms de tous les camionneurs révoltés félicités par M. Pierre Poilièvre, alors que nos articles anti-racistes et pro-autochtones (dernier exemple [4]) sont ignorés par les médias. Et on s’étonne du vent de droite qui souffle ?

ONU – GIEC

Suivant l’exemple des savants Einstein, Russell et Rotblat créateurs du mouvement international Pugwash et au Québec de Pierre Dansereau, Hubert Reeves, Louise Vandelac et Lucie Sauvé, de nombreux artistes s’engagent dès les années 80 dans le refus de la violence, pour le respect du dialogue prôné par l’ONU et l’UNESCO et pour l’écologie défendue par le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat : sa principale défenderesse, Greta Thunberg, a mobilisé un demi-million de manifestants en septembre 2019 à nos côtés en la Ville de Montréal.

À l’appel du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres à diminuer de 10% les dépenses militaires, votre gouvernement a hélas répondu en les augmentant de 35% : vos deux cents milliards de dollars pour des armes offensives feront croître le nombre alarmant des cent millions de réfugiés répertoriés par le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés. Les F-35, les frégates Irving/Lockheed-Martin, vos pipelines et gazoducs détruisent la planète et appauvrissent la population canadienne frappée par une inflation de 7% compromettant son approvisionnement minimal en eau potable (dix mille jours sans, pour une Première Nation au Nord de l’Ontario), en nourriture et en logements sociaux.

Ukraine – Canada – OTAN

L’invasion russe de l’Ukraine est survenue peu de temps après votre nomination comme ministre des Affaires étrangères. Si le gouvernement canadien avait développé à partir des années 50 l’expertise de Lester B. Pearson récompensée par un prix Nobel de la Paix, celle des Casques Bleus, développée actuellement par notre ami militaire Walter Dorn à l’ONU, et si les APLP avaient vu leurs efforts interculturels récompensés comme la Caravane de Paix au Tibet en 1993 et la Flottille de Paix en Croatie-Slovénie en 1994 (émission Le Point avec JF Lépine à R.-C.), nous aurions pu, selon la suggestion de Jean Bédard, développer une complicité sur le terrain avec les grands musiciens d’Ukraine – et même de Russie – pour tenter de prévenir l’horrible guerre déclenchée par Poutine.

Mais il faut revenir en arrière. En 2014, le gouvernement de Stephen Harper a participé à la violente révolution du Maïdan contre un premier ministre ukrainien démocratiquement élu, auquel les populations russophones du Donbass et de la Crimée s’identifiaient, malgré sa corruption [5] : l’implication du ministre conservateur John Baird dans cette révolution de rue à Kyiv, l’envoi de l’armée canadienne qui s’est compromise avec le bataillon nazi Azov pendant sept ans et les quatorze pays limitrophes de la Russie avalés par l’OTAN antirusse ont provoqué « l’opération militaire» du 24 février qui représente, malgré sa prétention de protéger la population russophone, à nos yeux et aux vôtres, une inqualifiable invasion guerrière condamnable. Notre lettre de protestation à l’ambassadeur russe [6] est restée sans réponse, … comme notre message à votre bureau.

Graham E. Fuller (former Vice Chair of the National Intelligence Council – CIA) écrit justement le 18 juin que les États-Unis et l’OTAN ont délibérément provoqué la guerre avec la Russie. Dave Parnas, Phd, CEO at Middle Road Software, blâme le président Zelensky de négliger les victimes ukrainiennes quand il s’entête dans sa politique guerrière orgueilleuse qui réclame plus de livraisons d’armes occidentales: « nous ne laisserons personne s’emparer de notre sud et nous reprendrons tout ce qui est à nous ». Sa défense du territoire qui sacrifie sa population est appuyée par votre Canada (le New York Times du 24 juin déclare l’armée canadienne en opérations à l’intérieur de l’Ukraine !)  et par le non moins irresponsable Secrétaire général de l’OTAN, Stoltenberg, qui déclare le 20 juin que la guerre pourrait durer des années. Et ce, malgré les objurgations du pape et les nôtres qui favorisent des négociations orchestrées par l’ONU qui seules peuvent  mettre fin au cauchemar des Ukrainiens [7].

