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Sommets sur le dos du monde criblés de contradictions

Le deuxième sommet sur le climat de 2020 (COP25), à Madrid, du 2 au 12 décembre 2019, fournit une occasion pour réfléchir aux liens entre l’agir pour la paix et l’action écologique. En même temps, les dirigeants de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se réunissaient à Londres. Pendant qu’à Madrid on souligne l’ampleur du drame climatique, à Londres, on feint l’indifférence voire l’ignorance crasse en proposant plus d’armes, donc plus de pollution.

Sauver le climat d’une détérioration susceptible d’atteindre un niveau catastrophique pour toutes les catégories d’êtres vivants sur terre devient une visée critique à court, moyen et long terme. Le seuil normal de résilience aux destructions massives des conditions de la vie est déjà atteint et il risque de devenir de plus en plus funeste; des interventions cohérentes, radicales et musclées s’imposent. Mais un problème de fond persiste; beaucoup de dirigeant.e.s de tous les types (gouvernements, villes et municipalités, entreprises, etc.) se traînent les pieds et ne donnent pas le véritable coup de barre requis pour modifier la trajectoire de l’histoire des rapports de l’être humain avec la nature; la négligence est condamnable, car s’imposent changements fondamentaux dans les relations entre les habitants de la planète pour qu’ils vivent en paix et en harmonie entre eux et Gaïa, la terre nourricière. Cette ouverture voire cette conversion à un nouveau paradigme de la gestion des rapports humains avec l’environnement fait appel à un profond sens des responsabilités et à une manière renouvelée de se situer dans le monde avec une grande sensibilité individuelle et collective; écouter, sentir, voir et goûter les merveilles esthétiques et fondamentales de l’univers est une nécessité plus actuelle que jamais. De telles attitudes font appel à l’inspiration et à la création d’un monde en paix. On est loin des hordes de touristes voyeurs qui se baladent sur la planète sans vraiment voir le gâchis créé par la détérioration des conditions globales de la vie.

Ma réflexion en est une de révolte. Et je veux seulement tenter de clarifier les liens entre le développement d’une culture de la paix et le développement durable. Pour réaliser un tel chantier, on ne peut pas faire abstraction de l’analyse de l’évolution de la culture de la paix et des modèles de développement néolibéral sous le joug des règles du marché; aujourd’hui, cette idéologie peu soucieuse des besoins de la planète domine le panorama économique, politique, social et culturel. Je propose donc de décortiquer le sens de la culture de la paix afin de configurer les grandes lignes de l’agir écologique malgré la domination pernicieuses imposée par le développement du capitalisme. Une fois les éléments de contexte établi, je compte expliciter les liens entre paix et harmonie avec le développement durable, donc avec le respect de la nature.

Des enjeux incontournables

Le plus récent rapport du GIEC sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions révèle que « les émissions de CO2 issues des combustibles fossiles et provenant de la consommation énergétique et de l’industrie, qui représentent la majeure partie du total des émissions de GES, ont augmenté de 2 % en 2018, atteignant le niveau record de 37,5 Gt-CO2 par an. [1] »

Ce constat alarmant n’empêche pas les indicateurs de pointer vers une augmentation des émissions de CO2 alors qu’elles devraient plafonner dès 2020 et diminuer à un niveau inférieur de 25 % par rapport à 2018 et de 55 % par rapport aux prévisions de 2030. La tendance dominante va plutôt dans le sens d’une croissance en folie. Les pays de l’OCDE, tout comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et bien d’autres dansent en rond dans la dangereuse course à la croissance infinie. Entreprises et gouvernements sont fascinés, voire endormis par la perspective de conquérir le monde par l’exportation et les échanges de produits. Le discours dominant ne parle que de conquête des marchés. Il suffit d’écouter ministres, entrepreneurs et commentateurs de l’économie pour le constater. Enrichir une élite économique et financière est le mot d’ordre partout. On vise toujours plus gros, plus grand, plus vite. À cela, s’ajoute l’augmentation de la consommation, proprement scandaleuse dans le cas des ventes de gros véhicules énergivores. La publicité illustre de façon éloquente l’engourdissement idéologique des consommateurs et des consommatrices devant le désir de se croire capable de tout consommer sans discernement. On refuse de voir le ver dans la pomme. Selon le GIEC, les émissions de CO2 poursuivent leur « chute » vers le haut. Pendant ce rêve de grandeur et de paradis de la consommation, les États semblent inertes, incompétents, incapables de proposer des solutions viables. Du bout des lèvres, on propose quelques cataplasmes dérisoires (recyclage, mini-centrales nucléaires, etc.) alors que la planète brûle; appuyer de minces programmes d’achats de véhicules électriques, par exemple, ne constitue pas une politique de changement global et fondamental. Il ne s’agit là que d’une petite partie de la solution. Pourtant, des milliers de scientifiques spécialistes des diagnostics et des traitements dont la planète malade a besoin proposent une panoplie de solutions.

