Quel est le lien entre Jimmy Carter, ex-président des États-Unis, et le réacteur nucléaire de Chalk River ?

Le réacteur NRX de Chalk River
Mis en service en 1947, le réacteur expérimental NRX du laboratoire atomique de Chalk River semblait être une bonne idée jusqu’à ce que, le 12 décembre 1952, quelque chose tourne mal. À l’époque, on diagnostiqua un emballement du réacteur qui entraîna une successions d’explosions dans les systèmes de transfert de vapeur. Le sous-sol de la centrale fut inondé de milliers de litres d’eau radioactive. On ne déplora aucun mort, mais le réacteur fut grandement endommagé. Les opérations de nettoyage durèrent des mois. Le NRX fut remis en service deux ans plus tard. Chalk River a l’insigne honneur d’être le site du premier incident d’importance de l’histoire du nucléaire commercial.
Le lieutenant Jimmy Carter, ingénieur atomiste dans la marine des États-Unis alors âgé de 28 ans, participa aux opérations de nettoyage. Il travaillait alors sur le nouveau réacteur devant équiper le sous-marin Nautilus. Son travail à Chalk River ? Revêtu d’une combinaison anti-radiations, descendre dans le réacteur pour le démanteler, quelques minutes à la fois. Il devait plus tard déclarer que cette expérience avait influencé sa vision du nucléaire, le poussant même à faire avorter le développement de la bombe à neutrons. Mais le nucléaire devait le hanter pendant toute sa carrière : c’est sous sa présidence que survint l’accident de Three Miles Island.
La World Nuclear Association affirme sur son site web qu’il n’y a eu que trois incidents majeurs dans l’histoire du nucléaire commercial : Three Miles Island en 1979, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011. Évidement, ce sont les grands classiques, impossibles à passer sous silence.
Lors de l’accident de Three Miles Island, on estima le taux de radiations libérées dans l’air avoisinant à 15 curies (faute de pouvoir l’établir avec précision, les émissions dépassaient les capacités de mesure des équipements d’alors). Lors de l’accident de Chalk River en 1952, on évalua ce taux à 100 000 curies. On peut se demander selon quels critères un accident nucléaire est officiellement déclaré « majeur »…

Le président Carter visite Three Miles Island.
En survolant quelques ouvrages d’experts, on se rend compte qu’on est très loin du compte. Mis à part l’accident de Chalk River, on peut identifier une longue liste d’événements qu’on peut qualifier de « majeurs », ne fut-ce que par le nombre des personnes affectées. Voici, en plus des incontournables Chalk River en 1952, Tchernobyl et Fukushima, les événements qui complètent le Top 10 des accidents nucléaires, en ordre chronologique :
Rocky Flats, Colorado, le 11 septembre 1957 : un incendie dans une usine libère un nuage de plutonium 239 et 240 au dessus de Denver. La population n’en est pas avertie.

Dans la presse de l’époque : manifestants à Rocky Flats.
Windscale-Sellafield, Grande-Bretagne, le 7 octobre 1957 : l’incendie de trois tonnes d’uranium disperse des particules radioactives sur l’Angleterre et une partie de l’Europe du Nord.
Kyshtym-Chelyabinsk, URSS, le 29 septembre 1957 : un réservoir de 80 tonnes de déchets liquides explose, contaminant 250 000 personnes et forçant l’évacuation d’une trentaine d’agglomérations qui furent rayées de la carte. La Russie a fini par admettre le désastre en 1989.

La centrale de Kyshtym après l’accident.
Décidément, 1957 ne fut pas une bonne année pour le nucléaire.
Santa Susana, Californie, le 12 juillet 1959 : la fonte du réacteur experimental au sodium libère une énorme quantité d’iode-131 dans l’atmosphère. Cet accident sera tenu secret pendant 20 ans.
Church Rock, Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1979 : 93 millions de gallons de déchets liquides provenant des mines d’uranium, ainsi qu’un millier de tonnes de déchets solides se répandent dans le territoire de la nation Navajo et la rivière Little Puerco. La contamination finit par atteindre la rivière Colorado puis le lac Meade, lequel est l’une des principales sources d’eau potable pour Los Angeles.

Eau contaminée à Church Rock.
Tomsk, Russie, le 7 avril 1993 : un réservoir de déchets explose dans une usine d’armement nucléaire, causant la pire catastrophe en matière de radiations depuis Tchernobyl, selon les experts. Une partie de la Sibérie se trouve sous le vent mais ne sera pas évacuée.
Tokai-Mura, Japon, le 30 septembre 1999 : pudiquement qualifié de criticalité, cette réaction en chaîne non-contrôlée tue trois travailleurs dans l’explosion finale. La population de cette zone densément peuplée est exposée au nuage de radiations.
Pour avoir une vue d’ensemble du phénomène, consulter la liste complète des accidents nucléaires telle que compilée par The Guardian en cliquant ici.
Sources :
Nukewatch Newsletter, John LaForge 2018
Nuclear Madness, Revised, Helen Caldicot 1995
Multiple Exposures: Chronicles of the Radiation Age, Catherine Caufield 1989
No Nukes, Anna Gyurgy 1979
Wikipedia (sur J. Carter)
Archives CBC
Superbe article. Très interessant…. et choquant !
Merci
judi