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Tradition ouvrière

Le spectacle à Montréal du président d’honneur des Artistes pour la Paix, premier en cinq années malmenées par la pandémie nous confie-t-il, est présenté dans une atmosphère de fête partagée par les presque deux mille spectateurs rassemblés deux jours consécutifs par le Coup de cœur francophone au Outremont.

Juché dans les derniers rangs du balcon avec des dizaines d’autres septuagénaires nostalgiques du Spectrum, nous vibrons aux grandes chansons revisited : Resté debout, Pleure à ma place, Double vie, Sous les cheminées, Journées d’Amérique et surtout L’Ange vagabond dédié à Jack Kérouac (cité aussi par Maudit silence de Chloé Sainte-Marie, APLP2009, Richard étant celui de 1990) où vibre l’harmonica dylanesque et conclu par l’hymne on the road again,.

Si les présentations se sont resserrées avec humour parfois, avec pertinence toujours, la sobriété n’empêche pas l’expression de la joie de Richard de retrouver son public fidèle au rendez-vous, ni les épanchements sentimentaux, comme lorsqu’il entonne Tout près des trembles, un touchant hommage à sa mère qui a fait entrer la culture dans la famille ouvrière de Pointe-aux-Trembles à laquelle lui et ses sœurs appartiennent.

Sur scène, en parfaite osmose quasi-permanente, trois excellents musiciens professionnels jusqu’au bout des ongles : Alexis Martin aux percussions, Raphaël D’Amours et Simon Godin aux guitares incluant banjo et lap steel, un instrument de 1924! Saluons le technicien de scène qu’il présente à la salle avant d’entonner la chanson qui rend humblement hommage à la résilience des gens de sa profession, en solidarité ouvrière.

Engagement toujours présent

Les mots prennent une importance accrue pour celui qui a fondé le Sentier de la Poésie à Saint-Venant de Paquette, son village de 98 âmes. Deux nouvelles chansons On voudrait et Un peu de poésie empruntent des poèmes d’Hélène Dorion, magnifiques, tant par leur rythme et leurs fécondes répétitions, que par leurs images.

Son engagement pour le Québec transparaît notamment par sa référence à Félix Leclerc et dans le poème Petit hymne au grand rang récité à la fin du concert a capella, ces territoires sont nos temples de Hugo Latulippe dont il salue le dernier film.

Son engagement écologique fait applaudir par la salle Laure Waridel, présente. Au bord du temps dédiée aux migrants (2016) et Qu’est-ce qu’on leur laisse (2006) sont suivis naturellement par la nouvelle chanson Chemins forestiers, qu’il dédie au collectif Mères au front co-animé par Laure et Anaïs Barbeau-Lavalette (APLP2013).

Et justement l’engagement pour la paix ? Il est là dans une chanson qui parle de sang et qu’il ne présente pas, ne peut pas présenter, vu que les mots inévitables Ukraine et Yémen seraient pollués par la désinformation antipacifiste et la censure médiatique totale déformant toutes intentions de paix, mais l’emplacement stratégique de cette chanson qu’il entonne seul à la guitare aux deux tiers du spectacle forme un vortex ou anticlimax de la plus haute émotion à partir duquel la soirée prend son envol.

À 70 ans, l’artiste n’a rien perdu de sa pertinence ni de sa force d’impact. Quatre-vingt-dix minutes après le début du concert sans entracte (qui nécessite donc un grand souffle de l’artiste, continuellement en scène), nous, spectateurs, y compris le musicien innu Pascal Côté, nous mêlons aux hassidim et jeunes outremontaises court-vêtues, certaines attablées aux terrasses de la rue Bernard, car il fait à 21h 30 encore 20 degrés en cet été des Premières Nations, 4 novembre !  P.J.