Le diagnostic du cancer écologique qui ronge notre planète sert d’avertissement sérieux, car le grand corps du monde constitué d’oxygène, d’eau et de terre se trouve dans un état de dégénérescence accélérée. Selon le GIEC, répétons-le, un traitement choc s’impose. « L’estimation de la quantité d’émissions dues à la consommation, ou empreinte carbone, permet d’ajuster les émissions normalisées d’un territoire selon ses importations et ses exportations, offrant ainsi aux décideurs un indicateur supplémentaire pour mieux saisir le rôle joué par la consommation, le commerce et l’interconnexion des pays. La figure ES.3 montre que la circulation des flux nets de carbone incorporé se fait des pays en développement vers les pays développés. De ce fait, même lorsque les pays développés réduisent leurs émissions territoriales, les effets de cette réduction sont partiellement annulés par l’importation de carbone incorporé. Il en résulte, par exemple, que si l’on tient compte des émissions de consommation, les émissions par habitant de l’Union européenne sont plus élevées que celles de la Chine. Il convient de noter que les émissions de consommation ne sont pas utilisées dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). [2] »

À la recherche de solutions fondamentales efficaces

Depuis plusieurs années, le groupe d’experts des Nations unies sur le climat (GIEC) poursuit des recherches approfondies et publie des rapports spéciaux afin de démontrer l’importance d’organiser une réponse mondiale aux dérèglements climatiques. Le GIEC démontre aussi l’importance et la nécessité de lier cette problématique au développement durable et à la lutte contre la pauvreté. En somme, la démarche globale pour enrayer le drame climatique fédère des acteurs de tous les milieux et touche toutes les dimensions de la vie en société. Impossible de travailler à changer le cours de la dérive polluante des sociétés sans questionner nos manières de développer, de produire et de consommer sans chercher des solutions à la pauvreté, aux inégalités sociales et économiques. En d’autres termes, il s’agit de travailler à instaurer des politiques sociales justes et équitables pour toutes les sphères dans la grande diversité des sociétés. Un chantier aussi gigantesque devrait forcer tous les pays à agir ensemble dans un esprit de paix et de collaboration. On est très loin du compte.

Dans le contexte de l’Accord de Paris sur le climat et aujourd’hui COP25 de Madrid, on a établi les dimensions à travailler sur le plan international : le changement climatique et ses incidences sur les océans et la cryosphère, (ensemble des eaux (banquises, glaciers, etc.) et des sols gelés (pergélisols) à la surface de la terre.), la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Évidemment, ces dimensions touchent directement le vécu des gens dans leur vie quotidienne : l’alimentation, l’habitat, le milieu de vie, l’occupation du territoire, l’agriculture, l’horticulture, l’accès à l’eau potable, les modes de transport, l’état de santé, l’hygiène, les ressources éducatives, la salubrité de l’air, etc.

Chaque humain vit dans un milieu de vie donné, restreint, limité géographiquement et socialement. Par contre, chaque petite sphère individuelle se situe dans un environnement global, celui de la terre, des mers et de l’atmosphère. Chaque petit espace de vie ne peut vivre coupé de la planète même si beaucoup d’individus n’en semble pas conscients. En réalité, malgré les apparences, nous ne sommes jamais seuls, même dans le coin le plus reculé d’un désert; nous respirons l’air, nous buvons l’eau et nous nous nourrissons des produits de la terre. À l’ère moderne, nous sommes aussi conscrits dans la grande armée de la consommation guidée par la main magique du « marché », cette hydre à mille têtes à la puissance en apparence indestructible.

Cette marche en avant des êtres humains sur leur terre n’est pas apparue par magie et elle a évolué rapidement. Karl Polyani a bien résumé les grandes lignes de cette métamorphose dans son livre-phare La grande transformation.[3] Une longue citation s’impose.

«Ce que nous appelons la terre est un élément de la nature qui est inextricablement entrelacé avec les institutions de l’homme. La plus étrange de toutes les entreprises de nos ancêtres a peut-être été de l’isoler et d’en former un marché.

Traditionnellement, la main-d’œuvre et la terre ne sont pas séparées; la main-d’œuvre fait partie de la vie, la terre demeure une partie de la nature, la vie et la nature forment un tout qui s’articule. La terre est ainsi liée aux organisations fondées sur la famille, le voisinage, le métier et la croyance – avec la tribu et le temple, le village, la guilde et l’église. Le Grand Marché unique, d’autre part, est un dispositif de la vie économique qui comprend des marchés pour des facteurs de production. Puisque ces facteurs se trouvent être indiscernables des éléments qui constituent les institutions humaines, l’homme et la nature, il est facile de voir que l’économie de marché implique une société dont les institutions sont subordonnées aux exigences du mécanisme du marché.

Cette proposition est utopique aussi bien en ce qui concerne la terre qu’en ce qui concerne la main-d’œuvre. La fonction économique n’est que l’une des nombreuses fonctions vitales de la terre. Celle-ci donne sa stabilité à la vie de l’homme; elle est le lieu qu’il habite; elle est une condition de sa sécurité matérielle; elle est le paysage et les saisons. Nous pourrions aussi bien imaginer l’homme venant au monde sans bras ni jambes que menant sa vie sans terre. Et pourtant, séparer la terre de l’homme et organiser la société de manière à satisfaire les exigences d’un marché de l’immobilier, cela a été une partie vitale de la conception utopique d’une économie de marché.

