C’était très précisément il y a dix ans jour pour jour que les Artistes pour la Paix accordaient un hommage senti à Raymond Lévesque, à la chapelle Historique du Bon-Pasteur en présence d’une foule réunie par amour pour ce grand artiste.

Par Hélène Beauchamp, 14 février 2011 cérémonie des Artistes pour la Paix

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Raymond avec sa fille Marine lors de l’hommage des APLP.

Cher Raymond Lévesque

Dans sa très belle préface au livre Quand les hommes vivront d’amour, chansons et poèmes de Raymond Lévesque (L’Hexagone, Typo, 1989), le regretté Bruno Roy parle avec émotion de celui qu’il appelle le « troubadour du monde ouvrier » et le « travailleur de la chanson ». Du travail d’écriture de Raymond Lévesque, Roy dit encore : « Il se bat contre le mensonge, le profit, le totalitarisme ». Il ne cherche pas l’effet littéraire mais « utilise plutôt les mots des petites gens, dans le respect de la vie quotidienne ». Il écrit des chansons qui véhiculent une profonde conscience sociale. « Chansons inquiètes, ou indignées, amères ou fraternelles, joyeuses ou tendres, chacune traduit une constante recherche de la justice humaine ; cela dans une solitude parfois étouffante, parfois explosive. Québécois ou autre, son semblable est son frère. Fraternel Lévesque ! »

« Son discours n’a pas changé au gré des auditoires ou des succès. Rien n’a altéré sa probité. Sa quête inlassable d’un amour universel. » écrit encore Bruno Roy, président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois pendant de nombreuses années et Secrétaire au Conseil d’administration des Artistes pour la Paix avant sa mort prématurée.

La carrière du premier compositeur de chanson populaire moderne au Québec, démarre dans les années 1940. À Montréal, il mène la vie de bohême avec le peintre Molinari, l’homme de théâtre Claude Gauvreau, les sculpteurs Armand Vaillancourt et Robert Roussil. Tous de beaux insoumis, artistes aux valeurs humaines et sociales, mais aussi quelque peu incompris de la société d’alors. Rimbaud, Camus, Sartre nourrissent leurs discussions dans les cafés du centre-ville.

Raymond Lévesque fait des études musicales avec Rodolphe Mathieu et de l’art dramatique avec la grande Madame Audet. En 1953, il est de la création de Zone, de Marcel Dubé, qui connaît un succès pan canadien et où il interprète le personnage si touchant de Moineau, joueur de musique à bouche dont le rêve est de devenir un musicien professionnel.

Il est en France de 1954 à 1959 où les boîtes à chansons les plus importantes l’accueillent. Il fréquente Jacques Brel, Jean Ferrat, Barbara : ils ont le même âge, tous sont en début de carrière. Raymond Lévesque réussit là ses tests de parolier, de mélodiste et de compositeur.

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Son verbe est pudique. Le ton est celui de la satire sociale. Il est toujours à l’affût de l’actualité politique. Ses chansons sont vraies : « Il a toujours refusé, écrit Bruno Roy, de devenir un monnayeur public de la plasticité des sentiments ». Et encore : « Raymond Lévesque ne vise ni l’action héroïque ni la déclaration prophétique. À travers ses chansons, son engagement s’exprime dans la critique ».

Le Prix Hommage pour l’ensemble de sa carrière est décerné depuis trois ans par Les Artistes pour la Paix à un artiste du Québec dont le combat pour la paix et pour la justice sociale marque l’ensemble de sa carrière et de sa vie. Nous l’avons accordé à nos deux fondateurs, Raoûl Duguay et Gilles Vigneault, puis à la regrettée Hélène Pedneault, et enfin à l’un de nos membres les plus actifs dans la défense de l’environnement et dans la dénonciation de la guerre, Frédéric Back.

Les membres de notre Conseil d’administration se sont déclarés émus, cher Raymond Lévesque, par votre défense opiniâtre des plus démunis, par vos paroles libres et sincères. Sans doute Les Artistes pour la Paix se reconnaissent-ils également dans votre marginalité fière et indépendante !

Vous que l’on considère aujourd’hui comme le premier véritable chansonnier politique du Québec moderne avez été proclamé Patriote de l’année en 1980, vous avez reçu le trophée Félix pour l’ensemble de votre œuvre. En 1997 vous avez reçu le prestigieux Prix Denise-Pelletier qui couronne l’ensemble de la carrière d’un artiste de la scène et, la même année, vous avez été nommé Chevalier de l’Ordre national du Québec.

En 2005 vous avez refusé le prix du Gouverneur général par conviction souverainiste, et reçu le Bene Merenti de Patria de la Société Saint Jean-Baptiste de Montréal.