C’est pourquoi Pierre Jasmin a co-rédigé la déclaration internationale ci-dessous avec le professeur Riccardo Petrella et d’autres rédacteurs sur trois continents, publiée en cinq langues par pressenza.com il y a une semaine.

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En conclusion, votre silence à notre égard et votre entêtement pro-guerre en Ukraine nous donnent l’impression de ne pas pouvoir vous compter parmi nos alliées : est-ce vrai ?

Avec humilité et espoir,

Les Artistes pour la Paix

[1] Nous appuyons sans réserve la déclaration du 27 juin par https://echecalaguerre.org  et prendrons part aujourd’hui 28 à la manifestation du Mouvement Québécois pour la Paix à Montréal.

[2] Notre premier président élu est le fondateur du Théâtre du Nouveau-Monde, Jean-Louis Roux. Devenu sénateur libéral à l’appel de M. Jean Chrétien en 1994, il convaincra d’adhérer aux APLP l’Honorable Gérald Beaudoin qui votera même la première loi canadienne de contrôle des armes à feu, alors qu’il était représentant en chef du parti progressiste-conservateur au Sénat, un revirement extrêmement inattendu! Jean-Louis convaincra aussi l’Honorable Gérard Pelletier qui persuadera le Canada de réussir avec l’OTAN une opération militaire sans victimes autres que les armes serbo-bosniaques qui canardaient la ville de Sarajevo pour empêcher la réédition du carnage de Srebrenica. Mais l’OTAN sera coupable ensuite d’une attaque criminelle de la Serbie civile, dénoncée par les APLP.

[3] Ministère Paix et sécurité http://www.artistespourlapaix.org/?p=11183

[4] 24 juin 2022 http://www.artistespourlapaix.org/convivialite-du-grand-solstice-2022/

[5] 14 mars 2014 http://www.artistespourlapaix.org/crimee-ukraine/

[6] http://www.artistespourlapaix.org/signez-cette-lettre-contre-la-guerre-en-ukraine/ que nous vous avions communiquée : http://www.artistespourlapaix.org/lettre-a-la-ministre-des-affaires-etrangeres/

[7] 8 mars 2022 : http://www.artistespourlapaix.org/?p=21950

 

Riccardo Petrella, politologue et économiste italien, titulaire d’un doctorat en sciences politiques et sociales de l’université de Florence (Italie), enseigne à l’université catholique de Louvain. Il a reçu plusieurs doctorats honorifiques, entre autres de l’Université du Québec à Montréal. De 1967 à 1975 il a été secrétaire scientifique puis directeur du Centre européen de coordination de recherche en sciences sociales, à Vienne (Autriche). De 1976 à 1978 il a été senior researcher au Conseil international des sciences sociales à Paris et fellow à la Ford Foundation. De décembre 1978 à 1994, il a dirigé le programme FAST (« Forecasting and Assessment in Science and Technology ») à la Commission de la Communauté européenne à Bruxelles. Il est professeur d’écologie humaine à l’Accademia di Architettura de Mendrisio (Suisse).

Fondateur en 1991 du groupe de Lisbonne, composé de 21 membres universitaires, dirigeants d’entreprises, journalistes et responsables culturels, pour promouvoir des analyses critiques des formes actuelles de la mondialisation, Petrella s’implique fortement dans la protection de l’eau, d’abord autour de l’idée d’un Manifeste mondial de l’eau, initiative du Groupe de Lisbonne, soutenue par le Comité Promoteur mondial pour le contrat de l’eau, présidé par Mario Soares et réunissant des responsables africains, sud-américains, asiatiques et d’Europe de l’Ouest. Le manifeste pose comme principe que l’eau est un bien commun, qu’elle relève de la citoyenneté, de l’écocitoyenneté et de la démocratie. Le « droit à l’eau » est un droit inaliénable individuel et collectif. Petrella a pour cela fondé en 1997 le Comité international pour un Contrat mondial de l’eau, dont il est le secrétaire général, reposant sur le principe que l’eau appartient à tous les habitants de la terre et qu’elle leur est – comme l’air – vitalement nécessaire (humains et
non-humains).