Encore une fois, c’est dans le domaine de la colonisation moderne que la véritable signification de cette entreprise devient manifeste. Que le colonisateur ait besoin de la terre à cause de la richesse qu’elle recèle, ou qu’il veuille simplement contraindre l’indigène à produire un surplus de nourriture et de matières premières, ce n’est souvent pas cela qui compte; et il est à peu près égal que l’indigène travaille directement sous la surveillance du colonisateur ou seulement sous quelque forme indirecte de contrainte, car dans tous les cas, sans exception, il faut d’abord qu’on ait ébranlé le système social et culturel de la vie indigène.

Il y a une étroite analogie entre la situation coloniale actuelle et celle de l’Europe occidentale cent ou deux cents ans plus tôt. Mais la mobilisation du sol qui, dans les pays exotiques, peut être comprimée dans l’espace de quelques années ou décennies, peut avoir pris autant de siècles en Europe occidentale. »

Voir grand, mais pour agir d’une manière responsable

Un changement fondamental de paradigme par rapport à l’agir sur les processus de destruction de la planète passe par une perspective globale de promotion de rapports sociaux, politiques, économiques et culturels justes, équitables et responsables. Une telle approche peut s’appuyer sur une culture de la paix puisqu’elle commande une collaboration étroite entre les pays. Autrement, si les conséquences dramatiques des dérèglements climatiques s’accentuent, la planète risque de voir naître des conflits par rapport à l’exploitation des territoires et des ressources. Par essence, le capitalisme étant un prédateur violent sans état d’âme quand il s’agit de conquêtes, les risques de conflits majeurs augmentent dans le même ordre que la croissance folle qui contribue à la destruction du monde, notamment par les guerres, l’accroissement du volume et de la puissance des armes sophistiqués, etc. Le sommet de l’OTAN de décembre 2019 rappelle cette stratégie militariste globale avec emphase.

Devant ces politiques arrogantes et agressives depuis plus d’un siècle, établir une culture de la paix dans le monde semble une utopie, mais ça n’enlève rien à l’urgence et à la nécessité de travailler à poursuivre l’action en ce sens. De toute évidence, une telle perspective interpelle les artistes, mais l’ensemble des citoyens et des citoyennes du monde, mais surtout les dirigeant.e.s des États et des entreprises privées.

Mais à quoi réfère la culture de la paix ?

En 1998, l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution A/52/13) a défini la culture de la paix ainsi : « la culture de la paix est un ensemble de valeurs, d’attitudes et de comportements qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les États. [4]»

L’UNESCO a résumé le sens de la culture de la paix comme un ensemble de responsabilités éthiques sur le plan social et politique. Le lien entre paix et relation harmonieuse avec la nature se situe au cœur des indicateurs de la définition. L’objectif fondamental qui lie la culture de la paix et la responsabilité écologique se traduit par une visée incontournable : promouvoir une consommation responsable et un mode de développement durable qui tiennent compte de toutes les formes de vie et préservent l’équilibre des ressources naturelles de la planète. Il s’agit de travailler à construire l’harmonie entre l’homme et la nature, l’harmonie aussi entre les valeurs individuelles et collectives dans une perspective de promotion du bien commun dans le respect du patrimoine de l’humanité et de l’environnement pour le mieux-être de tous et toutes et non d’une minorité. Un développement équitable est possible à la condition qu’il soit orienté vers le bien commun et la satisfaction des besoins de toute l’humanité, non vers l’accumulation des capitaux par une minorité d’actionnaires de grandes sociétés transnationales. Pour chaque individu, il s’agit aussi de contribuer au développement de sa communauté avec la pleine participation des femmes et des hommes dans le respect des principes démocratiques; dans un tel cas, on parle de créer ensemble de nouvelles formes de solidarité et des stratégies par la participation démocratique. En ce sens, chaque petit geste responsable compte. Agir d’une manière responsable implique toutes les facettes de notre vie autant dans notre consommation quotidienne de biens et services autant que dans notre action collective comme les pressions (manifestations, écrits, pétitions, etc.) sur le plan politique et économique.

Fort de ces perspectives, promouvoir une culture de la paix peut paraître un chantier pharaonique, d’autant plus qu’il s’agit d’une réalité pluridimensionnelle, notamment en ce qui a trait au lien entre développement durable et paix. Et qui dit développement durable signifie faire des liens entre les êtres humains et leur gestion de la planète sous toutes ses dimensions. La visée globale d’une culture de la paix inclue donc une culture écologiste.

L’indolence n’a plus sa place. Place à l’audace ! Place à l’agir responsable !


[1] https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/30798/EGR19ESFR.pdf?sequence=15

[2] Ibidem.

[3] Polyani, K. (1983), p. 253 -254.

[4] https://www.mvtpaix.org/wordpress/wpcontent/uploads/2016/07/LaCulturedelaPaixCestquoi.pdf