« L’évolution de Raymond Lévesque ne laisse pas de doute, écrit encore Bruno Roy. Après avoir chanté l’indépendance, contesté les guerres, il se tourne de plus en plus vers les problèmes de survie de l’homme ; il prend position contre la pollution, contre le nucléaire… »

« Oui, réplique Raymond Lévesque, mais après tout, l’engagement politique, c’est peu de choses, c’est tout simplement ne pas être indifférent ».

Nous voulons également souligner l’importance, cinquante-cinq ans après sa création, de la chanson qui est devenue dans la francophonie l’hymne universel pour la paix Quand les hommes vivront d’amour. Avec sa mélodie simple et sa structure solide, elle est le premier grand classique de la chanson québécoise….

Cher Raymond Lévesque, nous vous remercions d’être resté vous-même, authentique et fidèle aux valeurs fondamentales que vous avez défendues pendant toutes ces années de vie et de carrière publique.

Merci, enfin, de bien vouloir recevoir le Prix hommage des Artistes pour la Paix qui espèrent, avec vous, que « Quand les hommes vivront d’amourLes soldats seront troubadours ».

14 février 2011

Le président des Artistes pour la Paix Pierre Jasmin a remercié Hélène Beauchamp, historienne du théâtre, ainsi que Gilles Marsolais et Nancy Lange qui ont lu des extraits de ses textes. Un merci tout spécial à Marie-Marine Lévesque qui a chanté deux de ses chansons, accompagnée à la guitare par domlebo qui a assuré en outre l’animation de la cérémonie. Il l’avait débutée ainsi :

« Permettez-moi de faire durer le suspense encore quelques secondes sur la nomination de l’artiste pour la paix de l’année, en saluant le rayonnement exceptionnel de Raymond Lévesque, magnifiquement illustré par Hélène Beauchamp à l’aide entre autres des témoignages de notre regretté secrétaire Bruno Roy. Daniel Gingras, membre de notre conseil d’administration, nous a toujours rappelé la constance exemplaire de l’engagement du défenseur des pauvres. Je voudrais aussi saluer la comédienne Marie-Josée Longchamps ici présente, qui anime des spectacles entièrement dédiés à Lévesque, montés grâce à la collaboration de Jean-Guy Moreau : Marie-Josée, avant-hier à Repentigny, hier à la bibliothèque Raymond Lévesque à St-Hubert, sera samedi le 26 février à la salle CARPE DIEM du Carré-Théâtre à Longueuil, le 12 mars, au bar-spectacle du PETIT MOULINSART dans le Vieux Montréal et le 15 avril au Vieux bureau de poste de St-Romuald près de Lévis.

Suite à cette cérémonie, nous avons reçu le message suivant de Raymond Lévesque :

Monsieur Jasmin -Je vous remercie pour cette attention à mon égard; cela m’honore beaucoup. La paix sera possible lorsque les militaires prendront conscience qu’ils ne sont que des pantins aux mains des puissants qui les méprisent. La preuve: quand ils reviennent handicapés, ils sont vite oubliés dans quelques hôpitaux avec une petite pension.

Salutations,  ainsi qu’à Madame Beauchamp.

Raymond Lévesque

Cher monsieur Lévesque,

Le vibrant message que vous nous avez transmis le 14 février sur les guerres (Deuxième Guerre mondiale, Corée, Vietnam, Algérie, Irak, Afghanistan…) sera retenu par tous et toutes, si j’en juge par les commentaires reçus, entre autres de Pascale Montpetit, notre APLP de l’année.

N’est-il pas significatif qu’en plus des victimes chez les militaires (la compassion que vous exprimez aux vétérans est touchante et essentielle), les guerres provoquent des dépenses excessives qui meurtrissent et rendent malades des millions d’individus ? L’exemple de l’URSS le prouve éloquemment, qui s’est effondrée à cause de ses dépenses militaires excessives.

Mais on peut aussi penser à la Corée du Nord et à la Birmanie, ainsi qu’au Pakistan.

La France et la Grande-Bretagne en souffrent, alors que l’Allemagne et le Japon à qui on a longtemps interdit de se réarmer sont relativement épargnés; et, plus proches de nous, les États-Unis sont aux prises avec un déficit insurmontable principalement causé par leur budget militaire honteux qu’Obama n’arrive pas à réduire de façon significative; enfin, plus proche de nous encore, Ottawa, où le premier ministre Harper accumule des dizaines de milliards de $ de dépenses inutiles pour la défense et nuisibles à la paix: F-35, hélicoptères Chinook, vingt-cinq milliards de $ au cours de la dernière année seulement! Et aucun éditorialiste n’en parle, évidemment…

Voilà en partie pourquoi nous existons, les artistes pour la paix.

Nos amitiés les plus vives,
Pierre Jasmin

PS Veuillez transmettre nos remerciements à Renée qu’il nous a fait plaisir de connaître !